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26/06/2007 | |||
Livre : Perdus dans la ville, de Edward P. Jones Rcits compassionnels et subtils | |||
(MFI) Salu par la presse internationale, lAfricain-Amricain Edward P. Jones compte parmi les grandes voix de la littrature amricaine contemporaine. Les ditions Albin Michel viennent de publier son tout premier recueil de nouvelles. | |||
Le nom de lAmricain Edward P. Jones reste troitement associ son roman Le Monde connu, couronn par le prix Pulitzer en 2004. Ce rcit pique sur lesclavage vu sous langle des esclavagistes noirs des Etats-Unis, qui avaient souvent recours aux mmes mthodes cruelles de contrle et de rpression des esclaves que les propritaires blancs, a valu son auteur une critique dithyrambique le comparant Faulkner et Morrison. Peu de romanciers ont su dcrire les humbles et les marginaux avec autant de compassion et de finesse dobservation. Des qualits que lon retrouve dans le recueil de nouvelles de Jones Perdus dans la ville qui parat en traduction franaise ces jours-ci. Publies en 1993, ce sont ces quatorze nouvelles, dont laction se droule Washington, qui ont fait connatre Jones et ont rvl cette capacit particulire quil a de crer des personnages universels qui transcendent leurs milieux (classe moyenne, pauvres) et leurs particularismes (Amricains noirs) pour incarner des combats ternels de lhomme pour la dignit et pour la reconnaissance. Lhomme que souvent Jones place au centre de ces nouvelles est la femme. Femme noire : mres qui se battent pour assurer une meilleure vie leurs enfants, jeunes femmes qui tentent de sassurer que leurs fiancs ne connatront pas dautres femmes avant daccepter de se donner Parlant de sa propre mre, qui est un peu la modle pour ses personnages, Jones a souvent expliqu que quand vous avez t lev par une femme dont vous savez que la vie na pas t facile, vous ne regardez plus les femmes autour de vous comme des personnes fragiles. Vous savez quelles sont capables de trouver un chemin mme quand il ny en a aucun . Cest ce que russit faire la mre illettre de la nouvelle poignante intitule Le premier jour, qui doit remplir des formulaires compliqus pour inscrire sa petite fille lcole. - Cet imprim. Ca ne vous drangerait pas de maider le remplir ? La femme semble toujours ne pas comprendre. - Je ne peux pas le lire. Je ne sais ni lire ni crire, et je vous demande de maider. Ma mre me regarde, puis dtourne les yeux. Je connais quasiment tous ses regards, mais celui-ci est totalement nouveau pour moi. Vous voulez bien maider, alors ? Renouer avec son humanit bafoue en disant non Marie, protagoniste octognaire de la nouvelle sur laquelle le recueil se clt, est, elle aussi, anime de cette force surhumaine, lorsquelle gifle lagente de la Scurit sociale qui la fait venir jour aprs jour et poireauter dans la salle dattente des matines entires. Elle passe son temps bavarder avec sa collgue de ses conqutes amoureuses, mais na pas le temps de recevoir la vieille femme, inquite de savoir si la Scurit sociale maintiendra les indemnits supplmentaires auxquelles elle a droit cause de son grand ge ! Il y a beaucoup de souffrances dans cet univers en noir et blanc que dcrit Perdus dans la ville. Ces souffrances sont parfois lies au racisme, la volont de domination et dhumiliation des faibles par les plus forts, en loccurrence les Blancs. Mais la prose de Jones nest pas une prose militante. Tout lart de ce romancier amoureux de ses personnages perdus , au sens propre comme au figur, consiste suggrer les tourments de lme et sattarder avec une admiration affectueuse sur ces moments o ses protagonistes renouent avec leur humanit bafoue en disant non . Il y a aussi beaucoup daffection et de chaleur humaine, comme dans la premire et probablement la meilleure nouvelle du volume, La petite fille qui levait des pigeons, o on voit un pre tenter de protger en vain sa fille du spectacle sanguinolent de ses pigeons apprivoiss massacrs par des rats. Sous la plume compassionnelle et raliste de lauteur du Monde connu, les pigeons agonisants, tranant affols dans leur pigeonnier, deviennent les mtaphores dun monde cruel et affligeant qui npargne ni adultes ni enfants. Le pre de Betsy Ann, comme sans doute beaucoup dautres pres avant lui, est rduit accepter son incapacit et son insignifiance. Il serra les paupires aussi fort quil le put et se mit prier, et quand il rouvrit les yeux, la matine tait encore plus lumineuse. Perdus dans la ville, par Edward P. Jones. Traduit de langlais par Nadine Gassie. Editions Albin Michel, 350 pages, 22 euros. | |||
Tirthankar Chanda | |||
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