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23/10/2007
Wole Soyinka honor en France

(MFI) Laffiche reprsentant le prix Nobel la barbe grisonnante et aux yeux perants stalait partout Aix-en-Provence, du Cours Mirabeau jusquau campus de luniversit de Provence. Du 19 au 21 octobre, la ville mridionale franaise a ft Wole Soyinka, le temps dun week-end, long mais aucunement monotone.

Il y a vingt-cinq ans, lorsque Annie Terrier a cr lassociation Ecritures croises pour partager avec le public provenal ses coups de cur en littrature trangre, elle tait loin dimaginer le formidable intrt que son initiative allait susciter et lextraordinaire ampleur prise depuis par les rencontres quelle organise autour dun thme ou dun crivain minent. Quand jtais jeune, jai souvent assist Paris des manifestations littraires qui avaient pour but de sortir le livre des librairies et des bibliothques, se souvient-elle. Jai eu envie de crer quelque chose de similaire sur le plan rgional. Mais si je mattendais un tel succs ! En effet, depuis 1995, le temps dun long week-end dautomne, lamphithtre de la Verrire de la Cit du Livre dAix-en-Provence devient le point de ralliement dune foule compacte de plusieurs centaines de lecteurs et damateurs de la bonne et grande littrature. Ils viennent, de prs et de loin, pour bavarder avec ou tout simplement pour couter parler un Naipaul, un Coetzee, un Kenzaburo O, une Toni Morrison ou un Gnter Grass, pour ne citer que les plus clbres. Le week-end dernier, loccasion de ldition 2007 de la Fte du Livre, le public dAnnie Terrier avait rendez-vous avec Wole Soyinka.

La conscience dune Afrique en train de se forger une identit moderne

Prix Nobel de littrature 1986, Wole Soyinka compte parmi les plus grands de la littrature contemporaine. Auteur de romans, de posies, de thtre et de nombreux essais politiques et littraires, le Nigrian sest impos au cours des dernires dcennies la fois comme la voix et la conscience dune Afrique qui tente de se forger une identit moderne travers ses pagailles, ses guerres, ses famines, mais aussi travers ses succs, discrets et moins discrets, tant sur le plan de la culture (musique, littrature, danse) que sur celui de la politique (Afrique du Sud, Ghana, Mali...) et de lconomie. Face ces dfis formidables, proclamait lditorial dEcritures croises, Wole Soyinka (...) dit en langue anglaise savamment mle de yorouba sa maison, son pre, sa mre, les traditions, les milieux coloniaux, la corruption et les oppressions daujourdhui, la modernit dantesque des villes et des routes. Il dit les itinraires du monde qui vont dhier aujourdhui et demain, les exils et les retours, dune Afrique douloureuse une Afrique responsable, dans la dnonciation vhmente mais optimiste des fautes et des crimes, dans laffirmation des grandeurs, sans fanfaronnade et sans faiblesse. Il a t question de tout cela Aix. Entour de spcialistes de son uvre, dcrivains et dditeurs, le prix Nobel nigrian a parl de la situation politique de son pays, de lAfrique daujourdhui et du sens et du non-sens de la littrature dans un monde constamment tiraill entre la cruaut et labsurde. Le dbat tait plac sous le signe de La maison et le monde , thmatique emprunte un roman de lIndien Tagore adapt au cinma par Satyajit Ray. Pour moi, la maison et le monde ne sont pas ncessairement opposes. Cest dailleurs dans la fusion intelligente des deux que se trouve peut-tre lquilibre dont on a besoin pour tre soi-mme et utile nos contemporains , a affirm Soyinka.
La venue de ce dernier Aix-en-Provence a concid avec la sortie, ce mois-ci en traduction franaise, dun nouveau volume de ses mmoires, potiquement intitul Il te faut partir laube (Actes Sud, 2007). Faisant suite ses prcdents crits autobiographiques sur lenfance, la mort des parents, les turbulences nigrianes, ce livre retrace quarante annes dactions politiques de lauteur avec pour seul objectif de mettre fin linjustice, la corruption et la tyrannie qui demeurent, selon Soyinka, les principaux flaux de lAfrique contemporaine. La justice, aime-t-il dire, est la premire condition de lhumanit. Cette conviction explique sans doute lactivisme politique intense dont fait preuve le prix Nobel depuis sa jeunesse. Mais quand on lui demande pourquoi ne se prsente-t-il pas alors aux lections, la rponse fuse: Cest parce que jaime trop ma tranquillit, ma paix! Rponse qui na jamais vari depuis quarante ans et que le Nigrian a eu loccasion de rappeler ce week-end ses interlocuteurs provenaux, tous sans doute un tantinet interloqus par ce mariage tonnant de force de conviction et de capacit de distanciation !

Francis Abiola Irele* : Soyinka reprsente, lui seul,
lavant-garde de la culture africaine


MFI : Quelle est la place de Soyinka dans la tradition littraire anglaise ?
F.A.I. : Bien que ses oeuvres les plus importantes soient maintenant au programme des universits amricaines ou anglaises, il ne fait pas encore partie du canon , contrairement un James Joyce, par exemple. Je cite Joyce dessein parce que, dorigine irlandaise, celui-ci a longtemps t priphrique avant de trouver sa place au cur des tudes littraires anglophones. Pour beaucoup duniversitaires, la dcouverte de Soyinka date de son obtention du prix Nobel de littrature en 1986. Ce prix a t un tournant dans la reconnaissance de la valeur littraire et esthtique des crits de Soyinka. Il a permis aux spcialistes de la littrature africaine de se saisir des oeuvres de Soyinka comme des oeuvres littraires part entire, sans les rduire leur part anthropologique et/ou ethnologique. Rappelons que Soyinka est enseign depuis longtemps dans les universits africaines o il est considr comme un crivain fondamental.

MFI : Pourquoi fondamental ?
F.A.I. : Soyinka, comme Chinua Achebe, sont des pionniers qui ont sorti la littrature africaine anglophone de limaginaire colonial. Ils lont fait chacun leur manire. Alors que Chinua Achebe est un romancier dot dune vision historique la Tolsto, qui a su recoller les verres casss de notre conscience, Soyinka puise sa force dans la dynamique mme de la vie africaine, souterraine, transformant la tradition, les mythes, les symboles en des ingrdients de notre modernit prsente ou venir. Son oeuvre se caractrise aussi par sa trs grande diversit dinspiration et de forme. Romancier, homme de thtre, pote, essayiste, pamphltaire, critique littraire, il manipule les genres sa guise, repoussant un peu plus chaque fois les frontires, les horizons dattente. Cest ce qui fait que Soyinka est un crivain moderne. Il reprsente, lui seul, lavant-garde de la culture africaine.

MFI : Quest-ce qui fait la modernit de Soyinka ?
F.A.I. : Son style, son esthtique, ses modes de discours. Il a su marier parfaitement lhritage des moderniste europens (Joyce, Eliott, Woolf) avec les formes et les structures de la culture yorouba dont il est issu. Cest ce qui fait que son oeuvre dpasse largement les frontires nationales ou raciales.
Propos recueillis par T. C.

*Professeur dtudes afro-amricaines et de langues et littratures romanes luniversit Harvard, aux Etats-Unis.

Tirthankar Chanda

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