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28/10/2008
A propos de Lautre moiti du soleil, roman sur la guerre du Biafra
Cinq questions Chimamanda Ngozi Adichie


(MFI) Cest aurole du prestige du prix Orange de la meilleure fiction fminine, qui lui a t attribu lanne dernire en Angleterre, que Chimamanda Ngozi Adichie est venue en France o son roman Lautre moiti du soleil* vient dtre publi. Le rcit se droule dans le Nigeria des annes 1960, lorsquclate la guerre du Biafra, rprime avec une violence inoue par le gouvernement central. Adichie raconte avec maturit le dsarroi des hommes et femmes jets dans la rue par la guerre, leur irrdentisme et leur rsignation. Ce roman, qui fait suite Lhibiscus pourpre, un rcit sur lintolrance religieuse et son impact sur la vie dune famille, a impos son auteure comme une des figures importantes de la nouvelle gnration de romanciers nigrians.

MFI : Que signifie votre nom ?

Chimamanda Ngozi Adichie : Cest un nom effectivement trs long, comme dailleurs la plupart des noms ibos. Mais chaque nom a une signification. Mon prnom Chimamanda signifie mon dieu ne me laissera jamais tomber . Comme je suis un peu nave, jy crois !

MFI : Pourquoi crire un roman aujourdhui sur la guerre du Biafra ?

C.N.A. : Jai crit des pomes, des nouvelles sur cette guerre qui a laiss des traces profondes sur la conscience nationale nigriane. Il me semblait que seul un roman pouvait permettre de faire justice la mmoire douloureuse du peuple ibo concernant les vnements qui ont conduit la scession en 1967, les souffrances de la guerre, le sentiment davoir t totalement abandonn par la communaut internationale. Lun de mes personnages crit un livre qui a pour titre Le monde sest tu pendant que nous mourions . Ce sentiment dabandon tait dautant plus fort que la demande de scession ntait pas illgitime. Les graines de la discrimination dont les Ibos sont victimes dans le Nigeria indpendant avaient t plantes par les Anglais. La premire rvolte des Ibos date de 1945, quand les colonisateurs avaient favoris le sentiment anti-ibo en accusant ces derniers de vouloir semer le dsordre dans le pays tout simplement parce quils avaient rpondu massivement au mot dordre de grve nationale lanc par les syndicats. Les journaux tenus par des patrons de presse ibo ont t alors censurs et le gouvernement colonial a ferm les yeux lorsque les Ibos ont t pris parti par les autres communauts. Mais attention, je nai pas crit un pamphlet politique. Je raconte la guerre et la paix, je raconte lamour. Les horreurs de la guerre sont filtres par la conscience des personnages. Jaimerais que ce roman soit lu comme une uvre littraire.

MFI : Comment ce roman a-t-il t reu au Nigeria ?

C.N.A. : Plutt bien. Le sujet de la guerre du Biafra est rest longtemps tabou. Aujourdhui, on assiste la rsurgence de lide biafraise. Cette guerre a quand mme fait un million de morts. Il me semble que le Nigeria en tant que nation devrait commmorer les vnements du Biafra, pour rflchir avec maturit au sentiment de diffrence quprouvent les Ibos, leur aspiration lindpendance. Mon roman inspirera peut-tre dautres crits qui interrogent la question de la multiethnicit, de lautonomie et du sens de lhistoire.

MFI : Lun de vos principaux personnages est un professeur de mathmatiques luniversit de Nsukka, comme ltait votre pre.

C.N.A. : Ce livre est ddi mes grands-parents disparus pendant la guerre. Ma famille a eu sa part de tragdies et de pertes. Pendant la guerre, tout comme mon personnage Odenigbo, mon pre a t spar de son pre. Quand il a ensuite appris que son pre avait t tu, il ne pouvait pas retourner la maison car il risquait de se faire descendre par les soldats ennemis sur la route. Papa ma racont comment la fin de la guerre, on la conduit la tombe de son pre, ou ce qui tait cens tre sa tombe car il ny avait aucune indication. Il a ramass une poigne de terre quil a conserve en souvenir. Ecrire ce livre tait une exprience trs douloureuse pour moi. A chaque pas, javais limpression de marcher sur des lambeaux de souffrances.

MFI : La lgende veut qu luniversit de Nsukka o vous avez grandi, vous habitiez la maison occupe autrefois par la famille Achebe. Est-ce que votre vocation dcrivain est ne de cette concidence ?

C.N.A. : Tout dabord, ce nest pas une lgende. Nous avons effectivement vcu dans la maison des Achebe. Ensuite, Achebe comme crivain a beaucoup compt pour moi. Ce nest quaprs avoir lu Le Monde seffondre que je me suis rendue compte que lon pouvait crire des romans littraires avec des personnages africains. Jtais trs mue dapprendre quAchebe avait aim mes livres. Je me suis mise pleurer quand jai lu sa lettre (1) mon agent littraire qui lavait sollicit pour une recommandation pour la promotion de mon nouveau roman. Je ne mattendais pas tant dloges, car cest un homme trs rserv.


* Lautre moiti du soleil, traduit de langlais par Mona de Pracontal, d. Gallimard, 494 pages, 25 euros.


(1) Voici la phrase dAchebe qui orne dsormais la page de garde de la version anglaise de Lautre moiti du soleil : Dhabitude, on nassocie pas la maturit la jeunesse, mais voici une jeune auteure en dbut de carrire doue du talent des conteurs les plus expriments. Chimamanda Ngozi Adichie est consciente des enjeux, et sait comment en parler... Elle na pas froid aux yeux, autrement elle ne se serait sans doute jamais lance dans lentreprise intimidante de raconter les horreurs de la guerre civile nigriane. Cest une romancire ne.

Propos recueillis par Tirthankar Chanda

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