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21/07/2008
Congo
Jean-Baptiste Tati Loutard a tiré sa révérence


(MFI) L’écrivain et poète congolais Jean-Baptiste Tati Loutard, par ailleurs ministre des Hydrocarbures, s’est éteint le 4 juillet 2009 à Paris. Depuis, la polémique fait rage. Reconnu par certains comme l’un des plus grands poètes africains, il est aussi toutefois accusé par ses détracteurs d’avoir été le poète officiel des régimes successifs de Denis Sassou Nguesso.

« S’il a publié des romans, nouvelles et essais, il reste essentiellement poète, incontestablement le plus grand poète francophone de l’Afrique subsaharienne », disait de lui son collègue de plume Boniface Mongo-Mboussa dans un portrait1 qu’il lui consacrait lors de la sortie de l’intégrale de ses Œuvres poétiques (éd. Présence africaine) en juin 2007. « L’écriture poétique de Jean-Baptiste Tati Loutard accompagne les années post-coloniales. Contemporaine en ses débuts de la construction des indépendances nationales, elle précède la tension vers les conférences nationales au tournant des années 1990 et leur succède », rappelle Arlette Chemain, de l’université de Nice, qui préface ce volumineux ouvrage*.
Au total, une trentaine d’années d’écriture sont réunies pour la première fois, depuis ses premiers titres, Racines congolaises, Les Poèmes de la mer (1968) – « création lyrique » où le poète médite sur « La mer vieille rapace lasse », la mer de son enfance à Ngoyo près de Pointe-Noire, en bordure d’océan, où il naît en 1938, mais aussi la mer devenue finalement le symbole de sa hantise de la déportation et de l’esclavage. Mais le recueil Les Poèmes de la mer resta surtout célèbre pour sa postface. Tati Loutard y a critiqué la négritude, chère à Léopold Sédar Senghor. Une opposition qui s’apaisa avec le temps. Lors de la parution du Dialogue des plateaux, son sixième recueil (1982), Senghor lui envoya une lettre dans laquelle il le qualifiait de « meilleur poète du Congo », titre partagé avec Félix Tchicaya U Tam’si. « En effet, lui dit Senghor, vos poèmes sont striqués de ces images analogiques qui sont « paroles plaisantes au cœur », et vous y ajoutez, souvent, pour le « plaisir de l’oreille », des paroles mélodieuses. »


Senghor et Loutard : de nombreux points communs

Senghor et Tati Loutard avaient d’ailleurs de nombreux points communs. « L’un et l’autre sont d’abord d’éminents philologues et pédagogues, avant d’être des poètes, souligne Mongo-Mboussa. Tous les deux sont des poètes modernes alliant la critique et la pratique poétique, toujours à l’affût du mot juste. Cependant, là où Senghor se pose en père de la négritude et de la critique négro-africaine, avec tout ce que cela suppose de « suffisance », Tati Loutard, lui, opte pour l’aphorisme comme mode critique. Ce qu’il appelle la vie poétique : une méditation à l’aide des fragments sur la relation entre l’art et la vie, sur le statut du poète dans la société contemporaine. »
Autre point commun, la politique. L’écrivain et poète congolais a mené à partir de 1975 – et pendant près d’un demi-siècle – une double carrière politique et littéraire. Après des études supérieures à l’université de Bordeaux (France), il enseigne la littérature et la poésie, notamment à l’université Marien Ngouabi de Brazzaville, tout en étant successivement ministre de l’Enseignement supérieur, ministre de la Culture puis – après une longue interruption – ministre des Hydrocarbures. Un poste-clé, au Congo, qu’il occupa jusqu’à sa mort le 4 juillet 2009 à Paris. Homme politique, il dirigeait aussi le Mouvement pour l’action et le renouveau (MAR), une formation proche de la majorité présidentielle, à la veille du scrutin du 12 juillet 2009 – élections à l’issue desquelles Denis Sassou Nguesso III s’est déclaré vainqueur avec 78 % des voix et un taux de participation de plus de 66 % malgré le boycott des partis d’opposition.


L’une des voix les plus importantes de la poésie d’expression française

Cet engagement ne pose pas question au romancier Alain Mabanckou qui, campé sur son blog2
– et sous sa casquette d’éternel bohème –, renchérit depuis Alger où il assiste au festival panafricain. « Ce grand poète était l’une des voix les plus importantes de la poésie d’expression française (membre du Haut-Conseil de la Francophonie, il fut couronné par l’Académie française pour sa contribution au rayonnement de la langue française) », rappelle-t-il, estimant que Loutard a marqué « toute une génération de jeunes auteurs congolais. (…) Dès mes premiers textes poétiques, je ne cachais pas ma fascination pour cet univers à la fois apaisé et traversé par les fêlures de l’existence… ». Evoquant la polémique avec Senghor, il ajoute que pour Tati, il ne s’agissait pas « de bêler en masse mais de regarder l’Homme dans ses tourments. D’où le repli vers la nature et les thèmes éternels : la Mort, l’Amour, la nostalgie de la terre congolaise et la fascination pour l’Art – en particulier la peinture. »
Des propos que le Congolais Blaise Kibonzi est très loin de partager. Il le signifie par un post sur le propre blog de Mabanckou : « Le silence, pour ne pas dire l’indifférence totale qui accompagne la mort de Jean-Baptiste Tati Loutard au Congo est en réalité très parlant. Hier soir, alors que j’étais contraint et forcé de regarder Télé Congo (…), j’ai vu des images de l’actuel ministre de la Culture (…) faisant son petit numéro dans son village natal, sous les commentaires enthousiastes d’un journaliste-griot local. (…) Le peuple congolais en a marre de cette mascarade à laquelle l’inamovible ministre Jean-Baptiste Tati Loutard a largement contribué (…). La seule période de sa vie où il n’a pas été ministre, c’est paradoxalement lorsque le peuple a tenté d’instaurer la démocratie au Congo (entre 1990 et 1997). (…) On ne peut pas indéfiniment duper un peuple. D’ailleurs, la mascarade d’élections organisées par Sassou Nguesso l’a prouvé hier. Le peuple n’est pas allé voter. Regardez les images de la télévision pourtant brejnévienne (…), dans les files d’attente pour aller voter, il n’y avait parfois que trois personnes. »

Antoinette Delafin




* Œuvres poétiques, de Jean-Baptiste Tati Loutard, aux éditions Présence africaine. 606 pages, 23 euros.

1. www.africultures.com
2. www.alainmabanckou.net




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