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25/03/2008
La Sud-Africaine Zo Wicomb explore la schizophrnie mtisse

(MFI) Avec le nouveau roman de la romancire sud-africaine Zo Wicomb, Des vies sans couleur, on est de plain-pied dans larc-en-ciel sud-africain. Seulement, la nouvelle Constitution et les dcrets gouvernementaux instituant une nouvelle Afrique du Sud nont pas su faire disparatre dun coup de baguette magique les lourdeurs du pass. A travers ses personnages issus du mtissage, Wicomb explore cet abme identitaire auquel sont encore confronts les mtis sud-africains, incapables de choisir entre leur hritage blanc et leur ngritude.

Man, dans la nouvelle Afrique du Sud, on peut jouer ce quon veut, dire et chanter ce quon veut, il y en a pour tous les gots et les couleurs. Cest a la libert , sexclame lun des personnages du trs beau nouveau roman de la Sud-Africaine Zo Wicomb. Mais si dans la nouvelle Afrique du Sud, on peut dsormais faire ce quon veut, peut-on tre celui ou celle quon veut devenir ? Sans que la socit ne vous rappelle, par des signes insidieux, do vous venez, mme si lidologie du dveloppement spar a t abandonne depuis belle lurette, mme si les gens ne sont plus fichs par ladministration dans des registres selon leur appartenance raciale ? Lune des scnes les plus mouvantes de Des vies sans couleur de Wicomb est celle o le protagoniste mtis nose pas corriger le fonctionnaire qui corche son nom. Celui-ci crit Kembel au lieu de Campbell. John a senti instinctivement que ce serait une erreur de corriger un homme aussi fringant en kaki... Les mtis du Cap de la gnration de John noublieront sans doute jamais le redoutable test du crayon dans les cheveux que ladministration de lapartheid a longtemps appliqu pour dterminer le statut des mtis demandant se faire classer Blanc . Malgr les stratagmes pour aplatir les cheveux, parfois le crayon refusait obstinment de tomber, fracassant tout jamais les espoirs du candidat dchapper la sgrgation.

Loppression, lexploitation, la souffrance ont chang de visage

Cette schizophrnie mtisse est le vritable sujet de la fiction de Zo Wicomb. Celle-ci a gagn la reconnaissance internationale ds 1987, avec la publication de son recueil de nouvelles You cant get lost in Cape Town (Une clairire dans le bush, Le Serpent Plumes, 2000), qui lui a valu des critiques trs logieuses dont les kudos (louanges) de Toni Morrison en personne : Attrayante, brillante et de grande valeur... Une romancire extraordinaire ! Mme le Sud-Africain Coetzee, rput pour la svrit de ses jugements sur ses contemporains, na pas hsit user de superlatifs pour dcrire luvre de sa concitoyenne : Pendant des annes, nous avons attendu de voir quoi ressemblerait la littrature post-apartheid. Zo Wicomb comble aujourdhui toutes nos esprances , a crit lauteur de Disgrce. Thoricienne de la littrature post-coloniale quelle enseigne dans une universit cossaise, Wicomb est aussi auteur de deux romans (Davids story, 2000 et Playing in the Light, 2006) et sest impose comme lune des voix majeures de la nouvelle littrature sud-africaine. Elle fait partie de la gnration des Zakes Mda (La Madone dExcelsior), des Ivan Vladislavic (Ports disparus) ou des Van Niekerk (Triomf) qui sont en train de remodeler la littrature sud-africaine limage de leurs esprances et de leurs craintes.
Ce qui caractrise ces nouveaux crivains, cest la grille sophistique et complexe quils opposent la ralit de la vie sud-africaine. Le rsultat est mille lieues de lunivers souvent manichen des Gordimer et des Brink qui avaient rsolument inscrit la littrature sud-africaine dans la lutte contre lapartheid. Non, loppression, lexploitation, la souffrance nont pas disparu avec lapartheid, elles ont simplement chang de visage. Ce sont ces nouvelles formes dinquitude quexplorent les littrateurs sud-africains contemporains. Lhrone apparemment blanche , au nom anglais qui claque comme une porte qui se ferme Marion Campbell est reprsentative des bobos du Cap. Femme daffaires, elle vit enferme dans son quartier riche, situ au bord de locan et faisant face la montagne de la Table. Son prsent est fait de luxe, calme et volupt, mais bientt remontent la surface des visions dun pass longtemps refoul. Ce pass a le visage et lintonation de la jeune mtisse que Marion Campbell vient de recruter dans son agence de voyages prospre. Brenda ne se contente pas dtre une employe modle. Elle conduit sa directrice sur les chemins tortueux dune qute identitaire la Faulkner.
Avec cruaut et finesse, lauteur fait poindre la surface un pass fait de hontes, de non-dits et de tabous. Un pass trop lourd porter, mais quil faudra bien assumer pour aller de lavant. Mais lhrone de Wicomb est-elle intellectuellement et socialement prte faire face aux monstres de son pass ?



Des vies sans couleur, par Zo Wicomb. Traduit de langlais par Catherine Lauga du Plessis. Edition Phbus, 288 pages, 19,50 euros.

Tirthankar Chanda

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