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22/04/2008
Vers une normalisation de la littrature africaine

(MFI) Pendant longtemps, les littratures africaines ont souffert dun dficit de visibilit sur la place de Paris. Mais la reconnaissance institutionnelle dont leurs auteurs ont fait lobjet au cours des dernires annes laisse penser que la situation est peut-tre en train de changer.

Clbration de lanne Senghor lAssemble nationale en 2005, entre de lalgrienne Assia Djebar lAcadmie franaise, reprsentation des Orphes noires la Comdie franaise. On pourrait y ajouter lattribution en 2006 de quelques-uns des prix littraires franais les plus prestigieux des crivains africains : le Renaudot au congolais Alain Mabanckou, le Goncourt des lycens la Camerounaise Lonora Miano, le prix RFO la Mauricienne Ananda Devi. En 2007, si aucune uvre africaine na t prime pendant la saison des prix, la voix du continent noir sest fait quand mme entendre, notamment sur la scne prestigieuse du Festival dAvignon o le Congolais Dieudonn Nyangouna sest signal lattention avec sa pice Attitude clando qui proclame sans complexe le nouveau statut de la parole africaine au cur de la francophonie. Une parole qui rclame aujourdhui dtre entendue et qui ne se contente plus dtre relgue aux marges, au sein dune configuration francophone, ingalitaire par dfinition.

Ingalits francophones

Les journalistes racontent lhistoire de ce ministre franais de la Francophonie qui affirmait lors dun cocktail donn par son ministre pour clbrer la vitalit littraire du continent noir, quun auteur africain ngalerait jamais le talent dun crivain franais ! Rappelons-nous aussi lhymne la langue franaise du chanteur emblmatique de la francophonie Yves Duteil : on y chercherait en vain, entre les vocations nostalgiques des couleurs de la Provence et des terroirs du nord au-del de lAtlantique, la moindre rfrence lAfrique, continent qui fournit le plus gros contingent de locuteurs et dcrivains francophones. Ctait comme si le franais africain ntait pas tout fait du franais!
Et pourtant le monde tourne et les perceptions changent. Lentement, mais srement ! Il suffit aujourdhui dentrer dans une librairie pour constater que les littratures africaines ne sont plus relgues dans un coin et que les best-sellers africains sont exposs aux cts des favoris franais du moment. Ainsi, la Camerounaise Calixthe Beyala cohabite avec Marc Lvy, les Mauriciennes Ananda Devi et Nathacha Appanah avec Beigbeder et Amlie Nothomb. Prpares par la reconnaissance internationale des littratures venues dAfrique (prix Nobel de littrature attribu au Nigrian Wole Soyinka en 1986, lEgyptien Naguib Mahfouz en 1988 et la Sud-Africaine Nadine Gordimer en 1991), les mentalits ont progressivement volu au cours des dix dernires annes en France avec une rception plus largie des uvres africaines.
Laccueil rserv la plume pique et satirique de lIvoirien Ahmadou Kourouma en est sans doute lexemple le plus flagrant. Avec son premier roman, Les Soleils des indpendances, paru en 1969, Kourouma connaissait dj un vritable succs destime auprs des universitaires et des spcialistes. Mais cest avec la suite de son uvre qui met en scne avec maestria les tribulations dun continent noir voguant entre dictatures et guerres civiles que le pre de la fiction africaine moderne a su rendre lAfrique lisible. Lisibilit rcompense par lattribution en 1999 du prix du Livre Inter son roman En attendant le vote des btes sauvages, par un jury populaire compos de lecteurs et non de critiques. Louvrage sest vendu plus de 200 000 exemplaires. Kourouma plat. De plus en plus. A preuve, son quatrime roman Allah nest pas oblig (prix Renaudot et Goncourt des lycens 2000) qui atteint les 400 000 exemplaires !


Vent dAfrique

Cest dans le sillage de Kourouma qua merg au cours des annes 1990 une nouvelle gnration dcrivains africains francophones. Ils puisent leur inspiration dans le souffle pique de leur an franco-ivoirien, mais leur propre situation dexils en France ou ailleurs en Occident les a inexorablement conduits mettre en avant leurs aspirations littraires plutt que leur diffrence, prparant ainsi le terrain pour une normalisation de la littrature africaine. Aussi, leurs uvres parlent-elles autant de la ngritude que de leurs parcours, leur migritude selon le terme invent par le critique Jacques Chevrier.
Cette tentative dlargissement par les auteurs africains de leur horizon thmatique, conjugue la prise de conscience par les diteurs du potentiel commercial de ces crivains, a eu pour consquence de renouveler lintrt de ldition franaise pour la production africaine. Tout au long de la dernire dcennie, lon a assist la naissance de collections spcialises telles que Continent noir chez Gallimard, Afriques aux ditions Actes Sud, Monde noir poche chez Hatier ou enfin, la collection littraire du muse Dapper, consacres aux nouvelles littratures africaines.
Paralllement, on a vu les grandes maisons parisiennes (Le Serpent Plumes, Seuil, Plon, Albin Michel, Robert Laffont et autres) inscrire progressivement les uvres africaines dans leurs programmes de littrature gnrale. La boulimie de recherche de ces diteurs de mainstream, intresss par dabord par le succs commercial, nest pas trangre au boom des crivains africains dont parlait le Togolais Kossi Efoui il y a quelques annes (voir Jeune Afrique/LIntelligent n 2167). Les forces de communication et de persuasion dont disposent les grandes maisons ddition ont rendu possible quelques beaux succs ces dernires annes, notamment celui du titre Le Ventre de lAtlantique sous la plume de la Sngalaise Fatou Diome (Anne Carrire), qui sest vendu semble-t-il 200 000 exemplaires, ou celui que connaissent aujourdhui les derniers romans dAlain Mabanckou - Verre cass et Mmoires de porc-pic - (ditions du Seuil).
A partir des annes 2000, la littrature noire a dfinitivement chang dpoque grce ce vent dAfrique qui souffle sur ldition franaise (titre de larticle du magazine parisien qui a rendu compte de ce nouveau phnomne). La nouvelle gnration dcrivains africains a su en profiter pour rappeler ses lecteurs que les questions de langue, de pouvoir et didentit transnationale brasses dans leurs uvres ne sont pas trs diffrentes des dfis que la mondialisation lance aux peuples du monde entier. Bref, Corrze, Zambze, mme combat.


Tirthankar Chanda

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