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09/12/2008 | |||
Syngu Sabour, roman afghan et universel | |||
(MFI) Quatrime ouvrage de lauteur afghan Atiq Rahimi, Syngu sabour est un roman de rsistance et de libration au fminin. Il a remport le prix Goncourt 2008. | |||
Lattribution du prix Goncourt un crivain franais dorigine afghane a t un des grands moments de la rentre littraire franaise 2008. Elle a t interprte comme la reconnaissance institutionnelle du phnomne de la littrature-monde qui est en train de redistribuer les cartes dans le champ littraire de langue franaise. Une nouvelle gnration dcrivains, au sein de laquelle les auteurs franais de souche cohabitent avec les auteurs issus de lmigration, est arrive sur le devant de la scne. Sous leurs coups de plume rageurs, le franais a cess dtre une langue purement hexagonale et sest adapt aux nouveaux imaginaires venus de tous les coins du monde. Paradoxalement, alors que la France politique et diplomatique est en perte de vitesse dans le monde, sa langue se mondialise et devient un vecteur dune modernit ncessairement polyphonique et dterritorialise . Les romans de lAfghan Atiq Rahimi sinscrivent dans cette mutation copernicienne aujourdhui luvre dans les lettres franaises. Un enfant rendu sourd par les bombardements Arriv en France au dbut des annes quatre-vingt fuyant son Afghanistan natal, Atiq Rahimi a dj beaucoup crit et tourn des documentaires (il est cinaste de mtier) avant de livrer, avec son quatrime roman Syngu sabour, distingu par le Goncourt, un huis-clos digne de la tragdie grecque. Les prcdents romans de Rahimi taient eux aussi imprgns dun sens singulier du tragique et de la potique. Son premier roman Terre et cendres (P.O.L., 2000) racontait les traumatismes de la guerre vue par un enfant rendu sourd par les bombardements. Inquiet de ne plus rien entendre, le petit garon demandait son grand-pre : Les Russes sont-ils venus prendre les voix de tout le monde ? Que font-ils de toutes ces voix ? Comment stonner que la guerre soit omniprsente dans les rcits de cet Afghan de 46 ans qui a d fuir pied, dans des circonstances dramatiques, la guerre civile et lenvahisseur sovitique ? Cette guerre quil a vcue dans sa chair, Rahimi en rend compte sur le mode de la fiction, mais aussi sur le mode autobiographique, comme dans son second roman Les mille maisons du rve et de la terreur (P.O.L., 2002) mettent en scne sa propre fuite au Pakistan. Face aux bottes dun soldat, un rideau noir tombe sur mes yeux. Dj la nuit ? Si vite ! , crit-il. Une femme veille son mari bless pendant la guerre Syngu Sabour, le quatrime roman de Rahimi, est aussi le premier que lauteur a crit directement en franais. Lhistoire se droule quelque part en Afghanistan ou ailleurs , crit lauteur dans les pages de garde de son roman. Cest dire luniversalit de cette fable qui a autant voir avec la condition fminine en Afghanistan quavec le dsir, lincommunicabilit, la souffrance qui sont les ingrdients de la condition humaine sous quelques cieux que ce soit. Le rcit souvre sur une chambre vide, aux murs austres. Une femme veille son mari bless pendant la guerre. Lhomme est plong dans le coma. Il a les yeux ferms et dans le creux de son bras droit, un cathter perfuse un liquide incolore provenant dune poche en plastique suspendue au mur . Cest son seul lien avec la vie. Lhomme peut vraisemblablement aussi entendre sa femme prier pour son rtablissement. Mais celle-ci ne fait pas que prier. Elle laisse sa prire se transformer en colre : elle crie, elle accuse, elle apostrophe, elle explose. Aprs avoir t longtemps rduite une existence vgtative et anonyme derrire le tchdri, elle dcide de sortir de son mutisme pour dire ses ressentiments contre la socit patriarcale, ses dsirs, ses rves et ses frustrations. Alors que dehors grondent les fusils et les canons, rappelant que la guerre civile poursuit implacablement son uvre de dvastation. Les propos de la jeune femme sont pres, mais brefs. Avec une impressionnante conomie de moyens, Rahimi dessine les lignes de fracture de sa socit. Entre militaires et civils, entre forts et faibles, et, enfin, entre hommes et femmes. Aucun mot nest de trop ici, aucun reproche gratuit. Les paroles sont fortes, tendues, soutenues par des mtaphores empruntes la lgende. Comme celle de la pierre de patience. Dans la mythogie persane, syngu sabour est une pierre magique, raconte Atiq Rahimi. Lhomme la pose devant soi pour dverser sur elle ses malheurs, ses souffrances, ses douleurs, ses misres. Et la pierre coute, absorbe comme une ponge tous les mots, tous les secrets jusqu ce quun beau jour elle clate... Et ce jour-l on est dlivr. On ne rvlera pas ici si, au terme de son parcours sem de paroles et de larmes, la jeune hrone de Rahimi sera elle aussi dlivre. Contentons-nous de dire que le lecteur ne quitte pas ce livre indemne, transperc lui aussi par les clats de la pierre magique ! Syngu Sabour. Pierre de patience, par Atiq Rahimi. Editions P.O.L., 160 pp., 15 euros. | |||
Tirthankar Chanda | |||
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