| |||
| 04/03/2008 | |||
| Une heure pour lternit, de Jean-Claude Fignol La rvolution franaise est morte Hati | |||
| (MFI) Polyphonique et potique, le nouveau roman de Jean-Claude Fignol raconte la reconqute dHati par le corps expditionnaire dpch par Bonaparte en 1802. Jetant aux orties les idaux de la rvolution, les troupes napoloniennes torturent, tuent, massacrent et rtablissent lesclavage. | |||
| Hati est une petite le, mais particulirement riche en potes et romanciers. Sa densit dcrivains au mtre carr se compare favorablement aux grandes villes littraires du monde que sont Londres, Paris ou New York. Cette richesse se traduit aussi par une vaste diversit de sensibilits littraires, qui vont du primitivisme au ralisme merveilleux, en passant par lindignisme, lanti-duvalirisme, le ralisme social, les littratures rotiques et du terroir, pour ne citer que les courants les plus marquants. LHatien Jean-Claude Fignol, qui vient de livrer avec son quatrime roman Une heure pour lternit un texte dune trs grande subtilit imaginative et formelle, appartient pour sa part au mouvement spiraliste , quil a cr dans les annes soixante avec ses compres Franktienne et Ren Philoctte. Le spiralisme a t lorigine de quelques-uns des textes les plus originaux de la littrature hatienne, des textes clats et jubilatoires o se mlent le drame, le potique et le romanesque. Si les premiers romans de Fignol (Les possds de la pleine lune, Aube tranquille et Hofuku) sinspirent bel et bien de cette sensibilit spiraliste et tentent de sapprocher du genre total cher ses thoriciens, son nouveau roman est dinspiration plus classique, mais non moins imaginative quant sa forme et sa narration. Le rcit trois voix de la reconqute violente de lle Nous sommes en 1802. Hati sappelait encore Saint-Domingue, la colonie franaise la plus prospre de la Carabe. Pour mater Toussaint-Louverture qui a pris le pouvoir dans lle la tte dune arme desclaves rebelles, Napolon a envoy un corps expditionnaire que dirige le gnral Victor-Emmanuel Leclerc, beau-frre du Premier Consul, mari sa sur cadette. Cest lhistoire de la reconqute de lle, la capture de Toussaint, le massacre des civils et la terreur que font rgner les troupes franaises, que raconte Une heure pour lternit. Mais trois voix, alternant les regards et les grilles de lecture : cest ce qui fait loriginalit de ce rcit historique et fondateur dun Hati indpendant o, comme la crit Aim Csaire, la ngritude se mit debout pour la premire fois et dit quelle croyait son humanit . Amours, guerre et trahisons La premire voix, celle qui ouvre le rcit, est celle du gnral Leclerc. Mari cocu dune Pauline Bonaparte volage, le gnral se meurt, atteint de la fivre jaune. Il a peine trente ans. Ses monologues sont des dlires hallucins au cours desquels lagonisant interpelle son beau-frre quil accuse de lavoir loign de Paris et de lavoir envoy au casse-pipe. Il converse surtout avec son adversaire Toussaint Louverture, dont lombre ne cesse de le hanter depuis que les soldats franais ont russi le capturer et lenvoyer croupir dans les geles de la mtropole. Pitre politique, Leclerc ne peut se mesurer la grandeur de son ennemi intime, qui a fait siennes les valeurs de la Rvolution alors que lui les a trahies en rprimant dans le sang les aspirations la libert des esclaves noirs de la colonie. Abandonn de tous, le petit gnral se sent seul sur son lit de mort, dsesprment seul . Dautant plus seul que sa femme, reste rvolutionnaire dans lme, tout Bonaparte quelle est, a ralli depuis belle lurette le camp ennemi. La deuxime voix qui porte ce trs beau rcit damours, de trahisons et de guerre sans concession, est justement celle de Pauline Bonaparte, la femme dvergonde du gnral, qui promne son dsespoir damant en amant. Son dsespoir est existentiel, mais aussi politique et li au dlabrement des valeurs rvolutionnaires. Elle est dvaste par les horreurs des massacres et des tortures perptrs par larme de son mari. Sans doute pour racheter le mal commis par les siens, elle livre des secrets de guerre Ption, le ngre dor, chef des rebelles, qui est aussi son amant. Enfin, Oriana, la fidle servante corse des Bonaparte, joue dans ce roman le rle du chur des drames antiques. Elle dit le rel chagrin, la piti, tandis que ses matres senferment dans leurs dlires respectifs. Elle est le tmoin dun prsent qui se dlite et dun futur qui tarde poindre. Ce futur appartient assurment Hati naissant, son peuple desclaves qui ont fait de la libert leur porte-drapeau, la condition sine qua non de leur existence. La longue plainte qui monte de la mer lannonce de la mort du gnral dans les dernires pages de ce roman sombre et potique, incarne ce futur, un futur jamais marqu par les voix touffes, sans droit la parole, dHati colonial. Vritable rcit polyphonique, Une heure pour lternit russit lexploit de nous faire entendre en creux, dans les interstices des voix des vainqueurs, celles des vaincus et des sans-voix. Un tour de force qui rend sa lecture mouvante et jubilatoire. Une heure pour lternit, par Jean-Claude Fignol. Edition Sabine Wespieser, 468 pages, 25 euros. | |||
| Tirthankar Chanda | |||
|
