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29/04/2008
Traite ngrire arabo-musulmane
Pour la plus grande joie des harems dOrient


(MFI) Lanthropologue et conomiste Tidiane NDiaye publie chez Gallimard une enqute historique qui prend lallure dun manifeste. Un essai courageux dans lequel lauteur brise le tabou de la traite ngrire arabo-musulmane en Afrique.

Cest un drame inavou que relate Tidiane NDiaye dans Le gnocide voil : pendant treize sicles et sans interruption, du VIIe au XXe sicle, les Arabes ont opr des razzias sur les peuples noirs dAfrique subsaharienne, causant la mort dau moins 17 millions dhommes, de femmes et denfants transforms en bois dbne . Emanant dun chercheur africain et musulman, cette tude trs documente bat en brche lide selon laquelle lislamisation se serait faite sans violence en Afrique noire.
Sans pour autant minimiser la tragdie que fut la traite transatlantique, du XVIe au XIXe sicle, lauteur affirme qu lentre en scne des Europens, les Arabes avaient dj dport prs de dix millions dAfricains et quils taient les seuls exercer ce ngoce depuis plus de mille ans. Mille ans de supplices abominables . Les trois quarts des captifs, enchans, ne survivaient pas aux traitements inhumains qui leur taient infligs, comme en tmoignent encore aujourdhui les longues lignes dossements humains qui jalonnent les pistes quils empruntaient.


La livraison annuelle force de centaines desclaves

Tidiane NDiaye attribue aux Arabes la responsabilit davoir invent et planifi la premire traite ngrire au VIIe sicle de notre re. Devenus matres dune Egypte dsormais islamise, ils avaient asservi, au cours de cette premire expansion islamique, des peuples venant de Nubie, de Somalie ou du Mozambique. Cette guerre sainte contre les incroyants fora les Nubiens conclure, en 652, un accord (bakht) avec lmir et gnral arabe Abdallah ben Sad, leur imposant la livraison annuelle et force de centaines desclaves prlevs surtout sur les populations du Darfour. Une ponction qui prit fin officiellement au dbut du XXe sicle mais qui na apparemment jamais cess .
Puis, quand les Arabes se lassent de la Nubie, leur premier rservoir desclaves, [ils] se lancent lassaut du reste du continent africain . La traite arabo-musulmane seffectua progressivement dans toute la bande saharo-sahlienne et de locan Atlantique la mer Rouge en passant par lAfrique orientale, et ruina les populations pour la grande joie des harems dOrient et des notables. La demande desclaves en Turquie, en Egypte, en Perse, en Arabie, en Tunisie ou au Maroc, et mme jusquen Inde, entrana au fil du temps louverture de deux courants de traite. Le premier, terrestre, conduisait les captifs vers le nord travers le Sahara la traite transsaharienne. Lautre, maritime, les acheminait des ports de la cte est de lAfrique jusquen Orient la traite orientale.


La castration provoquait la mort de 80 % des patients

En annexe de louvrage, le tmoignage du dernier eunuque du dernier sultan de lEmpire ottoman, Hayrettin Effendi, indique clairement le mode opratoire. Enlev dans son village lge de huit ans par des cavaliers alors quil jouait avec dautres enfants de son ge, il fut achemin vers la cte thiopienne puis castr avant dtre embarqu bord dun bateau ngrier vers une destination inconnue.
La castration quasi systmatique de millions dindividus justifie, pour Tidiane NDiaye, la qualification de gnocide, cest--dire le fait davoir programm la disparition totale des Noirs du monde arabo-musulman, aprs quils furent utiliss, uss, assassins . Lhorrible opration qui transforme les esclaves en eunuques provoquait la mort de 80 % des patients , mais les rares survivants voyaient leur possibilit dassurer une descendance annihile, ce qui, terme, aboutit bien une extinction ethnique.


Une entreprise criminelle et bestiale

Pour bon nombre dAfricains, la conversion lIslam fut un moyen dchapper lesclavage. Elle nempcha pas pour autant le mpris et le racisme des Arabes vis--vis des Noirs. Cette entreprise criminelle sera dautant plus dure et plus bestiale que, dans limaginaire commun des peuples arabo-musulmans, le Noir paen ou ftichiste ntait quun sous-homme. Quant au converti, il restera jusqu nos jours, leurs yeux, quils lavouent ou non, un tre invariablement infrieur.
Au demeurant, poursuit le chercheur, la remise en cause de lesclavage, au sein de socits arabo-musulmanes o il fut valid et institutionnalis par lIslam , et t impie . Et de citer lrudit Al-Dimeshkri : Aucune loi divine ne leur a t rvle. Aucun prophte ne sest montr chez eux, aussi sont-ils incapables de concevoir les notions de commandement et dinterdiction, de dsir et dabstinence. Leur mentalit est proche de celle des animaux. Une manire sans doute de justifier linjustifiable.


Aucunement conteste par les intellectuels arabes

Reprenant les termes de lhistorien Bernard Lewis, Tidiane NDiaye fait remarquer que lesclavage en terre dIslam reste un sujet la fois obscur et hypersensible, dont la seule mention est souvent ressentie comme le signe dintentions hostiles. Rares dailleurs sont les chercheurs qui ont os laborder. Y compris parmi les Africains qui pratiquent lautocensure et les Afro-Amricains dont un certain nombre, converti lIslam, sous-value son importance tout en surdimensionnant la ponction atlantique.
De plus, tandis que les mouvements abolitionnistes occidentaux contre la traite et lesclavage des Noirs taient perus dans le monde arabo-musulman comme une lubie occidentale, cette ignominie impose aux peuples africains na fait lobjet daucune contestation par les intellectuels arabes . Qui ont utilis cette loi du silence dans la dernire partie du XXe sicle comme un ciment destin prenniser la fusion des Arabes et des populations ngro-africaines, () victimes solidaires du colonialisme occidental.
Ceci expliquant peut-tre cela, lauteur note en outre que ce silence (complice ?) va de pair avec la subsistance de la pratique de lesclavage dans le monde arabo-musulman : La route transsaharienne de lesclavage en Afrique du Nord est toujours oprationnelle, affirme-t-il. La seule diffrence est que, cette fois, ce sont les migrs clandestins africains qui y transitent.


Antoinette Delafin

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