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02/06/2009
Afriques, années zéro. Du bruit à la parole
Vers un nouveau modèle africain ?


(MFI) Afriques, années zéro. Du bruit à la parole : le nouvel essai de la journaliste Anne-Cécile Robert propose une passionnante traversée de l’Afrique nouvelle, post-occidentale. Loin des simplifications médiatiques et des préjugés dépréciatifs, les Africains sont en train d’inventer leur modernité en puisant tant dans leurs propres ressources culturelles et historiques que dans une géopolitique mondiale redessinée.

« La première décennie du XXIe siècle marque un tournant en Afrique subsaharienne : une période de transition s’achève pour le continent. Elle s’était ouverte avec la démocratisation consécutive à la fin de la guerre froide en 1989. Elle s’est refermée avec l’échec, sur fond de désastre social, des programmes d’ajustement structurel (PAS) et leur remplacement par de nouveaux plans – par exemple, les documents de stratégies pour la pauvreté (DSRP) – au début des années 2000. Les conséquences et le sens de ce tournant historique émergent lentement et une nouvelle partie semble s’engager pour les 905 millions d’Africains. »
Ainsi commence le nouvel essai d’Anne-Cécile Robert. Journaliste au Monde diplomatique et universitaire, celle-ci s’était fait connaître en 2006 en publiant un retentissant et un tantinet provocateur L’Afrique au secours de l’Occident, qui renversait déjà les paradigmes dominants concernant le continent noir et invitait ses lecteurs à considérer le prétendu « retard » de l’Afrique comme une modalité de résistance au modèle économique libéral imposé par l’Occident. Une résistance dont pourraient s’inspirer les pays européens en butte, à leur tour, à la dictature du marché et au capitalisme sauvage. Ce nouveau livre poursuit la réflexion entamée dans le précédent essai de la journaliste. Il nous entraîne au cœur d’une Afrique bouillonnante d’idées et d’énergies, en train de se réinventer en tant qu’Etats, en tant que sociétés, en tant qu’entités géopolitiques. D’où le titre : Afriques, années zéro…


Mutations et renaissance

A première vue, rien n’a changé : corruption, violences, coups d’Etat, guerres, maladies et pauvreté continuent de définir et ravager le continent. Le génocide rwandais des années 1990 répond en écho à la guerre tragique du Biafra qui avait conforté, dans les années soixante, l’idée selon laquelle l’Afrique des indépendances était bien mal partie ! Or c’est précisément dans la décennie charnière post-guerre froide, explique Robert, que le contrat social issu des indépendances a volé en éclats, sous l’effet conjugué de l’échec des thérapies néolibérales préconisées par les bailleurs de fonds occidentaux (le Fonds monétaire international, la Banque mondiale…) et de l’émergence de nouvelles raisons d’espérer (démocratisation, retour de la croissance et, last but not least, fin de l’apartheid en Afrique du Sud). Si cette période a vu l’Afrique s’enfoncer dans la crise, donnant l’impression d’un chaos généralisé, elle a vu également s’ébaucher de profondes mutations touchant tous les aspects de la vie africaine.
C’est de ces mutations que cet essai tente de rendre compte, en douze chapitres, mêlant le récit et l’analyse. Son objectif est de montrer que l’Afrique des années 2000 (« années zéro ») est très différente de l’Afrique des indépendances, contrôlée tant bien que mal par un Occident au réflexe néocolonial. « Quatre grandes lignes de fracture permettent, explique Anne-Cécile Robert, de se rendre compte des mutations, par nature ambivalentes, du continent : l’échec des thérapies néolibérales, les aléas de la démocratisation, la nouvelle sociologie et l’évolution de la géopolitique africaine. »


De nouvelles cartes entre les mains des dirigeants africains

La nouvelle donne africaine n’est pas économique dans la mesure où la pauvreté demeure massive sur le continent, malgré le retour de la croissance, notamment dans les pays exportateurs de matières premières. Les mutations que Robert pointe dans son essai sont avant tout d’ordre social et politique : émergence d’une nouvelle classe moyenne (les « cheetah » au Nigeria, les « black diamonds » en Afrique du Sud), accélération de l’urbanisation, foisonnement de créations artistiques et de mouvements culturels, naissance d’une société civile dont témoigne la multiplication des associations et des syndicats particulièrement revendicateurs, entrée en scène de nouveaux partenaires économiques tels que la Chine, l’Inde ou la Russie. Ce dernier phénomène, suggère l’auteur, est en train de changer profondément la donne géopolitique de l’Afrique dans la mesure où les dirigeants africains ont désormais en main de nouvelles cartes qu’ils peuvent jouer à leur avantage dans les négociations avec leurs partenaires traditionnels (et longtemps hégémoniques) tels que la France, l’Angleterre ou les Etats-Unis.
Résolument afro-optimiste, Anne-Cécile Robert voit dans ces changements l’amorce d’une nouvelle ère dans l’histoire africaine. Ils ouvrent, croit-elle, le champ des possibles et créent les conditions de la genèse d’une modernité africaine, inventée pour eux-mêmes par les Africains eux-mêmes.

Tirthankar Chanda


Afriques, années zéro. Du bruit à la parole, par Anne-Cécile Robert. Editions l’Atalante, 224 pages, 14 euros.



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