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09/10/2007
Les Francophonies en Limousin
Marie-Agns Sevestre : LAfrique est tout, sauf immobile ou traditionnelle


(MFI) Avec une programmation particulirement riche (31 spectacles dont 10 premires en France, 3 crations et 7 coproductions), la 24 dition du Festival des Francophonies en Limousin, qui vient de sachever, est la deuxime signe Marie-Agns Sevestre. La nouvelle directrice souhaite donner une coloration rellement cosmopolite ce rendez-vous annuel cr en 1984 par Pierre Debauche et Monique Blin tout en privilgiant les productions africaines qui demeurent lancrage spcifique de ce Festival. Le public a ainsi pu dcouvrir, Limoges et dans ses environs, une gnration dartistes africains qui ont pour noms Dieudonn Niangouna (Congo), Faustin Linyekula (RDC), Andreya Ouamba (Sngal), Kettly Nol (Mali) et Nelisiwe Xaba (Afrique du Sud). Ldition 2007 a aussi fait une large place au thtre europen (Belgique, Suisse, Italie), avec pour objectif dexplorer les regards que la vieille Europe porte sur elle-mme. La musique qui, depuis deux ans, occupe une place prpondrante tait reprsente par la vedette de la scne rock-ra franaise, Rachid Taha, mais aussi par le Mozambicain Chico Antonio et le Malgache Marius Fontaine. Entretien avec Marie-Agns Sevestre.

MFI : En matire darts de la scne, la Francophonie nest-elle pas une tiquette troite ?
Marie-Agns Sevestre : Le territoire artistique du Festival des Francophonies en Limousin est inscrit dans son nom. Le projet des pres fondateurs de cette manifestation consistait runir les artistes dramatiques de langue franaise de par le monde. Mais progressivement, le festival sest ouvert aux spectacles en dautres langues, sous la direction de mon prdcesseur Patrick Le Mauff, qui avait introduit la notion de langue invite . Pour ma part, je reste attache lide de la francophonie fondement et raison dtre de ce festival. Mais je sais aussi que partout o on pratique le franais et cre en franais, la langue de Molire se trouve au confluent dautres langues : langlais, le crole, le hindi, le flamand, litalien, lallemand et les langues africaines. Mme en France, o il a pendant longtemps joui dune position de monopole, le franais se retrouve aujourdhui dans une situation de bilinguisme, devant cohabiter avec larabe ou les langues africaines qui sont les langues maternelles de nombreux nouveaux Franais. Cest cette ralit auditive de bilinguisme et de plurilinguisme qui dfinit la francophonie dans le monde que je tente depuis deux ans de faire sentir Limoges.

MFI : Ceci explique sans doute la prsence de Flamands, dItaliens et dautres non-francophones ?
M.-A. S. : Il ma sembl en effet que le meilleur moyen dexplorer comment le franais cohabite avec dautres langues, ctait douvrir les Francophonies nos voisins les plus proches : Belgique, Suisse, Italie. Il me semble que les rendez-vous avec chacune des cinq troupes invites ont t la hauteur des espoirs suscits. Les Flamands de KVS ont jou la fois en flamand et en franais. A Bruxelles, cette troupe travaille beaucoup sur les barrires linguistiques entre les populations, mais aussi entre les gnrations. Indite aussi, la reprsentation de la saga Ubu, du Franais Alfred Jarry, par la compagnie Teatro delle Albe avec de jeunes agriculteurs sngalais. Les acteurs parlaient litalien, mais aussi le franais et le wolof !

MFI : Est-ce cette mme recherche de la francophonie en situation qui vous a conduit btir une partie de la programmation avec les lusophones du Mozambique ?
M.-A. S. : Oui, mais le dclic pour cela est venu de Jean-Paul Delore, qui tait en rsidence au Mozambique pour laborer Peut-tre, son opra parl, chant, qui tait une commande du Festival. Cest une premire pour le Festival des Francophonies qui na jamais coproduit en dehors de la zone francophone. Voyez-vous, la cration est libre ; cest aux programmateurs daller la dnicher l o elle se dploie. Jean-Paul Delore, donc, metteur en scne gnial que je connais depuis longtemps et que je souhaitais inviter au Festival, avait fait le choix daller rpter au Mozambique, de sinspirer de la vitalit thtrale et musicale de ce pays. Je suis alle le voir Maputo. Jai vu Delore au travail, mais aussi des artistes mozambicains de grand talent tels que le guitariste-chanteur-compositeur Chico Antonio ou lcrivain Mia Couto. Jai pass une semaine trpidante l-bas et jen suis revenue avec une programmation lusophone, car je voulais partager avec le public du Festival mes blouissements.

MFI : Les Mozambicains nont pas t les seuls artistes africains Limoges
M.-A. S. : LAfrique reste lun des principaux ancrages de ce festival. Non pas pour des questions dhistoire ou didologie, mais tout simplement parce quil se passe normment de choses passionnantes en Afrique sur le plan culturel. Cette anne, jai invit des spectacles qui racontent comment ce continent est en train de changer sous nos yeux, inventant sa propre modernit culturelle, sociale, politique. Contrairement ce que professait il y a peu le prsident Sarkozy, lAfrique est tout, sauf immobile ou traditionnelle. Mais dans ces mutations, il y a beaucoup de pertes. Cest ce que raconte quelquun comme le Congolais Dieudonn Niangouna, qui appartient la nouvelle gnration dartistes africains qui rejettent la fois la thtralit franaise et les rfrences loralit et la tradition africaine. Ils inventent leurs propres rfrences. Leurs dmarches me font penser ce que le jazz fut dans les annes 1930-40, une musique qui avait ses ancrages dans la vie des Noirs amricains et qui, en mme temps, mettait nu la socit dans laquelle ceux-ci voluaient. La culture africaine se retrouve aujourdhui dans un moment similaire de synthse.

Propos recueillis par Tirthankar Chanda

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