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29/04/2008 | |||
La Russie se meurt, la Russie est morte ! | |||
(MFI) Grande figure de la littrature britannique contemporaine, Martin Amis livre avec La Maison des Rencontres son roman russe, inspir de Dostoevski et de Soljenitsyne. Cest un rcit crpusculaire et cruel dont laction se droule dans les goulags sovitiques o les brutes et les chiennes , les serpents et les sangsues se livrent une guerre sans merci pour mieux marquer leur territoire. En filigrane, une histoire damour et de fraternit. Les protagonistes russiront-ils sauver la puret des sentiments quils prouvent les uns pour les autres de lavilissement du systme dont ils sont prisonniers tout jamais ? Telle est la question. | |||
Paru en Angleterre il y a deux ans et publi mi-avril en traduction franaise, le nouveau roman du Britannique Martin Amis relate une histoire damour. Deux frres amoureux de la mme femme. Mais quand on a dit a, on a rien dit, car ce qui compte avant tout dans les rcits dAmis, cest le lieu, le cadre, autrement dit la gographie dans laquelle lhistoire puise sa forme et sa force. La Maison des Rencontres (Collection Du monde entier , Gallimard, 2008) ne droge gure la rgle. Dailleurs, on sait ds la premire page, grce un narrateur troitement impliqu dans le drame quil raconte, quil va sagir ici dune histoire damour russe . Cest la Russie des Staline, des Beria et des Brejnev qui donne sa cohrence ce rcit crpusculaire damour et de trahison. La Russie des goulags aussi o se droule lessentiel de laction du roman. Paradoxalement, rien ne symbolise mieux la brutalit et la violence de ce monde rvolu (du moins, on lespre) que la mtaphore dcale et douloureusement humaine de la maison des rencontres qui est au cur de ce rcit. Un chalet de deux tages, quelques encablures du camp de Norlag, quelque part dans le nord de la Sibrie et o, pendant les cinq semaines de lt arctique, les prisonniers les plus forts taient autoriss passer une nuit avec leur pouse, leur compagne, leur fiance qui, elles, effectuaient de longs voyages, traversant des distances continentales afin de venir sunir avec leurs amants. Mon genre, cest la comdie cruelle Romancier idologue, Martin Amis stait dj longuement attard sur le thme du communisme dans lun de ses prcdents opus, un livre de non-fiction intitul daprs le surnom de Staline : Koba the dread, laughter and the Twenty Million ( Koba la terreur: le rire et les vingt millions ). Les vingt millions, ctait le nombre approximatif des victimes des brutalits meurtrires du petit pre du peuple. Lauteur stonnait dans ce volume polmique que les crimes du communisme sovitique ne suscitassent pas, de la part des intellectuels de gauche britanniques, le mme rejet absolu que les crimes du totalitarisme hitlrien. Tout le monde connat Auschwitz et Belsen. Personne ne connat Vorkuta et Solovetsky (noms des camps pnitentiaires). Tout le monde connat les noms dHimmler et Eichmann. Personne ne connat Yezhov et Dzerjinski (chefs de la police secrte sovitique). Cest sans doute pour corriger cette indulgence asymtrique de ses contemporains quAmis a dcid de situer son nouveau roman dans linferno des goulags. Or si Amis na jamais mis les pieds en Russie, il a lu les livres essentiels sur le phnomne de lesclavage sovitique, comme latteste la liste des auteurs remercis dans les dernires pages du roman. Il sest surtout imprgn du travail des grands crivains russes, de Dostoevski Vassili Grossman, en passant par Soljenitsyne, Pasternak, Anna Akhmatova, pour ne citer que ceux-l. Dailleurs, il nest sans doute pas accidentel que le principal protagoniste de La Maison des Rencontres sappelle Lev. Lev comme Lev... Tolsto, bien sr ! Fils lui-mme dune figure quasi-tolstoenne des lettres britanniques de laprs-guerre, Kingsley Amis, lauteur de La Maison des Rencontres est considr comme lune des voix majeures de la scne littraire contemporaine doutre-Manche. Selon les critiques, Martin Amis constitue, avec Salman Rushdie et McEwan, le trio qui a rvolutionn la littrature anglaise post-Joycienne. Aprs des dbuts fracassants en 1973 (il a alors 25 ans) lorsque parat son premier livre Le Dossier Rachel (Albin Michel), mi-autobiographie mi-comdie de murs, Amis sest distingu en produisant une uvre de fiction trs diversifie : nouvelle, saga, thriller. Paralllement chroniqueur dans des journaux et magazines de premier plan, il sest fait connatre en publiant des articles caustiques et brillants sur la littrature, mais aussi sur des questions de socit. Ses romans les plus connus sont la trilogie compose de Money money (ditions Mazarine), London Fields (Christian Bourgois) et LInformation (Gallimard). Amis y croque avec ses talents de satiriste aguerri laffairisme et les hypocrisies de lAngleterre thatchrienne. Mon genre, cest la comdie cruelle , aime-t-il rpter aux critiques parfois dstabiliss par son attention persistante aux thmes sexuels (pornographie, sadomasochisme et prostitution) et la noirceur du quotidien. Le vritable secret de son succs est aussi chercher dans lnergie et linventivit de son criture. Cest en styliste accompli quil dcrit ses contemporains dans des rcits dsabuss et froces o il y a peu de place pour la beaut ou linnocence. Runis par le souvenir de la femme quils ont aime tous les deux Le lecteur retrouvera les thmes favoris de Martin Amis dans son nouveau rcit sur les goulags : corruption, violence, misre sexuelle et spirituelle. Racont par un Russe exil qui revient en plerinage dans son pays natal, La Maison des Rencontres voque la vie dans le camp pnitentiaire de Norlag o le narrateur tait dtenu il y a plus dun demi-sicle. Le rcit en flash-back souvre sur larrive au camp de Lev, le demi-frre du narrateur. Mon petit frre arriva au camp en 1948 (jy tais dj), au plus fort de la guerre entre les brutes et les chiennes... . Sils sont trs diffrents lun de lautre le premier est pragmatique et cynique alors que lautre se veut pacifiste et pote , ils sont runis par le souvenir de la femme quils ont aime tous les deux. La belle et trs sensuelle Zoya inspire aux deux frres plus que lamour et fait deux des antagonistes irrconciliables, dautant quelle a choisi le frre cadet Lev pour poux, rejetant lamour de lautre. Le drame clate lorsque Zoya vient retrouver son mari au goulag, la maison des rencontres, par une journe dt arctique de 1953. Le moment de rencontre se transforme en un moment de sparation car rien aprs ne sera comme avant. Les trois vies, abmes par les vicissitudes de lhistoire dun pays violent limage du camp o les deux frres sont dtenus, vont dsormais driver, sans jamais plus se rencontrer. Le dsespoir de la drive est le vritable thme de ce trs beau roman confession qui nest pas sans rappeler la mlancolie de Docteur Jivago, porteuse du pressentiment du dclin venir. A la seule diffrence prs que le dclin, sous la plume de Martin Amis, nest pas de lordre du pressentiment seulement, comme le confirment les derniers mots du narrateur : La Russie se meurt. Et je suis content. | |||
Tirthankar Chanda | |||
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