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MFI HEBDO: Culture Socit Liste des articles

29/09/2006
Chronique Littrature

L'essentiel d'un livre
Les enfants de la postcolonie

(MFI) Avec la fin de son Empire qui stendait sur cinq continents, lAngleterre est redevenue une le. Une le o les enfants de la postcolonie vont de frustrations en dsillusions et tentent de trouver leurs marques.


Au cours de lt 1948, lEmpire Windrush vint jeter lancre dans le port anglais de Tilbury, avec son bord 492 migrants caribens venus linvitation du gouvernement britannique participer la reconstruction de la mtropole ruine par la guerre. Ils constituaient la premire vague de migrants antillais dont le dbarquement fut un tournant dans lhistoire contemporaine de lAngleterre et le point de dpart de cette socit multiculturelle vibrante que le pays de Shakespeare et de Milton est devenu au cours des dernires dcennies.
Le pre jamacain de la romancire anglaise Andrea Levy tait sur ce bateau. Son exprience de la dcouverte de la mre patrie, ses tentatives difficiles pour sintgrer dans la socit anglaise complexe et xnophobe, ses angoisses et ses traumatismes sont au coeur du nouveau roman de sa fille. Costumire la BBC et la Royal Opera House Londres, celle-ci est venue la littrature un peu par hasard et a dj publi trois romans racontant les heurs et malheurs des hommes et des femmes issus de limmigration et leurs dilemmes identitaires. Avec la publication de son quatrime roman Small Island qui vient dtre traduit en franais sous le titre Hortense et Queenie, Levy simpose comme une des grandes voix de la littrature anglaise contemporaine. Couronn par plusieurs prix prestigieux, notamment lOrange Prize for fiction et le Whitbread Novel Award, ce livre mle avec brio le thme de la race avec celui de lEmpire et rappelle que le colonisateur et le colonis sont tous les deux victimes de leur Histoire tragi-comique : leurs sorts sont troitement emmls.
Le titre anglais est vocateur rebours de cette histoire : impriale. Small island entrane le lecteur tout droit vers la thmatique centrale : le dclin de lempire et ses consquences humaines et psychologiques. Ses consquences gopolitiques galement car cest lAngleterre postcoloniale qui est la principale protagoniste de ce rcit. Une Angleterre dvaste par la guerre, ampute de ses possessions ultra-marines, condamne redevenir la petite le quelle na jamais cess dtre. Ce sentiment de rtrcissement est voqu dans ce roman polyphonique travers les voix et les destins de ses 4 personnages blancs et noirs, Hortense la Jamaquaine, Queenie sa logeuse londonienne et leurs maris respectifs.
Campe dans le Londres de limmdiat aprs-guerre, lintrigue souvre sur le dbarquement en mtropole dune jeune Jamaquaine venue rejoindre son mari. Or Hortense, qui a toujours rv de vivre en Angleterre, dans une grosse maison avec une cloche sur la porte dentre , va de surprises en frustrations dcouvrant la petite chambre que loue son mari Gilbert dans une maison bourgeoise miteuse transforme en foyer pour travailleurs. Trois pas de ct, quatre de lautre - et vous aviez fait le tour de la chambre. Il y avait un vier dans un coin, avec au-dessus, un robinet rouill plant dans le mur.(...) Dans le foyer, le gaz suintait, sortant dune flamme bleue. Cest comme a que les Anglais vivent ? , ne cesse de rpter la jeune femme ! Hortense connatra dautres dceptions, mais devra se rsigner vivre dans cette ville morne, sans clats, comme lont fait avant elle son mari, mais aussi sa propritaire blanche Queenie Bligh, venue Londres le coeur gonfl despoirs et rduite prendre des locataires lorsque son mari nest pas revenu de la guerre. Ancien de la Royal Air Force, Bernard finira par rapparatre et devra, lui aussi, composer avec le rtrcissement de son pays et surtout avec la prsence des ngros jusque sous son toit ! Entremlant les fils de ces quatre vies, le pass et le prsent de lEmpire finissant, usant de lironie, mais aussi de la tendresse et de lempathie, Andrea Levy nous donne lire une fable mouvante de notre modernit multiculturelle.

Hortense et Queenie, par Andrea Levy. Traduit de langlais par Frdric Faure. Editions Quai Voltaire, 444 pages, 22 euros.

T. C.


Un cauchemar tutsi

(MFI) Une longue litanie de perscutions, de morts et de massacres : tels sont les souvenirs denfance de Scholastique Mukasonga, une Tutsie du Rwanda. Pourtant, ces souvenirs sont antrieurs au gnocide des 800 000 Tutsis extermins en 1994 dans la folie meurtrire qui sempara des Hutus aprs la mort du prsident hutu Juvnal Habyarimana dans un avion qui scrasa au sol Kigali, la capitale. Les souvenirs denfance de lauteur se situent quelque vingt ans plus tt. Mais les vnements quelle a vcus alors sont la prfiguration de la purification ethnique de 1994 au Rwanda, lune des plus atroces de notre histoire contemporaine.
Le premier malheur qui frappe sa famille est celui de leur dportation avec dautres Tutsis dans une rgion dshrite du pays, le Bugesera. Il leur faut tout recommencer, dfricher un champ, construire une maison. Cest lpoque o les jeunes Hutus terrorisent les Tutsis, quils veulent craser comme des cafards, des Inyenzi. Nanmoins la petite communaut dporte sorganise, ouvre une cole, et miracle : Scholastique est reue (dans un contigent pourtant limit dlves tutsies) lEcole Notre Dame de Citeaux, Kigali. Comme les autres lves tutsies, elle y est sujette mille humiliations, mais russit le concours dentre lEcole dassistantes sociales de Butare dans le sud du pays. Un jour, en 1973, y arrive une bande de jeunes Hutus dtermins massacrer les lves tutsies. Elle russit senfuir, puis franchit avec son frre la frontire du Burundi. Cest la fin du cauchemar : elle y rencontre un ethnologue franais qui lpousera et lemmnera en France. Dans cette horrible tourmente, elle a perdu presque toute sa famille proche.
Une postface de lcrivain congolais Boniface Mongo-Mboussa tire la leon de cette tragdie : ce qui prdomine, dit-il, cest le remords des survivants.

Inyenzi ou les Cafards, par Scholastique Mukasonga. Editions Gallimard, collection Continents noirs , 164 pages, 12,80 euros.

Claude Wauthier


Les guerillros de Bagdad

(MFI) Je suis n dans la misre et la misre ma lev dans le partage , dit le jeune bdouin de Kafr Karam, un petit village paisible au fin fond de lIrak. Un jeune homme timide et motif, sensible aux malheurs des autres. Un jeune homme victime des bavures commises par les forces trangres et les militaires de son propre pays. La dernire bavure est la plus insupportable car elle touche son honneur et celui des siens. Son pre a t humili sous ses yeux par un soldat amricain faisant irruption chez lui : Crosse ou poing, quelle diffrence ? Le coup parti, le sort en fut jet. Mon pre tomba la renverse, son misrable tricot sur la figure () tandis que lhonneur de la famille se rpandait par terre, je vis ce quil ne me fallait surtout pas voir, ce quun fils digne, respectable, ce quun Bdouin authentique ne doit jamais voir La honte est immense. Impossible de la surmonter, de lui survivre. Il lui faut partir : il quitte son village, part Bagdad o il rejoint la rsistance et se consacre la Cause . La gurilla prpare une opration dont les consquences seraient mille fois plus dsastreuses que les attentats du 11-Septembre. Le jeune bdouin est lacteur principal de cette action. Pour la raliser, il doit se rendre Beyrouth, ltape transitoire
Aprs Les Hirondelles de Kaboul et LAttentat, Les Sirnes de Bagdad est le troisime volet dune trilogie que Yasmina Khadra consacre ses questionnements sur le pourquoi et le comment de la monte de lintgrisme dans le monde musulman. Il ne juge pas, il veut simplement comprendre. Son regard humaniste oblige le lecteur changer ses certitudes et interroger ses convictions. Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohamed Moulessehoul, est un ancien officier de larme algrienne qui a abandonn les armes pour se consacrer lcriture. La critique reconnat en lui lun des crivains les plus talentueux de la littrature francophone contemporaine.

Les Sirnes de Bagdad, par Yasmina Khadra. Ed. Julliard, 337 pages, 19 euros.

Darya Kianpour


Narcisse en Egypte : un premier roman prometteur

(MFI) Dans ce premier roman traduit en franais, lEgyptienne Somaya Ramadan voque une vie dexil et de retour, entre Dublin, Le Caire et Alexandrie, une vie la limite, entre folie, hpital, diffrence, famille, censure, une vie de femme qui accde au sens par lcriture, la posie, le risque de raconter des histoires.
Tour tour raliste, intimiste, politique, potique, Feuilles de narcisse est un rcit en spirale , o le temps passe, o des proches disparaissent en un instant, mais o des choses, des images restent : un parfum dorange, des leons de mathmatiques, les contes de lenfance, le verre fendu dune table de salle manger, la petite vis des ciseaux couture de la mre, qui fait des deux branches des ciseaux une mchoire crant du sens . Voil ce quil faudra raconter, pour gurir peut-tre, dans un rcit qui joue avec plusieurs traditions littraires : avec le conte arabe du Roi des monts de lAtlas comme avec Perrault, Andersen ou Joyce. Et qui est aussi une touchante rflexion, corche, vif, sur les ambivalences du langage : lambivalence des mots, qui sont tantt magie tantt douleur , celle du silence, qui est pour et contre toi , et mme celle des mensonges, ceux par lesquels il faut passer pour trouver lamour en Irlande, avec un pote et professeur quelle appelle Daddy , et ceux de la famille, de la nourrice Amna, de la bourgeoisie gyptienne, du pouvoir, des censeurs de lIslam, des gens raisonnables . Un livre original, intense, qui a obtenu le prix Naguib Mahfouz en Egypte.

Feuilles de narcisse, par Somaya Ramadan. Traduit de larabe par Stphanie Dujols. Editions Actes Sud, 116 pages, 18 euros.

Frdric Lefebvre


Le politicien, le vieux mdecin et le gitan avaleur de sabres

(MFI) Limagination, le mouvement, la route : voil ce que les tziganes du Ginestous ont perdu en trente ans de camp de la honte , au bord de la Garonne en aval de Toulouse, relgus, oublis puis menacs dtre parqus dans une rserve gitans , une cit construite en dur pour servir les intrts dun politicien local. Mais le vieil Enrique va mourir et les coutumes ngliges vont revenir, avec toutes ces caravanes arrives de partout, du nord, de lest et mme de lOrient balkanique, pour lui rendre un dernier hommage. Dans son dernier roman, De Sabres et de feu, Marc Trillard raconte ce rveil, lectris par un mtis avaleur de sabres, Augustin, revenu de tous les pays avec une fille jeune et sauvage, qui est aussi le neveu dEnrique. La confrontation avec la socit dominante sera frontale, tragique mme, peine attnue par les efforts de Moscowicz, le vieux mdecin dvou l association , nostalgique des annes 1970, du militantisme, et de Bart ou Barto, lagent communal en charge du camp, qui ne saura plus bientt sil aime ses gitans sdentaires, Pep, la Noune, Raphal dit lErgot pour ses coqs de combat clandestins , ou plus encore ces nouveaux arrivants qui ravivent une flamme, symbolique et bien relle, offerte au vrai dieu des gitans, le dieu de la libert .
Un roman passionn, aux couleurs vives, comme une allgorie de la rvolte , o le gitan rebelle et conteur dhistoires rencontre le gadjo curieux et amateur de livres, autour du sentiment le plus propice limagination : lamour dune femme.

De Sabres et de feu, par Marc Trillard. Editions Le cherche midi, 280 pages, 15 euros.

F. L.


Un Ballon noir qui tourne bien rond

(MFI) Cest un peu le roman noir de la mondialisation, celle des trafics en tous genres Pierre Cherruau et Claude Leblanc, dans ce policier crit quatre mains, invitent le lecteur un priple sur trois continents
Afrique, Asie et Europe. Deux enquteurs improbables que tout oppose la jeune Sngalaise, dtective sans le sou, qui ne fait pas grand cas des conventions, et le vieux policier nippon la retraite, fan de base-ball, respectueux des traditions travaillent sur la mme affaire : la disparition dun jeune prodige nigrian du ballon rond lors de son transfert vers le Japon. O lon a la confirmation que le monde du football a des liens avec tous les milieux y compris le milieu , et que les lumires du stade sont suffisamment aveuglantes pour cacher des mthodes peu reluisantes. A travers les prgrinations des deux privs de Dakar et Tokyo Paris, en passant par Lagos, Onistha et Warri, ou Niigata, un port sur la mer du Japon et Khabarovsk, sur le fleuve Amour, en Russie , les deux auteurs sen donnent cur joie dans la description de ralits quils connaissent bien. Journalistes spcialiss lun sur lAfrique, lautre sur lAsie, ils injectent avec humour et habilet dans leur intrigue des lments de lactualit des pays traverss. Le rsultat est tout la fois plaisant et dpaysant.

Ballon noir, par Pierre Cherruau et Claude Leblanc, Lcailler du Sud, 2006, 14 euros.

Ariane Poissonnier


Un auteur dcouvrir
Anita Desai : linterprte des affres intrieures

(MFI) Camp dans le Mexique dhier et daujourdhui, le nouveau roman de lIndienne Anita Desai se lit comme un rcit initiatique mtin de lesprit dAlice au pays des merveilles.


A 67 ans, Anita Desai est la grande dame de la littrature indienne dexpression anglaise. Ne en Inde en 1937, dune mre allemande et mlomane et dun pre bengali et amoureux des littratures, elle a grandi entoure de livres provenant du monde entier et de disques de musique classique occidentale. Kafka, Bach et Mozart ont structur son imaginaire et lui ont donn le got de dire et de sexprimer. Elle publie neuf ans sa premire nouvelle dans un magazine pour enfants et, en 1963, son premier roman Cry the Peacock . Auteur dune quinzaine de romans et de deux recueils de nouvelles, elle est aujourdhui lune des principales figures de langlophonie contemporaine, apprcie tant pour lconomie de son criture, tout en mtaphores et en demi-teintes, que pour la justesse de ses analyses des troubles et des tumultes de lme.
Rompant avec la veine socio-politique de la littrature indienne anglophone des annes cinquante, Desai sest fait, ds son premier roman, linterprte des affres du dsespoir et de la dchance psychique. Ses protagonistes sont souvent des femmes, ronges par la nvrose, incapables parfois de rsister leurs pulsions destructrices, comme la jeune Raka dans Le Feu sur la Montagne (1994) que ses peurs et ses frustrations conduisent mettre le feu la fort o elle sest rfugie. Dautres, comme Sita dans O irons-nous cet t (1995) ou Bim dans La Claire Lumire du Jour (1993), prisonnires toutes les deux de leurs solitudes, se replongent dans leur enfance, esprant y trouver les secrets de leur bonheur perdu. Avec La Claire Lumire du Jour, un roman complexe o la qute fministe de la libert se mle aux dchirements internes dune famille hindoue de Delhi sur fond de guerre religieuse, le canevas de Desai slargit. Lexploration de la solitude au fminin cde dsormais le pas des thmatiques plus amples telles que la lente marginalisation de la culture musulmane dans lInde indpendante qui est au coeur dUn Hritage exorbitant (1985), le parcours initiatique dun juif allemand exil en Inde dans Le Bombay de Baumgartner (1991), la rsistance contre le carcan de la famille dans Le Jene et le Festin (2001), dont lintrigue se droule entre les Etats-Unis et lInde. On retrouvera cette inspiration cosmopolite dans le nouveau roman de Desai Un parcours en zigzag, dont laction se partage entre le Mexique, lAngleterre et les Etats-Unis.

Un parcours initiatique

Rcemment traduit en franais, ce quatorzime roman dAnita Desai raconte le voyage quasi-initiatique dun jeune Amricain qui ne sait pas trop que faire de sa vie. Chercheur en sociologie, il sennuie durant les longues heures passes la bibliothque tenter dtoffer sa thse sur les structures dimmigration aux Etats-Unis pour en faire un livre. Cest pourquoi lorsque sa petite amie part dans le Yucatan pour y poursuivre ses recherches sur le paludisme, Eric dcide de la suivre. Le Mexique sera l eurka quil attendait pour entrer en communion avec soi-mme, avec sa propre histoire et avec celle de sa famille. Le dclic se fait lorsquil assiste, dans un centre culturel de Mexico City, une confrence sur la destruction du mode de vie des Indiens Huichols par lindustrie minire. Bien que la confrence soit en espagnol, une langue quEric ne connat pas, il a limpression de comprendre: Il avait eu limpression de culbuter dans un trou - de tomber, tomber, dit-il, jusque dans un tourbillon de mots, de noms trangers, bouillonnant autour de lui. Puis, aprs un choc, il avait eu subitement conscience que beaucoup dentre eux lui taient en fait familiers. (...) Sierra Madre Oriental, Sierra de los Catorce, Real des Monte, La Purisima, La Asuncion, Los Lorenzos, La Luz, Valenciana... Il les avait dj entendus; chacun tait li pour lui une image, un souvenir quil tentait dsesprment de faire revivre. Eric se retrouve, tel lhrone de Lewis Carroll, aux portes dun pays des merveilles dont la dcouverte et lexploration constituent la trame de ce rcit envotant, sous la plume dune romancire au sommet de son art.

Tirthankar Chanda


Un parcours en zigzag, par Anita Desai. Traduit de langlais par Anne-Ccile Padoux. Edition Mercure de France, 201 pages, 19 euros.



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