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20/05/2008
Chronique livres : Dernier Moghol : la chute d'une dynastie, Delhi, 1857

Les ors et splendeurs du Delhi moghol

(MFI) Les Anglais ont colonis lInde, mais ont aussi on le sait moins bien aid les Indiens redcouvrir leur pass glorieux et pluri-millnaire. Le Britannique William Dalrymple, auteur du Dernier moghol, sinscrit dans cette tradition. Cest en amoureux de lInde et de ses splendeurs passes quil brosse dans son dernier opus historique consacr lInde musulmane les ors et raffinements de lempire des Moghols.

Lhistoire sest droule il y a un peu plus de cent-cinquante ans. En 1857, plus prcisment. Suite lintroduction de nouveaux fusils dont les cartouches taient fabriques base de graisse de buf et de porc (animaux prohibs par lhindouisme et lislam respectivement), les soldats indiens (85 % dhindous et 15 % de musulmans) de la Compagnie britannique des Indes se sont insurgs contre leurs officiers blancs et ont pris dassaut Delhi, avant dtre finalement mats par les troupes britanniques. La confrontation fut sanglante et dura plus de cinq mois. Elle fit plus de cent mille morts et branla les assises de lempire britannique des Indes. Passe dans lHistoire sous le nom de Rvolte des Cipayes , elle eut pour consquence la disparition de la dynastie des Moghols qui avait rgn sur lInde pendant trois bons sicles.
La dposition par les Anglais du dernier empereur moghol, descendant de Genghis Khan et de Tamerlan, sur fond dune insurrection qui aurait pu mettre fin aux ambitions britanniques en Inde, est le thme du Dernier Moghol : la chute dune dynastie, Delhi, 1857, sous la plume de lcrivain-voyageur anglais William Dalrymple. Ce sont 600 pages de rcit passionnant dintrigues de palais et de lHistoire luvre, dbouchant sur le dclin et la chute finale de la maison des Timurides et lhumiliation ultime du vieil empereur condamn mourir en exil Rangoon, en Birmanie. Lorsque linsurrection clata, lempereur avait dj 82 ans. On voit mal comment ce vieil homme, essentiellement esthte et compositeur mrite de ghazals (pome damour en persan et en ourdou), aurait pu prendre la tte dun mouvement qui le dpassait. Certes, les mutins juraient par lui et la grande erreur de lempereur fut de ne pas condamner la rvolte. Les Britanniques lui feront payer cher son erreur : plusieurs de ses fils seront abattus sous ses yeux et le dernier empereur sera lui-mme dtenu dans une cage comme un animal sauvage. Mais ce qui va in fine briser le cur du vieil homme, cest la destruction en rgle de la ville de ses anctres et son loignement.

Sept fois dtruite, la ville a t inlassablement reconstruite

Mgapole fabuleuse, Delhi a t le sige du raffinement moghol, rivale dIstanbul et de Samarkand. En ralit, plus que lempereur octognaire, polygame et sans comprhension stratgique relle des bouleversements politiques en cours, cest la ville de Delhi, ravage par linsurrection des Cipayes et les reprsailles implacables des Anglais, qui est la vritable protagoniste de ce roman tragique. Dalrymple connat bien la capitale indienne dont il est tomb amoureux ds quil y a mis les pieds pour la premire fois lge de 17 ans. Il y est revenu cinq ans plus tard pour brosser dans un premier livre mlancolique le portrait dune ville ancienne, compose des vestiges de ses nombreuses incarnations travers les millnaires. Sept fois dtruite, la ville a t inlassablement reconstruite. Tel le phnix... Moins lgiaque et plus historique que La cit des djinns qui a fait la rputation de Dalrymple comme historien un historien qui sait rellement crire , a dit Rushdie , The Last Mughal voque, sur fond du destin tragique du dernier empereur, les fastes et les splendeurs du Delhi musulman et prcolonial.
Delhi tait aprs tout, crit lauteur, un centre intellectuel renomm et dans lanne 1850, cette ville se trouvait au sommet de sa vitalit culturelle. Elle comptait une dizaine de madrasas dont au moins six jouissaient dun grand rayonnement dans tout le monde musulman, neuf journaux en ourdou et en persan, cinq revues srieuses publies par le Delhi College, de nombreuses imprimeries et maisons dditions et pas moins de 130 praticiens de la yunani (mdecine traditionnelle islamique). Cest Delhi que lon sest lanc pour la premire fois dans la traduction en arabe et en persan de quelques-unes des performances majeures de la science occidentale. Lexcitation intellectuelle et lesprit douverture qui rgnaient alors dans la plupart des collges et des madrasas de la capitale taient quasiment palpables. A mi-chemin entre lhistoire, lurbanisme et ltude des rencontres entre civilisations, ce rcit du dclin et de la chute de lempire moghol est dune lecture captivante.


Le dernier moghol : la chute dune dynastie, Delhi, 1857, par William Dalrymple. Traduit de langlais par France Camus-Pichon. Editions Noir sur Blanc, 670 pages, 28 euros.

Tirthankar Chanda

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