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05/06/2007
Esclaves au paradis
Dans lenfer des coupeurs de canne hatiens


(MFI) Des milliers dHatiens tentent dchapper la misre en travaillant dans les champs de canne sucre en Rpublique dominicaine. En situation illgale, ils sont pris dans un systme qui les condamne vivre dans des baraquements insalubres et travaillent dans des conditions inhumaines. Tel est le constat que fait Cline Ayana Gautier dans Esclaves au paradis, la fois livre et exposition itinrante de ses photographies. Un tmoignage saisissant qui a reu le soutien dAmnesty International.

Synonyme de soleil et farniente dans la mer des Carabes, la Rpublique dominicaine est une destination touristique trs prise. A quelques encablures de cette vitrine allchante, ct cour, existe pourtant une ralit brutale trop longtemps passe sous silence. Il sagit de celle de milliers dHatiens qui, chaque anne, passent la frontire pour aller travailler dans les plantations de canne sucre. Des passeurs peu scrupuleux leur ont fait miroiter un travail rmunr mais, au terme dune semaine de voyage entasss dans des remorques, ils sont dpouills de leurs pices didentit et nont alors pour seuls viatiques quun bidon, une paire de bottes, une machette et une carte de bracero (coupeur de canne) qui sert les identifier. Embauchs comme saisonniers lors des rcoltes, ils sont dissmins sur le territoire dominicain dans quelque 400 bateys, des baraquements situs au cur des plantations, devenus au fil du temps leurs logements permanents gnralement sans accs aux services publics de base, soins mdicaux, ducation, eau courante, tout--lgout

Un euro par jour en tickets de rationnement

Nombre de braceros restent pris dans ce systme et passeront le reste de leur vie dans les bateys insalubres, explique la photographe Cline Ayana Gautier loccasion de lexposition Esclaves au paradis quelle prsente Paris. Au total, 80 clichs saisissants, qui lui ont valu dtre finaliste du prix Care International pour laction humanitaire en 2006, et quelle a runi dans un livre ponyme publi aux ditions Vents dailleurs avec le soutien dAmnesty International.
Isols, ces travailleurs resteraient, selon elle, prisonniers des bateys . Chaque tentative dvasion se paierait par une main ou un bras coup, sinon la mort. A linstar de cet homme, quelle a photographi de profil devant un champ de canne sucre, la machette cale sous laisselle. Derrire le manche en plastique blanc maintenu par quatre clous rouills, on dcouvre un moignon lisse et rond qui termine trop vite un avant-bras amaigri. Sans soins, sans nationalit, sans accs lcole pour leurs enfants, les braceros travaillent quinze heures par jour, sans garantie de salaire ; les plus expriments parviennent couper une tonne et demie de canne, paye peine plus dun euro en tickets de rationnement ! Une situation qui concernerait quelque 500 000 hommes, femmes et enfants et que la photographe assimile de lesclavage.
Sous le prtexte de travailler avec les pres Pedro Ruquoy et Christopher Hartley, cette franco-pruvienne a pass six mois dans ces bidonvilles, bravant la surveillance des milices armes la solde des producteurs de sucre. Ancienne htesse de lair, elle a opt pour la photographie lge de 25 ans et travaill dabord avec une association ddie aux femmes en errance. Des femmes avec qui elle a partag patiemment le quotidien, attendant six mois avant de prendre son premier clich (Curs de femmes, d. La Martinire).
Une approche ritre avec les coupeurs de canne. Leurs enfants, ns en Rpublique dominicaine, ne sont reconnus par aucun des deux gouvernements, insiste-t-elle, estimant 250 000 les enfants apatrides . Et dajouter que la traverse des braceros hatiens rsulte dun processus clandestin, perptr avec la complicit des offices de migrations, des autorits dominicaines et hatiennes, ainsi que de trois familles intraitables de propritaires : les Vicini, les Campollo et les Fanjul .

Vous qui avez lu ce livre, indignez-vous

Plus mesur, Amnesty International nutilise pas, dans son rapport publi paralllement en avril 2007, le terme esclave pour qualifier la condition de ces travailleurs. Genevive Sevrin, la prsidente dAmnesty International France en appelle nanmoins au dos du livre la conscience des uns et des autres : Vous qui avez lu ce livre, indignez-vous, rvoltez-vous, refusez daccepter une situation qui fait dtres humains des sous-hommes, des sous-femmes, des sous-enfants, exploits par dautres. Intervenez auprs des autorits hatiennes. Parlez-en autour de vous. Prcisions : le pre Pedro Ruquoy a d quitter la Rpublique dominicaine en novembre 2005 la demande de ses suprieurs ecclsiastiques, en raison de menaces de mort en provenance de secteurs lis aux patrons de lusine sucrire de Barahona . Quant au pre Christopher Hartley, sur ordre de sa hirarchie, il a d quitter la Rpublique dominicaine en octobre 2006 .

Une vie en transit

(MFI) Dans le rapport Rpublique dominicaine. Une vie en transit La situation tragique des migrants hatiens et des Dominicains dorigine hatienne, Amnesty International resitue le contexte dune condition qui nest au demeurant pas nouvelle. Depuis des dcennies, les Hatiens fuient les perscutions politiques et une situation conomique dsastreuse pour une petite part en Amrique du Nord ou en Europe et, pour le plus grand nombre, la Dominique, qui partage lle dHispaniola avec Hati. Premire rpublique noire avoir obtenu chrement son indpendance en 1804, Hati est aujourdhui lun des Etats les plus pauvres et les plus corrompus de la plante.
Arrivs pour beaucoup une poque o lindustrie de la canne sucre tait florissante, ils sont encore environ 30 000 ouvriers saisonniers employs chaque anne dans lindustrie sucrire tandis que dautres tentent leur chance depuis quelques annes dans le btiment ou le tourisme. Jusquau milieu des annes quatre-vingts, poursuit le rapport, lEtat dominicain () tait le principal employeur des travailleurs migrants hatiens . Leur embauche avait lieu dans leur propre pays, selon un accord bilatral conclu entre les deux gouvernements, fixant les rgles de rmunration des braceros et leur rapatriement une fois la rcolte effectue, ainsi que le montant peru par le gouvernement hatien pour chaque travailleur fourni titre indicatif, en 1986, date du dernier accord de ce type, ce montant tait de 2 millions de dollars US (environ 1,5 millions deuros) pour les 19 000 travailleurs officiellement recenss.

Esclaves au Paradis, lexposition : jusquau 15 juin 2007 Paris. A partir du 15 juin, exposition itinrante avec Amnesty International et le Collectif Hati de France : haiti@amnesty.fr ou contact@collectif-haiti.fr.
Esclaves au Paradis, le livre plus le CD des chants des braceros enregistrs par Esteban Colomar. Editions Vents dAilleurs (www.ventsdailleurs.com).
Site www.esclavesauparadis.org


Antoinette Delafin

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