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13/01/2009
Dans le Paris noir dAlain Mabanckou

(MFI) Prix Renaudot 2006, rcipiendaire de nombreux autres prix littraires et dhonneurs, le Congolais Alain Mabanckou sest impos en lespace dune dizaine dannes comme lune des principales voix de la littrature africaine francophone. Black Bazar, quil publie en ce dbut danne, est son sixime roman.

La publication par le romancier congolais Alain Mabanckou de son nouveau roman est un des vnements littraires de cette rentre de janvier 2009. Entr en littrature par les portes drobes de la posie, Mabanckou sest mis la fiction la fin des annes quatre-vingt-dix, lorsquil a publi son premier roman Bleu-Blanc-Rouge. Aprs quelques premiers romans de facture classique, il a su renouveler sa narration et son style et sest affirm ds son quatrime roman Verre cass, paru en 2005, comme un conteur hors pair qui sait mler efficacement le burlesque et le pathos. Pour notre plus grand plaisir.

Dcouvrir sa vocation dcrivain en tentant de soigner son chagrin damour

Pour Mabanckou, le roman est un enchevtrement danecdotes. Son nouvel opus Black bazar est une belle illustration de cette profession de foi littraire. Le roman fourmille danecdotes, de portraits de contemporains plus ou moins dguiss et de rcits de vie, les uns plus croustillants que les autres, qui viennent se greffer lintrigue centrale plutt mince. Le protagoniste est un jeune migr congolais Paris, amoureux de belles chaussures et de complets-vestons de marque, et obsd de la face B des filles, ce qui lui vaut son surnom de fessologue . Lhomme sest fait jeter par sa compagne. Cest en essayant de soigner son chagrin damour quil va dcouvrir sa vocation dcrivain. Lcriture devient ainsi le thme principal du livre. Son intrt majeur rside toutefois dans les nombreux personnages secondaires dont les vies truculentes et parfois tragiques constituent larrire-fond haut en couleur de ce roman trs moderne, la fois dcousu et magistralement matris.

Une nouvelle comdie humaine

Lessentiel du rcit se partage entre le bar du quartier des Halles que le narrateur frquente assidment et limmeuble du 18e arrondissement o il habite, dabord avec sa compagne puis seul avec ses peurs, ses obsessions et ses hantises dont il tente de se librer en les couchant sur papier. Ses hantises ont pour nom monsieur Hippocrate, son voisin de palier qui pie ses moindres gestes et linterpelle la premire opportunit. Monsieur Hippocrate naime pas les Noirs, quil accuse dtre la cause du trou de la Scurit sociale, et use dun langage particulirement imag et vgtal pour parler des dficiences morales et intellectuelles des Africains. Monsieur Hippocrate aime cultiver son petit jardin mes dpens. Il affirme par exemple que, comme la plupart des Noirs quil connat, je mets toujours la charrue avant les bufs, je ne vaux pas une cacahute, jai une tte de chou, jai un cur dartichaut, je nai pas un radis, je suis haut comme trois pommes, jai un pois chiche dans la tte, je raconte des salades, je mange des pissenlits par les racines, je ne suis quun gros lgume... Quelle ne sera la surprise du protagoniste de dcouvrir que son voisin raciste qui gueule longueur de journe sa fiert dtre n franais de souche, est en ralit un Antillais. Cette alination pose la question de la condition de la diaspora noire, ses paradoxes ( peaux noires et masques blancs ) et ses misres quAlain Mabanckou explore quasiment en sociologue dguis en homme de fiction.
Le cur de cette diaspora noire, cest le fameux bar afro-cubain Jips, dans le premier arrondissement de la capitale franaise, o aprs ses dmls sentimentaux le protagoniste se rend plus que dhabitude. Il y retrouve ses amis : Il y avait Roger le Franco-Ivoirien, lui qui prtend quil a lu tous les livres du monde. Il y avait Yves LIvoirien tout court, lui qui clame haut et fort quil est venu en France pour faire payer aux Franaises la dette coloniale et quil y parviendra par tous les moyens ncessaires. Il y avait Vladimir le Camerounais qui fume les cigares les plus longs de France et de Navarre. Il y avait Paul du grand Congo, lui qui sasperge de parfums qui ne sont pas encore sur le march mondial on lappelle aussi Esprit sein parce quil dit sans cesse quil ny a pas que les fesses dans la vie, il y a aussi les seins... A travers ces personnages saisis la fois sur le vif et dans la profondeur de leur histoire, cest le portrait du Paris noir que Mabanckou brosse sur son canevas vaste et brillant comme la ville. On pourrait parler dune nouvelle comdie humaine, o le plaisir du texte lemporte sur lmotion ressentie face aux drives et alinations dun vcu souvent douloureux.


Black Bazar, par Alain Mabanckou. Editions du Seuil, 247 pages, 18 euros.

MFI

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