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05/06/2007
Istanbul, mon amour

(MFI) Alors que les menaces des fondamentalistes lobligent se rfugier ltranger, le prix Nobel turc de littrature Orhan Pamuk publie, en traduction franaise, un rcit profondment nostalgique de sa ville natale qui est aussi une dclaration damour la cit aux sept collines , laquelle lcrivain sidentifie.


Ville littraire par excellence, Istanbul inspire depuis longtemps des crivains-voyageurs venus nombreux dans cette cit impriale. Cest travers les rcits de voyage de ces crivains que le public europen la dcouverte ds la fin du 18e sicle. Ville trange que Constantinople , crivait Grard de Nerval dans son Voyage en Orient. Et dajouter : Splendeur et misre, larmes et joies; larbitraire plus quailleurs, et aussi plus de libert... Pour le Danois Hans Christian Andersen, conteur et voyageur hors pair, Istanbul ctait Paris mtin de Venise et dimaginaire . Nerval, Flaubert, Lamartine, Chateaubriand, Thophile Gautier, Pierre Loti sont tous passs par la cit levantine et ont rapport des pages aussi sublimes que fantasmagoriques sur cette ville de mosques magnifiques et de cyprs tnbreux . Cest dans cette ligne prestigieuse que sinscrit le rcit, mi-essai historique mi-autobiographie, que vient de consacrer sa ville natale le grand romancier turc, prix Nobel de littrature en 2006, Orhan Pamuk.
Exotisme en moins bien sr, bien que Pamuk naie cesse de rappeler dans les pages de son Istanbul, souvenirs dune ville sa dette envers les potes franais qui furent, crit-il, les premiers, avant mme les crivains autochtones, chanter la beaut et la magnificence dIstanbul. Surtout sa tristesse. Car pour lauteur de Neige et Mon nom est rouge, Istanbul est une ville mlancolique . Le sentiment fondamental qui rgne sur Istanbul, crit Pamuk, et sest propag dans les environs de la ville ces cent cinquante dernires annes (1850-2000) est incontestablement de la tristesse, je nen ai pas le moindre doute (...) et tout cela a t pour la premire fois crit par des potes franais. Pamuk rapporte les origines de cette tristesse la fin de lempire ottoman, sa dfaite et au sous-dveloppement qui pourrissait insidieusement la ville dans laquelle il a grandi dans les annes cinquante et soixante. Jai pass ma vie combattre la tristesse, crit-il, essayer de me lapproprier. Ce sentiment de dfaite et de perte, dont Istanbul avait hrit suite la chute de lEmpire ottoman, avait fini par nous affecter nous aussi.


Combattre pour ne pas sombrer dans la tristesse

Aussi, lessai que consacre Pamuk sa ville natale et nourricire est un rcit des combats que celui-ci livre, depuis sa plus petite enfance, pour ne pas senfoncer corps et me dans cette tristesse que les Turcs appellent huzun . En imaginant, par exemple, quand il tait encore petit, quil existait quelque part un autre Orhan qui lui ressemblait mais qui spanouissait dans une vie alternative, dans une autre maison que limmeuble Pamuk des bords du Bosphore dont il tait prisonnier, peut-tre dans une autre ville o le bonheur tait possible. Il y aura ensuite la peinture, lamour qui sont autant de stratgies mises en oeuvre consciemment et inconsciemment pour transcender, sublimer le prsent, marqu par le manque. Ce manque est celui des derniers Grecs, Armniens et autres orthodoxes minoritaires que les meutes de 1955 ont obligs partir. Le manque est celui du pre absent qui, pour chapper la tension familiale, partait se terrer Paris pendant des mois entiers.
Il est question de tout cela et dautres vnements la fois poignants et comiques de la premire tape de la vie de lcrivain (jusqu lge de 22 ans) dans ce trs beau rcit, vocateur dun pass vcu la fois comme hritage et destin. Mlant avec brio le biographique de la ville et lautobiographique, lauteur russit clairer les liens mystrieux ( Parler de moi revient parler dIstanbul et vice-versa ) qui le rattachent tout jamais sa cit en noir et blanc, comme les 208 photographies du temps rvolu qui ponctuent son rcit.

Istanbul, souvenirs dune ville, par Orhan Pamuk. Traduit du turc par Savas Demirel, Valrie Gay-Aksoy et Jean-Franois Prouse. Editions Gallimard, 443 pages, 22 euros.


Tirthankar Chanda

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