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15/09/2009 | |||
Abdulrazak Gurnah, romancier du dracinement et de lexil | |||
(MFI) Conteur sophistiqu et dlicat, le Zanzibarite Abdulrazak Gurnah (Prix RFI Tmoin du Monde 2007 pour Prs de la mer) ne cesse de sinterroger sur la question douloureuse de lidentit postcoloniale travers ses fictions quasi-autobiographiques consacres aux vies prises au pige des caprices de lhistoire impriale. Son nouveau roman Adieu Zanzibar sinscrit dans ces interrogations fondamentales et propose, par le biais des histoires embotes damours et de trahisons, une fable du dracinement, de lexil et de possibles renaissances. | |||
Avec sept romans et recueils de nouvelles son actif et des essais sur la littrature africaine, le Zanzibarite Abdulrazak Gurnah sest impos comme lun des romanciers africains les plus accomplis dans la narration des rcits damours et de qutes identitaires sur fond de domination impriale. Son nouveau roman tmoigne de la matrise et de la sensibilit peu commune avec lesquelles Gurnah conte ses histoires, mlant imagination et lments autobiographiques. Lhistoire de son nouveau roman Adieu Zanzibar est raconte par un narrateur dnomm Rashid qui a quitt son pays natal, en loccurrence lle de Zanzibar (en Tanzanie) pour venir faire carrire en Angleterre. Tout comme lauteur qui a quitt lui aussi Zanzibar, il y a un peu plus de quarante ans, pour partir tudier en Angleterre, se condamnant par l mme vivre dans les patries imaginaires dont a parl si loquemment un autre grand exil des temps modernes, Salman Rushdie. Adieu Zanzibar, paru en anglais il y a quatre ans et qui sort ces jours-ci en version franaise, est un roman dabandons successifs, suggr par le titre anglais du livre : Desertion . Abandon du pays, abandon de ltre aim, abandon du pays... Professeur de littrature en Angleterre, le narrateur se souvient de lle o il a grandi, de son histoire familiale et nationale, de sa jeunesse. Il se souvient surtout de son frre Amin et de sa liaison malheureuse avec Jamila, belle mtisse la rputation sulfureuse. Gurnah a crit ici quelques-unes des pages les plus mouvantes de la littrature sur lamour dun adolescent pour une femme un peu plus ge que lui, donnant lire dans le dsordre le romantisme, la tendresse, la douleur et le dsespoir de labandon. Ces sentiments contradictoires dexaltation et de crainte de dsunion sont prsents ds la premire rencontre des deux amants. Le cortge des souvenirs Il resta dans lobscurit et la regarda sloigner dun pas nonchalant comme si de rien ntait en direction du bruit et de la foule. Il ne ressentait plus aucune peur prsent, mais un trouble et une incrdulit qui faisaient spanouir un large sourire sur ses traits. Elle le trouvait beau quand sans cesse il se rptait quelle tait incroyablement belle. Elle lavait embrass avec des spasmes de plaisir quand il stait attendu ce quelle clate de rire. Son visage tait une multitude de dtails, la lumire de ses yeux, la forme de sa bouche et ce sourire qui lui avait caus de la douleur. Tout meurt, dans linstant parfois, le moment se prolonge et puis senfuit, ft-ce vers le cortge des souvenirs. Il savait que ces moments ne mourraient pas tant quil en garderait le souvenir le got de ses lvres pour la premire fois, ses cuisses presses contre lui, sa main pose sur sa nuque. Il avait senti dans son treinte un cho de sa propre impatience, de son propre dsir. Ce devait tre cela aimer et tre aim en retour, songea-t-il, imaginant, prsent quil savait, comme il devait tre terrible daimer et dtre conduit, davoir soif de lautre et dtre rejet par lui. Embote dans ce rcit damours et de sparations venir entre deux jeunes Zanzibarites des annes 1950 se trouve une autre histoire damour qui sest droule cinquante ans auparavant, en pleine priode coloniale. Le roman souvre sur cette histoire de romance primitive entre un aventurier britannique et une jeune Zanzibarite, qui fit scandale en son temps. Sur quatre chapitres, Gurnah relate ce rcit sulfureux et ses rpercussions dans la socit coloniale de lpoque, partant de lpisode originel de larrive dramatique de lAnglais Martin Pearce Zanzibar par une aube incertaine de lt 1899. Spar de ses compagnons, dtrouss par ses guides somaliens, lhomme est dcouvert quasi mourant par Hassanali le marchand qui le recueille chez lui et lui sauve la vie. LAnglais tombe fou amoureux de la sur de son hte, la jeune Rehana, avec laquelle il connatra un grand amour. Les deux amants vivront ensemble pendant plusieurs annes, puis Pearce repartira pour lAngleterre, abandonnant sa matresse indigne alors enceinte de sa fille. Sur ces histoires damours et de sparations se greffe le rcit des dsarrois du narrateur, emptr dans ses propres checs sentimentaux. Tout lart de Gurnah consiste rvler progressivement les liens secrets et fconds entre ces diffrentes histoires, entre les poques qui se succdent et ne se ressemblent gure. Agrgs par la magie de la prose thrapeutique de lauteur, les amours et les abandons successifs deviennent leur tour les lments dun puzzle identitaire moderne dont le hros nest autre que le narrateur exil, hant par la nostalgie des siens et du pays natal. Une nostalgie teinte de culpabilit (desertion ?) dans laquelle se reconnatront sans doute tous les migrs dhier et daujourdhui car nest-elle consubstantielle leur condition dexpatri ? Adieu Zanzibar, par Abdulrazak Gurnah. Traduit de langlais par Sylvette Gleize. Galaade Editions, 284 pages, 21 euros. | |||
Tirthankar Chanda | |||
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