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03/06/2008
Filmer pour restituer la mmoire du gnocide cambodgien

(MFI) Pour mieux faire connatre Le cinma de Rithy Panh, les ditions Montparnasse publient un coffret de deux DVD : quatre films essentiels du grand documentariste, tourns entre 1989 et 2002.

N en 1964 Phnom Penh, Rithy Panh na que onze ans lorsquil est intern dans un camp de rhabilitation par le travail linstar de beaucoup de ses compatriotes. Tmoin et survivant du gnocide perptr par les Khmers rouges qui a extermin deux millions de Cambodgiens une personne sur quatre , il schappe de son pays en 1979 pour gagner les camps de rfugis de Thalande. De l, il se retrouve en France o il parvient en 1985 entrer lInstitut des hautes tudes cinmatographiques (Idhec). Devenu ralisateur spcialis dans le cinma documentaire, il consacre lessentiel de son uvre au travail de mmoire.
Au-del des massacres et des souffrances, les Khmers rouges ont mis en place une machine effacer la mmoire, une machine totalitaire dlirante. Les pagodes et les coles ont t transformes en centres de dtention, les villes vides, les habitants vacus , rappelle-t-il dans La parole filme. Pour vaincre la terreur, le premier texte du livre qui accompagne le coffret publi par les Editions Montparnasse. Deux DVD qui rassemblent quatre films essentiels dont trois sont indits, tourns entre 1989 et 2002 : Site 2 ; Bophana, une tragdie cambodgienne ; La Terre des mes errantes ; et le plus connu, S 21, la machine de mort khmre rouge.

Comme un monde de merveilles

Dans son premier film, Site 2 (1989, 90), il veut montrer la ralit que vivent les centaines de milliers de Cambodgiens qui croupissent alors dans les camps de rfugis de Thalande. La grande machinerie de ladministration onusienne vide le quotidien des gens, te toute substance leur vie , commente-t-il. Il recueille, dans un site similaire celui o il a lui-mme sjourn, la parole de Yim Om , une femme choisie entre toutes et qui raconte par le menu son quotidien prcaire mais digne. Il a choisi denregistrer son tmoignage en son direct , par opposition au commentaire sur la personne qui parle, caractristique des pays sous-dvelopps . Et sattache mettre en relief les non-dits, le temps que prennent les choses pour se dire, les hasards : tout ce qui est imprvu est essentiel .
Puis, le cinaste projette de montrer plus avant la tragdie. Il a constat lamnsie des Cambodgiens qui restent muets sur la priode 1975-1979. Les quelque deux cents films vidos que son pays produit proposent tous des intrigues indianises, sentimentales. () Comme un monde de merveilles . Plutt que de poursuivre dans lirrel , il veut montrer son pays tel quil est. Conseill par Jacques Bidou, le producteur de Site 2, il sadresse lAtelier Varan, Paris, qui accepte douvrir un atelier documentaire Phnom Penh en vue de former des professionnels capables, dans un premier temps, de fabriquer ses propres films.
Ainsi nat La Terre des mes errantes (1999, 100), produit par Cati Couteau pour lINA et Arte. Dans un Cambodge pass de la dictature communiste lultralibralisme, il filme la progression dun chantier dAlcatel, qui pose une autoroute de linformation douest en est du pays. Parmi les ouvriers, des anciens de Site 2, des paysans sans terre qui louent leur force de travail en creusant des tranches, dterrant au passage la mmoire du gnocide.

Arracher Bophana loubli et lanonymat

Mais le cinaste veut dpasser la symbolique. A lpoque, certaines personnalits politiques songent fermer le muse du gnocide de Tuol Sleng au nom de la rconciliation, pour soulager les victimes, librer leur me, pour quelles puissent renatre . Rithy Panh dcide alors de tourner son prochain film lintrieur du camp S 21, le principal lieu de dtention de Pol Pot, un lyce transform en centre de torture.
Bophana, une tragdie cambodgienne (1996, 60) rapporte lhistoire dun couple dintellectuels dont le mari a rejoint les Khmers rouges. Sa femme, Bophana, commet le crime passible de mort de lui envoyer des lettres damour . Dnoncs, ils sont dtenus tous les deux au camp S 21. Chacun ignore que lautre est quelques pas Pour arracher Bophana loubli et lanonymat, le film enqute partir de ses lettres et de sa photo de prison, ainsi que de ses confessions sous la torture qui mlent le vrai et le faux .
Des rencontres effectues sur le tournage de Bophana, natra ensuite S 21, la machine de mort khmre rouge (2002, 101). Cette fois, Rithy Panh met en scne la confrontation entre bourreaux et victimes, lintrieur du S 21, centre dextermination situ au cur de Phnom Penh. Ni rquisitoire ni reconstitution. Le documentariste flirte avec la fiction pour restituer la mmoire de son peuple. En ractivant celle des dernires heures de la vie des quelque 17 000 hommes, femmes et enfants qui y prirent. Et celle des tortionnaires. Dans la seconde partie du livre, le journaliste James Burnet souligne ainsi la manire dont lun dentre eux rend compte, avec une prcision hallucinante, suivant une chronologie minutieuse qui sinscrit dans une rappropriation des lieux, () par le corps et la parole, de cette priode de sa vie enfouie, la mmoire du quotidien routinier du crime . Un film dune force inoubliable.


Le cinma de Rithy Panh, deux DVD et un livre de 50 pages. Editions du Montparnasse. 30 euros.

Antoinette Delafin

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