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27/11/2007
Pierre Brunel : La posie de Senghor trace les chemins de lavenir


(MFI) La collection Plante libre des ditions du CNRS publie un magnifique volume de posie complte du pote-prsident. Cest un ouvrage monumental de plus de 1300 pages une dition critique qui a pour objet de donner les clefs dune uvre littraire marquante, dont loriginalit est de se situer au carrefour de plusieurs traditions et de cultures. Entretien avec le professeur Pierre Brunel, de la Sorbonne, qui a pilot le projet.

MFI : Quest-ce quune dition critique ?

Pierre Brunel : Cest une dition annote qui fournit un certain nombre dlments documentaires ou dapprciation de luvre en question. Pour ldition critique de la posie de Senghor que nous venons dtablir, nous sommes partis de la version dfinitive de luvre potique de Senghor parue aux ditions du Seuil en 1990, qui avait t supervise par le pote en personne. Nous avons ajout les variantes quand nous avons russi les reprer. Puis, chaque pome est annot trs prcisment. Il y a aussi des lments dinformation, une chronologie, des notices sur les situations historiques des diffrents recueils et puis un gros dossier de textes critiques sur Senghor. Cette section augmente beaucoup le volume, mais permet pour la premire fois un rassemblement complet dclairages critiques de luvre senghorienne.

MFI : Vous voquez, dans la prface, les traductions faites par Senghor. Pourquoi les avoir exclues de cette posie complte ?

P. B. : Senghor a surtout traduit des anglophones, notamment T.S. Eliot, Dylan Thomas, un pote quil aimait manifestement beaucoup et, bien sr, Thomas Manley Hopkins dont il se sentait proche pour des raisons qui tiennent sa foi chrtienne. Nous avions initialement prvu dajouter ces textes qui avaient paru aux ditions de lHarmattan sous le titre La Rose de paix, et puis malheureusement, comme louvrage devenait monumental, il fallait lallger. On a donc sacrifi les traductions. Cest dommage car les traductions de Senghor sont tout fait originales et tmoignent dun aspect inconnu de son travail potique. Je me propose de publier un jour une dition critique de ces traductions, en donnant lire paralllement, quand cest possible, la traduction courante, pour que le lecteur puisse juger de la qualit du travail de Senghor.

MFI : Vous tes comparatiste. Comment avez-vous dcouvert la littrature africaine et Senghor en particulier ?

P. B. : Je suis spcialiste de la posie de Paul Claudel. Je me souviens davoir assist une magnifique confrence donne par Senghor sur Claudel en 1972. Cest par ce biais-l que jen suis venu Senghor.

MFI : Une des questions qui traverse lensemble de cet ouvrage concerne linscription de luvre de Senghor dans la littrature franaise. Pour vous, Senghor sinscrit-il dans la tradition potique de sa culture srre ou dans la tradition franaise

P. B. : Je suis de ceux qui pensent quil ne faut pas sparer littrature franaise et littrature francophone. Pour moi, cest un ensemble. Il ny a pas de clivages absolus. Quant Senghor, cest un pote qui rassemble en lui plusieurs types de formations, plusieurs cultures. Cest un homme qui a eu le got et le gnie de la synthse, sans jamais rien sacrifier. Sa posie tmoigne de ce tissage trs complexe, trs divers et en mme temps sans rupture qui le constitue. On ne peut rien comprendre sa posie si on ne tient pas compte de son fond srre. En mme temps, on ne peut pas oublier que Senghor tait agrg de grammaire, tomb trs tt dans la culture classique occidentale. Qui plus est, il avait le got des auteurs latins et des auteurs grecs. Enfin, Senghor a vcu pleinement laventure littraire de son temps, subissant linfluence des grands auteurs du XIX et du XX sicle : Baudelaire, Claudel, Pguy et quelques autres. Les analyses que nous proposons dans cette dition critique permettent de rendre compte pleinement de ce travail de synthse. Si on admire cette uvre, cest prcisment parce que la synthse est parfaitement russie et quelle est entirement domine par la personnalit forte de lauteur.

MFI : Vous signez lun des articles critiques de cet ouvrage qui a pour titre : Senghor aujourdhui . Peut-on encore lire Senghor au XXI sicle ?

P. B. : Forcment, cent ans aprs la naissance dun homme, forcment, aprs la mort dun homme, forcment, aprs lachvement dune carrire potique et politique en loccurrence, on peut se demander si cet homme nappartient pas au pass, si ce nest pas un monument. La mme question sest pose pour Baudelaire qui a t lune des sources dinspiration de Senghor. Cest seulement aprs la Seconde Guerre mondiale quon a procd la rvision du procs des Fleurs du mal. Il a fallu tout ce temps pour se poser la question de la pertinence de Baudelaire. Pour Senghor, il a fallu moins longtemps, mais il a fallu aussi passer par le temps de clbration officielle ou plutt de non-clbration officielle, le temps de contestation de lhritage car les crivains africains daujourdhui ne se reconnaissent pas ncessairement dans la ngritude de Senghor. A la question de la pertinence de Senghor pour les lecteurs du XXI sicle, ma rponse sera double : oui et non. Non, car il y a une part de cette uvre qui est videmment date et porte la marque de lhistoire. Cest une uvre qui est aussi sujette contestation cause justement du mlange des cultures dont elle procde. Mais quand on parvient slever au-del de toutes ces contingences, on se rend compte que la vraie modernit de Senghor, cest de proposer une philosophie prospectiviste qui trace travers sa posie, travers son propre exemple dhomme ml, les chemins de lavenir.

Lopold Sdar Senghor: posie complte. Edition critique , coordonne par Pierre Brunel, collection Plante libre , CNRS ditions, 2007, 1313 pages, 30 euros.

Propos recueillis par Tirthankar Chanda

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