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18/08/2009 | |||
Ananda Devi : « Le père ne s’excuse jamais du mal qu’il a perpétré autour de lui » | |||
(MFI) Ananda Devi, romancière et nouvelliste, s’est fait connaître dès 1973 en publiant sa première nouvelle, primée par l’ORTF. La « jeune prodige » n’avait alors que quinze ans. Depuis, elle n’a cessé d’écrire, publiant à intervalles réguliers des récits troublants et poétiques sur la condition féminine à l’île Maurice. Avec son quatorzième roman Le sari vert qui paraît ces jours-ci (Gallimard), la Franco-Mauricienne livre une de ses œuvres les plus puissantes sur les ravages du patriarcat. Au cœur de ce récit, trois générations de femmes, solidaires dans leur lutte contre les lois machistes d’une société cruelle et violente. Cette souffrance est symbolisée par l’agonie d’une vache, que des jeunes laboureurs en colère contre les propriétaires des usines sucrières ont abandonnée au milieu d’un champ après lui avoir coupé les quatre pattes… | |||
Cette métaphore de la vache mourante, est-ce seulement une métaphore ? Je n’ai pas personnellement assisté à cette scène. Mais lorsque je faisais ma thèse en anthropologie sur l’évolution des communautés minoritaires à l’île Maurice aux 19e et 20e siècles, j’ai effectivement vu des documents attestant de la cruauté perpétrée contre les animaux par certains groupes en colère contre leurs patrons. Je me souviens avoir été frappée par cette image de la vache aux pattes coupées abandonnée au milieu du champ. Puis, j’avais complètement occulté cette scène. Plus de vingt ans après, le processus de l’écriture l’a restituée. Compte tenu de l’importance que revêt la vache dans la société hindoue, qui l’a déifiée, l’image de la vache aux pattes coupées à qui on empêche ainsi d’aller de l’avant m’a semblée emblématique de la condition de la femme à Maurice, mais aussi de la société mauricienne en général. « La violence est une grâce », proclame le protagoniste de votre roman. Est-ce qu’on peut dire que Le sari vert est un roman sur la violence patriarcale ? Oui, la violence est ce qui caractérise l’homme qui est au centre de ce roman. Ce médecin tyrannique a régné sur son entourage par la violence. Ses brutalités ont causé la mort de son épouse. Je voulais remonter à la source de cette violence, mais aussi montrer parallèlement comment les victimes se vengent de la souffrance que cet homme leur a infligée. Cette vengeance est d’autant plus terrible que le père ne s’excuse jamais du mal qu’il a perpétré autour de lui. Il meurt dans la méchanceté, comme il a vécu. Face à la violence de l’homme, la folie de la femme ? La folie est libératrice. C’est par la folie que les femmes réussissent à sortir de la prison mentale, sociale et physique dans laquelle la société patriarcale les enferme. La violence du mari, du père, empêche la femme de s’exprimer. Il faut qu’elle sorte de la norme, embrasse l’anormal qu’est la folie pour pouvoir enfin s’exprimer. Pour pouvoir « être », tout simplement. Dans la littérature féministe, la folie est une métaphore récurrente. La dernière partie du livre, où vous avez réuni les victimes par-delà la mort, rompt avec le ton réaliste du livre… Effectivement, cette scène se situe du côté du magique et du surréaliste. Je voulais redonner la voix aux femmes, rappeler que l’espoir était possible. Cet espoir passe par la solidarité entre les victimes. J’ai donc ressuscité la grand-mère morte, imaginé la réunion des vivantes et des mortes. Je craignais que mon éditeur ne me demande de supprimer cette scène, mais je crois que, lui aussi, a été convaincu du besoin esthétique d’un passage magico-réaliste qui vient contrebalancer la grisaille et la violence du récit. Le sari vert est votre quinzième roman. Comment êtes-vous venue à l’écriture ? Je suis venue à l’écriture par le biais de la lecture. Notre maison à Maurice était remplie de livres. J’ai été aussi nourrie par des contes de la tradition hindoue que ma mère me racontait. J’ai écrit mes premiers poèmes à l’âge de sept ans. Depuis, je n’ai plus cessé d’ecrire. Mais c’est seulement à l’adolescence que j’ai commencé à prendre au sérieux mon travail d’écrivain. Ensuite, il m’a fallu un certain temps pour me considérer comme écrivain car il me semblait qu’il fallait mériter ce titre. Cette conscience est venue progressivement, au fur et à mesure que paraissaient mes livres et qu’un cercle de lecteurs fidèles s’était formé autour de moi. On ne s’improvise pas écrivain. C’est à force de travail et de don de soi qu’on le devient. Le sari vert, par Ananda Devi. Editions Gallimard. 215 pages. 16,50 euros. | |||
Propos recueillis par Tirthankar Chanda | |||
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