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02/10/2007 | |||
Livre : Les belles choses que porte le ciel, par Dinaw Mengestu | |||
Tous les exils du monde (MFI) Dans un rcit serr, truff dchos littraires, le jeune Africain-Amricain Dinaw Mengestu raconte les heurs et malheurs dun exil thiopien Washington. Un premier roman impressionnant et prometteur. Dinaw Mengestu, dont parat ces jours-ci la traduction franaise dun premier roman dune grande maturit, est dorigine thiopienne. N Addis-Abeba la fin des annes soixante-dix, il a grandi aux Etats-Unis o il arrive ds lge de deux ans. Cest dans son exprience intime des douleurs de lexil, de la nostalgie du pays natal ( Je continue maccrocher dlibrment, et parfois farouchement, un pays o je ne suis pas all depuis vingt-cinq ans ), du racisme dune violence inoue dont les jeunes Noirs font encore les frais dans les coles amricaines quarante ans aprs les marches triomphales pour les droits civiques, que ce jeune auteur a puis la matire de son rcit dune odysse spirituelle la Dante, barde florentin auquel, dailleurs, lEthiopien a emprunt le titre de son ouvrage : Les belles choses que porte le ciel. Tir de la Divine Comdie, ce vers devient ici la mtaphore de lAfrique venir alors que le protagoniste de Mengestu na connu du continent noir que la terreur, la misre et la drive. Protagoniste et narrateur, Sepha Stphanos a fui la terreur rouge thiopienne, pouss lexil par sa mre aprs que le pre fut humili, tortur et assassin sous les yeux de sa famille. Depuis, les jours et les nuits de cet exil qui sest install dans un ghetto misreux de Washington o il tient une picerie, sont remplis de ces pertes, celle du pre laquelle sest greffe celle du pays. Comment tais-je donc cens vivre en Amrique, alors que je navais jamais vraiment quitt lEthiopie ? , se demande Sepha. Un sentiment de vide et dabsence domine le rcit ds les premires pages et lui donne une tonalit trs sombre, claire seulement par des rencontres potentiellement libratrices, mais qui se rvlent tre en fin de compte des impasses. Tel est le destin de la relation qui se dveloppe entre le narrateur et sa voisine blanche qui emmnage dans une des maisons dcaties du Logan Circle, rnove coups de milliards. Universitaire prospre, Judith lve seule sa fille Naomi, onze ans, lenfant de son mariage rat avec un conomiste mauritanien, enseignant brillant mais mauvais mari et pre. Mre et fille se lient damiti avec lpicier thiopien qui se rvle tre un homme attentif et cultiv. En qute dun pre quelle na pas beaucoup connu, Naomi passe lessentiel de ses loisirs dans lpicerie de Sepha, obligeant celui-ci lui raconter des histoires ou lire haute voix avec et pour elle des pages des romans quelle emprunte la bibliothque de son cole. Les Frres Karamazov est lun de ces romans. Avec brio, Mengestu a su transformer sa lecture en un moment de communion entre deux tres la drive, cherchant dsesprment des ancrages. Le discours dAliocha que Spha voque la fin du roman correspond bien, a expliqu lauteur lors dun entretien accord au New York Times, la leon que Spha veut faire passer Naomi comme lui-mme, savoir que nous cherchons tous une faon dtre sauvs de ce que nous sommes et de ce que nous sommes devenus, et quil est possible de trouver ce salut dans le souvenir de ce que nous fmes un jour. Se faisant ainsi aider par les classiques de tout temps (Dante, Dostoevski, mais aussi Naipaul, Saul Bellow ou Joyce), Dinaw Mengestu a bti un rcit bouleversant de terreur et de rconfort impossible. Sa russite principale est peut-tre davoir su transformer son rcit personnel, familial, local en un mythe moderne et universel de la condition humaine. Comme en tmoignent ces phrases pleines dautodrision et de compassion que prononce le narrateur en guise de conclusion : Un homme coinc entre deux mondes vit et meurt seul. Cela fait assez longtemps que je vis ainsi, en suspension . | |||
Tirthankar Chanda Les belles choses que porte le ciel, par Dinaw Mengestu. Traduit de lamricain par Anne Wicke. Edition Albin Michel, 305 pages, 21,50 euros. | |||
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