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09/12/2008
Tierno Monenembo ou la colonisation comme on ne vous la jamais conte

(MFI) Biographie romance dun explorateur franais du 19e sicle, Le roi de Kahel propose un rcit picaresque sur la colonisation... davant la colonie.

Aprs Peuls, rcit historique qui contait lhistoire des dynasties peules du Fouta Djalon, dans lactuelle Guine, Tierno Monenembo revient son pays dorigine pour crire Le Roi de Kahel : roman inattendu ddi un incroyable aventurier de la colonisation. Olivier de Sanderval est un gentilhomme franais assoiff dAfrique, qui dans les annes 1880 se taille un royaume dans ce mme massif du Fouta. Entich des ides de progrs et de civilisation, il entend apporter la lumire aux Noirs, mais dcouvre une socit homogne, domine par une aristocratie rebelle toute influence extrieure : les Peuls. Leurs murs la fois lexasprent et lenchantent, il apprend les connatre et russit aprs bien des tourments se faire accepter, signe des traits, se voit autoriser construire un chemin de fer. Mais cet espoir se brise, toute lentreprise seffondre en mme temps que le monde peul entre en dcadence : la colonisation, la vraie, commence et Sanderval ddaign par les bureaux parisiens constate quil appartenait une poque finissante.
Ce rcit foisonnant est en ralit lpope dun colonialiste hors normes : le nobliau lyonnais, qui a dj fortune faite et position assure, est avant tout un rveur et un idaliste qui se jette corps perdu dans son utopie et sent lAfrique par toutes ses fibres. Excessif et enthousiaste (Sanderval fait penser au hros rabelaisien du Faiseur de pluie, clbre roman de lamricain Saul Bellow), lexplorateur prend lAfrique comme elle est : dangereuse, luxuriante, paradoxale et humaine, surtout humaine. Manquant mille fois dy laisser sa dpouille, secou par les fivres et les diarrhes, accabl par les insomnies, il finit par adorer ce Fouta jusqualors ferm aux influences europennes, et sa socit : raffine, cruelle et chaleureuse, aussi subtile que pagailleuse, digne et mesquine la fois, o lamiti et la trahison, la ruse et la bravoure sont des vertus gales. Tierno Monenembo fait de ce personnage improbable, pourtant rel, une figure de la possible rencontre entre des mondes qui signoraient. Rencontre que la colonisation na pas su produire, ayant suivi une toute autre logique : celle de lexploitation et de l change ingal , avec laquelle le hros est en parfait dcalage. A ce moment de lhistoire se clt la priode des explorateurs et des conqurants. Place aux administrateurs et leurs calculs, aux affairistes et aux bureaucrates sans ampleur, place la concupiscence routinire.

Une vision singulire de lhistoire

Tierno Monenembo a-t-il voulu faire une satire de l aventure coloniale travers ce personnage color ? Sil ne se prive pas de ridiculiser son hros, il le dcortique aussi avec tendresse et humour, et livre un rcit picaresque o le burlesque ctoie la peinture de murs, celle-ci npargnant personne. Lauteur ne cesse ainsi de brocarder, quitte charger le tableau, les travers de ce milieu peul dont il montre en parallle la dliquescence, dans un rcit dense qui propose aussi une vision de lhistoire : cette affaire humaine, trop humaine, o les Africains comme les Europens sont mus par des intrts troits et se livrent sans retenue leur destine, dans lensemble peu glorieuse.
Une telle approche de la priode de la colonisation en Afrique a tout ce quil faut pour dconcerter. Monenembo nmet nul jugement, et se contente de faire son travail de romancier, se mettant dans la peau dun type de personnage dont il pastiche avec aisance les navets et les foucades, les convictions et les irrpressibles besoins, russissant reproduire la tournure desprit, dans lenvironnement culturel et historique qui fut le sien, dun explorateur de la fin du 19e sicle. Dans cette voie, il russit une prouesse et donne sentir et comprendre bien mieux que ne le pourront de longs discours dhistoriens. Selon le langage daujourdhui, Tierno Monenembo nest certes pas politiquement correct , et cest la chance et la grande singularit de son rcit.
Des critiques ont pu dplorer la facture trs classique de ce roman, couronn par le prix Renaudot. L encore, Monenembo surprend. Si son criture parfois dtonne, on saperoit au fil du rcit quelle est efficace. Et quon a ici affaire un vrai conteur peu concern par la recherche deffets stylistiques. Ceux qui ont lu le prcdent livre de lcrivain guinen peuvent vouloir comparer : Peuls tait un objet littraire sans quivalent, entre pope et rcit historico-anthropologique, dans une forme dcriture singulire, remarquable par ses procds daccumulation et de rptition, encore que chtie. Ici, le classicisme a pris le dessus, les phrases sont courtes, bties sans surprise, riches en adjectifs et en mtaphores communes, releves par cet usage rptitif dexclamations que lon notait dj dans Peuls. Mais la forme semble convenir au propos, qui est plus insolite et drangeant que bien des romans lcriture moins discipline. Au total parat pleinement mrit un prix Renaudot qui a dj couronn Kourouma et Mabanckou, et dont il faut souligner quil rcompense un crivain discret et inclassable qui a dj bti une vritable uvre. Originale, diversifie, celle-ci montre un sens du rcit et un got de la thmatique novatrice rarement constats chez les auteurs francophones daujourdhui.


Tierno Monenembo, Le roi de Kahel, Paris, Editions du Seuil, 19 euros.

Thierry Perret

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