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18/09/2007
A voir : Les beaux jours du Bembeya Jazz

(MFI) Coordinateur du festival Jazz Ouaga, historien, le ralisateur burkinab Abdoulaye Diallo retrace lhistoire du Bembeya Jazz national de Guine. Un documentaire o tmoins et acteurs font revivre lcran ce groupe culte de lAfrique post-indpendances. Prochaine diffusion de ce film dj prsent au Fespaco 2007 : la mi-octobre au festival dAnvers, en Belgique.

Aprs Borry Bana (2003, sur laffaire Norbert Zongo) et Tl-Guerre (2006, sur la rbellion ivoirienne), Abdoulaye Diallo nous conduit Sur les traces du Bembeya Jazz (2007). La renomme de ce groupe mythique qui a fait danser la Guine et, au-del, toute lAfrique, aux lendemains des Indpendances, atteint son apoge au dbut des annes soixante-dix quand il devient le porte-drapeau de la rvolution culturelle mene par Ahmed Skou Tour, le pre de lindpendance guinenne, qui en fait un instrument de sa propagande. Synthse de rythmes afro-cubains et mandingues, la musique moderne guinenne symbolise cette rvolution culturelle en marche.
Le Bembeya Jazz nest pas seulement guinen, affirme demble le prsident malien Amadou Toumani Tour. Le Bembeya est ouest-africain. Le Bembeya est africain. Le Bembeya est international. Photos et films darchives du prestigieux orchestre guinen se succdent, comments par les tmoins et les acteurs dune histoire qui a pris des allures de lgende. Premier ministre de la Guine en 2005, Cellou Cellein Diallo rapporte la fiert quil prouvait en entendant les chansons du Bembeya Jazz diffuses lpoque sur les ondes des radios africaines et internationales.

Dans lesprit rvolutionnaire de lpoque

Ctait vraiment le top top , se souvient une fan du Burkina, sduite surtout par le charme des sons de guitare de Skou Bembeya Diabat, alias Diamond fingers. Il peut te faire danser, te faire pleurer, te faire rire. Il peut tout faire ! Emouvant, en effet, ce guitariste virtuose qui enlace tendrement sur scne son instrument quil considre comme sa premire femme. Contrairement au chanteur du groupe, Salifou Kaba, menuisier bniste originaire de Kankan qui raconte comment il a choisi, dans lesprit rvolutionnaire de lpoque, la musique contre lavis de sa famille, pour Diabat cest une affaire de famille : son pre jouait du balafon et de la guitare acoustique.
Film sur le parvis de sa maison, Skou Bembeya enregistre un duo mmorable avec son matre, Grand Papa Diabat, vieillard jovial au visage mang par dnormes lunettes rondes. Autre moment fort de musique, le duo de Skou, lors du festival Jazz Ouaga, avec lautre grand matre du blues africain, Ali Farka Tour ; ce dernier, comme Grand Papa Diabat, est mort peu aprs les tournages, et le film leur est ddi.

Un peuple ne se dveloppe pas sans sa culture

A la cit des artistes, les vtrans du groupe, dont le trompettiste Achken Kaba et le premier chef dorchestre, Hamidou Diawin, voquent les chefs dEtat devant qui ils ont jou, de Lopold Sdar Senghor Flix Houphout-Boigny, William Tolbert ou Gnassingb Eyadema Remarque, on a vcu hein ! On a seulement pas grossi... Sinon on a beaucoup mang ! , plaisantent-ils simplement. Une manire dvoquer lge dor, celui o la culture tait reine. Achken nen finit dailleurs pas de remercier le prsident Skou Tour, qui leur a tout donn. Le leader guinen disait qu un peuple ne se dveloppe pas sans sa culture . Cest sa veuve, Adja Andre Tour, qui le rappelle. Et de prciser : On avait ni longtemps la culture africaine. Cest la raison pour laquelle, sitt aprs linvestiture de son poux, partout dans le pays naissent des ballets, des troupes de thtre, des ensembles folkloriques et des orchestres , raconte Abdoulaye Diallo. Objectif : enseigner, parler et chanter guinen.
Cest dans ce contexte que lorchestre Syli Jazz emprunte le nom dune rivire locale et devient le Bembeya Jazz le 15 avril 1961. Toute la troupe, pendant le tournage, se rend dailleurs Beyla, 900 kilomtres lest de Conakry, o lorchestre a vu le jour. Ils y sont reus avec les honneurs rservs aux chefs dEtat.
A lpoque, le gouvernement organisait une Biennale rcompensant les meilleures formations du pays. Le Bembeya, aprs avoir trois fois remport le premier prix, sinstallera Conakry en 1965, o il est lev au rang dorchestre national et ses musiciens sont totalement pris en charge par le budget de lEtat. Il devient une des fierts des Guinens et de leur prsident Skou Tour qui lentoure de toute son attention. Une complicit sinstalle , commente le ralisateur burkinab. Cest comme un arbre quil avait plant , dit en cho Achken Kaba.

De la compatibilit de la musique avec la religion musulmane

Cinq ans plus tard, le Bembeya est si populaire que ses morceaux, Doni Doni, Mami Watta, Ballak, ou Wiskhy soda sont repris en chur partout en Guine, et au-del, en Afrique. Wiskhy soda, cest pas bon Nos compres Diawin, Achken ou encore Sekou Legrow Camara, le trompettiste , sont films devant la grande mosque de Conakry. Devenus entre temps El Hadj, ils nen finissent pas dpiloguer sur la compatibilit de la musique avec la religion musulmane qui associe cette dernire la consommation dalcool. Dsopilant. Quant Salifou Kaba, il avoue se cacher pour boire, et leur rpond par une boutade : A la production imprialiste, il faut opposer une consommation rvolutionnaire.
Point culminant pour le groupe, 1968. A loccasion du concours qui clbre le retour des restes mortuaires des hros nationaux , le Bembeya cre un morceau pique dune demi-heure, Regard sur la pass, qui emporte le premier prix. Il fait un parallle entre le 28 septembre 1958, quand la rvolution sous la conduite claire du stratge prsident Ahmed Skou Tour triompha, vengeant ainsi lAfrique du 29 septembre 1898, date de larrestation de lempereur du Wassoulou [Samory Tour] et date de la colonisation effective de la Guine , explique Skou Legrow.
Deux vnements vont plonger pour un temps le Bembeya Jazz dans la lthargie. Dabord la mort de son chanteur vedette, Aboubacar Demba Camara auquel le film est aussi ddi , que lon prend plaisir entendre et voir chanter, notamment sur la scne du Festival dAlger en 1969. Puis celle du mentor, Skou Tour, qui sest teint en 1984, rappelle le cinaste burkinab, visiblement sduit par cette priode qui lui rappelle sans doute plus dun titre les annes Sankara. Do cette vision idalise quil restitue dun pass o la musique prime largement sur le politique.




Sur les traces du Bembeya Jazz (2007) est une coproduction de Jazz Ouaga, Semfilms et Africalia( Belgique). Contact ralisateur : Abdoulaye Diallo, micailou@yahoo.fr

Antoinette Delafin

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