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14/07/2009
Festival dAvignon 2009 : les nuits Wajdi Mouawad

(MFI) Auteur, metteur en scne, comdien, Wajdi Mouawad est un Qubcois pas comme les autres. Dorigine libanaise, il est lartiste associ de la 63e dition du Festival dAvignon. Il a enthousiasm les spectateurs de la Cour dhonneur du Palais des Papes par sa saga pique de guerre et de familles dsunies qui dure toute la nuit.

Le Festival dAvignon qui a ouvert ses portes le 07 juillet, fait une large place cette anne luvre de lauteur et metteur en scne libano-qubcois Wajdi Mouawad. Ce dernier est lartiste-associ de cette 63 dition du Festival. Il est le premier artiste-associ dorigine non-europenne. Cest sur la scne prestigieuse du Palais des Papes que lhomme de thtre bas au Qubec a prsent son principal spectacle. Il sagit de lintgrale de sa ttralogie qui se droule toute la nuit (spectacle de 11 heures), avec le lever de rideau 20 heures. Avignon est coutumier de ces programmes nocturnes qui ont la faveur des festivaliers et qui se jouent devant des salles comble. Lintgrale de Mouawad na pas failli la rgle, avec chaque matin une standing ovation pour le metteur en scne et ses comdiens tous trs talentueux.
Le spectacle que propose Mouawad aux spectateurs du Palais des Papes est en effet inoubliable. Inoubliable par la puissance de la narration, par le lyrisme de sa scnographie et par luniversalit des thmes que lcrivain brasse : dsir, identit, qute des origines, confrontation avec lAutre En ralit, cette intgrale nen est pas une car elle est compose seulement des trois premiers volets de la ttralogie : Littoral (1997), Incendies (2003) et Forts (2006). Le dernier volet du quatuor, intitul Ciels, sera prsent sparment dans la deuxime partie du festival (1). Ce sera une cration, alors que les trois premires pices ont dj t joues plusieurs fois sur des scnes franaises et canadiennes.
Autobiographiques en partie, les quatre pices puisent leur matire et leur coloration dans lexil que connat lauteur depuis lge de dix ans, lorsque sa famille a fui la guerre au Liban pour migrer, en France dabord, puis au Qubec. Je voulais crire sur lexil mais sans jamais parler dexil, je voulais parler de dplacement mais sans jamais que les choses ne bougent, je voulais parler denfermement mais en situant laction en plein air , a racont Wajdi Mouawad dans un rcent livre consacr au making-of de ses spectacles (2). Le Liban nest jamais cit nommment dans les pices, mais il est prsent par la violence de la guerre ainsi que par la thmatique de lenfance perdue jamais que lauteur associe son pays natal. Littoral, Incendies, Forts, Ciels, explique-t-il, comme lenvie de recrer les lments pour rpondre la perte des lments. Arrach la mer voici Littoral, arrach au dsir voici Incendies, arrach la montagne voici Forts, arrach aux oiseaux voici Ciels.


Un trop-plein dhistoires et dactions

Rompant avec le thtre minimaliste moderne, les pices du Libanais se caractrisent par leur trop-plein dhistoires et dactions. Cest en conteur oriental la Sophocle que Mouawad aborde le thtre, mais ses stratgies de narration sont rsolument modernistes, mlant avec brio des histoires au long cours avec lart du fragment et de la dconstruction.
Ainsi, dans Incendies qui est sans doute la pice la plus russie de la saga prsente la Cour dhonneur , le rcit polyphonique de la qute identitaire des deux protagonistes dans le Montral contemporain finit par retomber sur ses pieds, aprs de longs dtours par la guerre civile au Moyen-Orient, par des rfrences intertextuelles Sophocle, Shakespeare ou Kafka. Avec Forts, on est dans un polar palontologique qui met en scne la rsolution douloureuse dun puzzle identitaire, avec pour cadre les guerres europennes de 1870, 1914 et 1939. Enfin, Littoral, pice qui a vritablement fait connatre Mouawad en dehors des frontires canadiennes, entrane le spectateur sur les pas du jeune Wilfrid qui transporte sur son dos, tel Sindbad le marin, le cadavre de son pre afin de lui offrir une spulture dans son pays natal. Ce retour au pays des anctres devient pour le jeune protagoniste lopportunit dexplorer les fondements mme de son existence et de son identit. Grce aux rencontres quil fait chemin faisant, avec les autres, avec locan et surtout avec soi-mme, il russira se librer de la maldiction de lenfance qui est, ne cesse de rpter lauteur dune pice lautre, un couteau plant dans la gorge .
Se librer des fantmes de lenfance et de lhritage, tel semble tre lenjeu de la dramaturgie wajdienne. Une dramaturgie qui pouse avec une loquence blouissante de beaut et de force les contours de la vie, celle dun Libanais orphelin de son pays, celle aussi des spectateurs de la Cour dhonneur qui se sont identifis aux personnages de fiction de Wajdi Mouawad et ont du mal, le matin venu, rintgrer leurs vies accables sous le poids de la banalit du rel.

Tirthankar Chanda


(1) Au Parc des Expositions de Chteaublanc, les 18, 19, 21, 22, 23, 24, 26 ( 22 heures).
(2) Le sang des promesses. Puzzle, racines et rhizomes, Wajdi Mouawad, d. Actes Sud/Lemac, 96 p., 12 euros.




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