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16/01/2008
Le Raharimanana nouveau est arriv : un chef-duvre de dlire et de jubilation

(MFI) On ne prsente plus Raharimanana. Cet crivain quadragnaire qui a russi faire oublier son prnom, sans doute pour mieux faire apparatre son identit malgache, est lune des valeurs sres des lettres africaines contemporaines. Venu la littrature par la posie, il est aussi lauteur de nouvelles, dessais, de pices de thtre et de romans. Za, qui vient de paratre aux ditions Philippe Rey, est le second roman de Raharimanana.

Aprs avoir enseign pendant trois ans dans un collge dAntananarivo, Jean Paulhan avait crit dans une lettre son pre, en 1910, quil aimerait se faire malgache quand il serait trs vieux, car au moins on a une valeur, on peut raconter des choses . On peut se demander si le futur directeur de la NRF aurait toujours voulu devenir malgache aprs avoir parcouru quelques-unes des pages de la prose sombre et critique de Raharimanana qui puise sa matire essentiellement dans les dysfonctionnements de la vie sociale et politique de Madagascar. Cette prose est ponctue de viols, de rpression et de corruption flagrante.
Les nouvelles de Raharimanana mettent en scne des mres en train de dchirer violemment les cadavres de leurs ftus pour y cacher la drogue. Dans Nour 1947, son premier roman, lcrivain raconte la dchance dun amant rebelle, condamn ingurgiter le cadavre putrescent de sa bien-aime, aprs lavoir rduit en boue. Son nouveau roman Za, qui parat ces jours-ci, ne droge gure la rgle. Limage rcurrente de ce rcit trs visuel est celle dun pre pleurant son fils emport par le fleuve de cellophane. Tu habites Za, admoneste le narrateur dans un franais approximatif et en tat de putrfaction son tour, le long de ce fleuve de cellophane. Fleuve poubelle qui sarrie sacets en plastique, bouteilles, tles rouilles irrcuprables, cadavre de sien abattu quelque part dans la ville et qui drive ici, bloqu par ces plances pourries formant barraze et digues de fortune.

Une langue dcale, dgrade et pourtant potique

Za est un rcit terrifiant de drliction humaine, de cruauts perptres par lhomme contre lhomme, par les puissants contre les faibles, travers les sicles et travers les pays. Son personnage ponymique est lexemple (mort-)vivant de cette cruaut humaine. Il est victime dune socit qui punit avec extrme svrit toute tentative de subversion. Ancien professeur de lyce, il tait souponn de vouloir corrompre les enfants de la patrie en mettant dans leurs crnes des ides rvolutionnaires de libert, de dmocratie, de fraternit. Alors, Za a t mis au ban de la bonne socit, rduit faire les cents pas sur les trottoirs bonds de la grande ville, invectivant les passants et les passagers des autobus. Il est envoy en prison do larrache son corps dfendant une inspectrice internationale dorigine franaise. Cela donne une des scnes les plus rocambolesques du livre o on voit le lit auquel est menott le hros prendre lautoroute, arrim la voiture de linspectrice. On assiste une vritable poursuite infernale car la voiture de la dame est pourchasse son tour par une bande de citoyens anti-colonialistes qui croient que la Franaise est une voleuse dorganes. Le paroxysme de lhumour et du sarcasme est atteint avec limage du corps nu de Za ficel au lit remorqu la voiture, et celle du pauvre bougre bandant furieusement, ce qui ne manque pas de jeter linspectrice internationale dans la plus grande confusion !
Ce roman quasi-rabelaisien tient sa force de cette crudit, mais aussi de la langue choisie par Raharimanana : un franais pourri , mlange de pidgin, jeu de mots complexes, de franais dgrad et idiomatique, demprunts aux langues africaines. A la fois espace dinventivit et de dfoulement, la langue vomit cette violence au cur des socits modernes dont le romancier a fait ici le principal objet de sa rage dnonciatrice. Cette langue dcale et souvent potique, la drision percutante, la construction narrative moderne qui procde par fragmentations et rptitions, font de ce roman une oeuvre originale et profondment bouleversante. Une oeuvre qui fait penser Kourouma, Sony Labou Tansi et quelques autres grands inventeurs de la littrature africaine contemporaine.


Za, par Raharimanana. Edition Philippe Rey, 304 pages, 19 euros.

Tirthankar Chanda

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