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27/10/2006 | |||
Dcolonisation, mythes et tabous | |||
(MFI) La dcolonisation est un pisode majeur de lhistoire contemporaine, comparable en importance la Guerre froide, avec laquelle elle interfre partiellement. Dans un livre clair, concis et remarquablement structur, lhistorien Bernard Droz en dcrit les ressorts et modalits, ainsi que ses incidences sur ltat actuel du monde. | |||
La revisitation de la question coloniale est aujourdhui au cur dune intense polmique en France. Universitaire et rdacteur en chef de la revue Outre-mers, Bernard Droz analyse dans cet ouvrage clair et concis les modalits, pacifiques ou violentes, de ce lien de sujtion, de ses origines ses incidences contemporaines. De la colonisation, on peut distinguer deux ges successifs. Le premier, de type mercantile, est li aux grandes dcouvertes (notamment en Amrique du Sud et en Asie) et se fonde sur lconomie de traite et de plantation. Le second reste li la rvolution industrielle : les colonies sont censes ouvrir non seulement un accs privilgi aux matires premires mais aussi un dbouch aux produits industriels. LAfrique a t le continent de prdilection de cette expansion, mene le plus souvent au prix de guerres meurtrires. En dresser le bilan est une tentative tout aussi hasardeuse que celui de la dcolonisation. Certes, des efforts sanitaires y ont t entrepris par les puissances coloniales, de mme que lenseignement missionnaire a amorc lducation dune minorit. Reste que pour limmense majorit des populations, ces amliorations sont peine perceptibles, le rgime colonial restant un synonyme de pression fiscale, de bas salaires, darbitrage administratif et, pour beaucoup, de travail forc. Malgr la crise des annes 1930, la rsistance paysanne npousera pourtant que rarement les voies de la violence. Cest plutt dans les voies de la religion tels le prophte Simon Kibangu qui, dans le Congo belge des annes 1920, prchait la rdemption des Noirs par la Bible et la libration du colonialisme que sexprime le mieux le rejet du colonialisme. Plus tard, ces foyers de rvolte seront relays, depuis la mtropole, par une diaspora tudiante qui dite revues et journaux (LEtudiant noir en 1934) et labore le concept de Ngritude. Lcher du lest Avec le recul du temps, on ne peut que stonner de lacclration du processus dindpendance et de sa rapidit, djouant tous les calculs et les certitudes des puissances coloniales. Plusieurs facteurs sont prendre en compte. LAfrique na pas t insensible aux effets de la Seconde Guerre mondiale et sa redistribution des cartes stratgiques. Plus tard, lors de la Guerre froide, les Etats-Unis encouragrent discrtement les puissances coloniales lcher du lest, alors mme que les opinions publiques europennes se montraient de moins en moins sensibles la grandeur impriale. Pour les jeunes pays africains issus des Indpendances, construire lEtat et cimenter lidentit nationale simposent comme autant de tches urgentes. Sil est trs vite procd aux actes symboliques fondateurs de la souverainet (le drapeau, lhymne national, la devise), lvolution politique va rapidement interdire les espoirs placs dans une adaptation la dmocratie reprsentative. Une telle drive autoritaire est imputable de nombreux facteurs, certains lgus par lre coloniale, dautres tant lis aux structures ethniques et sociales des pays. Labsence dune tradition tatique antrieure au sentiment national, la faible cohsion dEtats souvent multi-ethniques, lapprentissage trop bref du dbat politique, des masses rurales peu duques, coiffes par une bourgeoisie avide de conqurir argent et pouvoir, sont autant de facteurs dexplication. En Afrique noire, lespoir plac dans lavnement de rgimes politiques stables a t rapidement du. Sauf exceptions (Houphout-Boigny, Senghor, Nyerere, Tsiranana) le prestige personnel des pres fondateurs sest vite mouss : les uns ont d quitter la place (Nkrumah en 1966, Modibo Keita en 1968), dautres se sont maintenus, tels Skou Tour au prix dune sanglante tyrannie. La cause de la rvolution Partout dans le monde, les pays issus de la dcolonisation staient donn pour tche de fonder une stratgie internationale originale qui exprimerait leur solidarit tout en rpudiant la logique des deux blocs de la Guerre froide. Les rsultats nont pas rpondu cet ambitieux projet. Les chos de la confrence de Bandung, qui en a t la matrice, se sont perdus au fil des annes 1960 (Conakry en 1960, Alger en 1965). Par la suite, limpact de la rvolution castriste a largi lafro-asiatisme lAmrique latine avec la cration de la Tricontinentale La Havane, en 1966. Hlas, les Cent Vietnam qui devaient se rpandre travers le monde, se sont limits aux focos allums en Amrique du Sud et ont moins servi la cause de la rvolution quils nont favoris la prolifration des dictatures latino-amricaines. Mais sil faut rendre hommage la prcision et lextrme clart de cet ouvrage, cest dans sa dernire partie, intitule Mmoires de guerres, guerres de mmoires quil se rvle passionnant, venant apporter dutiles prcisions un dbat souvent noy (de part et dautre) sous la mauvaise foi et la dmagogie. Cette exception franaise dune dcolonisation qui ne passe pas est lie deux phnomnes : la violence dune dcolonisation qui, en Algrie surtout, a mobilis les forces vives de la nation. Et une immigration massive issue pour lessentiel de ce que fut lEmpire, juxtaposant dans un face--face tendu anciens colonisateurs et coloniss. La mmoire des rprouvs de la colonisation aurait d sapaiser. Lvolution de la socit franaise et lintervention des activistes de la mmoire en ont dcid autrement, au prix dun glissement dangereux du droit lgitime au terrorisme de la mmoire. Face cette surenchre, dont leffet le plus immdiat est la mise en pril du lien communautaire, lEtat na pas toujours exerc son droit darbitrage. Pour symptme, faut-il rappeler le tristement fameux article 4 de la loi du 23 fvrier 2005 insistant sur le rle positif de la prsence franaise outre-mer ? Elisabeth Lequeret Histoire de la dcolonisation au 20e sicle, Bernard Droz, Seuil, 385 pages. | |||
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