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31/03/2009
Lhistoire africaine pour les Nuls

(MFI) Jolie publicit : Nicolas Sarkozy, lors de sa brve tourne de mars 2009 en Afrique, a rendu un hommage direct un ouvrage polmique dirig par Adame Ba Konar. Le livre sintitule Petit prcis de remise niveau sur lhistoire africaine. Et tait destin au mme Nicolas Sarkozy (1) ! Une rponse, rdige de manire savante, par 25 historiens offusqus par le contenu du fameux discours de Dakar de juillet 2007

De toutes les affirmations contenues dans le Discours de Dakar, lune a spcialement mise en moi la communaut des historiens : Le drame de lAfrique, cest que lhomme africain nest pas assez entr dans lhistoire , avanait Nicolas Sarkozy ou du moins celui qui lui a fait office de rdacteur, son conseiller Henri Guaino. De mme que les considrations sur l immobilisme du continent africain , pareille dclaration semblait rejeter aux oubliettes les acquis de lhistoriographie africaine depuis plusieurs dcennies. Lesquels tendent au contraire montrer tout le riche processus dune histoire africaine qui a t progressivement remise au jour par les travaux des historiens, croiss avec les dcouvertes de larchologie et laccumulation de sources orales de mieux en mieux exploites.

Rappeler tout ce quenseigne la production historique relative lAfrique

Une bonne partie de louvrage, dont la rdaction a t initie par lhistorienne malienne (et ancienne premire dame du Mali), Adame Ba Konar, regroupe des contributions qui sefforcent prcisment de rappeler tout ce quenseigne la production historique relative lAfrique : Catherine Coquery-Vidrovitch voque une priodisation de lhistoire dAfrique qui excde de beaucoup la parenthse coloniale, en montrant les pistes de recherche envisager ; Klena Sanogo et Eric Huysecom voquent la prhistoire africaine et les dcouvertes et dbats autour de lapport africain la priode nolithique ; de mme trouve-t-on chez Adame Ba Konar ou Drissa Diakit des rappels sur les valeurs de civilisation constates dans lancien empire du Mali au Moyen-ge, qui ont pu servir de socle culturel laccueil, aujourdhui en Afrique, des critres de la dmocratie (2).
Dautres aspects du Discours de Dakar donnent lieu des mises au point : sont voques la priode de la Traite ngrire, vritable rupture dans un processus continu dvolution du continent qui, loin dtre repli sur lui-mme, na cess dtre au contact des autres parties du monde ; ainsi que la colonisation et son rle dcisif dans limmobilisme de socits africaines en vrit dsarticules par cette intrusion massive de lordre europen. Toutes ralits dj souvent traites par les historiens, examines ici la lumire des dbats les plus rcents.


Pourquoi et comment un tel Discours ?

Reste la question pose par le Discours de Dakar, apparu tant dobservateurs comme rtrograde et vhiculant de trs anciens prjugs, plus ou moins teints de racisme , sur le continent : comment un tel discours est-il, aujourdhui encore, possible ? Elikia Mbokolo note avec une certaine amertume : On se trouve ici, dabord, en prsence dun foss insondable qui semble sans cesse sparer, dune manire infranchissable, la production scientifique et le discours public. Sans doute, et le Franais Pierre Boiley le rappelle, la France sest-elle spcialement distingue en Europe dans la perptuation, tout au long de son histoire, dune collection de strotypes, qui ont trouv une nouvelle vigueur dans la vague dafropessimisme qui dcrit lAfrique comme la terre de tous les malheurs . Sans doute aussi, selon Bogumil Jewsiewicki, lOccident sest-il ingni ter aux Africains les moyens de leur propre subjectivit en sarrogeant un monopole de fait sur le discours sur lAfrique. A quoi il faut ajouter le climat politique actuel qui, signale notamment Elikia Mbokolo, favorise chez les Franais la rsurgence dun nationalisme conformiste, conduisant entre autres puiser la source africaine des formules rconfortantes sur les bienfaits de la colonisation , cense avoir apport sa lumire sur la terre des sicles obscurs...
Si le Discours de Dakar a t possible, cest aussi que lhistoire africaine rencontre un problme de taille : sa diffusion, en dehors des champs trop bien gards du public savant ou rudit, en direction du grand public. Plusieurs rdacteurs du Petit prcis lvoquent : lhistoire africaine reste affaire dhistoriens (ou mieux, danthropologues, qui souvent occupent toute la place dans le champ des sciences sociales consacres lAfrique). Lhistorien Doulaye Konat, rcemment de passage Paris pour une srie de sminaires, le reconnat et sen inquite : les historiens de lAfrique ne savent plus vulgariser leur savoir, alors quun travail considrable en ce sens saccomplissait dans les annes post-indpendance (3).
Le Discours de Dakar aura peut-tre eu ce bienfait : faire prendre conscience aux dtenteurs du savoir historique sur lAfrique quils doivent aussi tre acteurs de leur temps.

Thierry Perret


(1) Petit prcis de remise niveau sur lhistoire africaine lusage du prsident Sarkozy, sous la direction dAdame Ba Konar, ditions La Dcouverte, 2008.
(2) Lon notera la rfrence faite, Brazzaville, par Nicolas Sarkozy lui-mme la Charte de Kurukan fuga, adopte en 1236 : ensemble de dcisions et recommandations dcrtes par les chefs de la rgion du Mand lpoque de lempereur Soundjata Keita, le document est considr comme la premire loi fondamentale rige en Afrique, comportant des dispositions garantissant les droits humains.
(3) Doulaye Konat, dont le dernier ouvrage sintitule Travail de mmoire et construction nationale au Mali (ditions LHarmattan), cite notamment le chantier de Lhistoire africaine publi par lUnesco, ou encore luvre de vulgarisation dIbrahim Baba Kak qui anima de longues annes sur RFI lmission Mmoire dun continent , aujourdhui produite par Elikia Mbokolo.




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