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19/01/2010
Les dix bougies des Continents noirs Jean-Nol Schifano: Les crivains africains ont le dos au mur

(MFI) Continents noirs a 10 ans. La collection africaine des Editions Gallimard, dirige par l'innarrable Jean-Nol Schifano, ftera dignement le 10 fvrier prochain cet anniversaire et surtout les 35 auteurs qui ont fait sa rputation.

Parmi ses auteurs, quelques-unes des grandes plumes du monde noir contemporain : Ananda Devi, Abdourahman Waberi, Sami Tchak, Kangni Alem, Koffi Kwahul, Henri Lopes, Patrice Nganang, Edem, Fabienne Kanor, Bessora ou Natacha Appanah... Certains de ces crivains ont t rvls par Continents noirs, d'autres ont trouv dans cette collection un point de chute provisoire et accueillant qui leur a permis de continuer de produire des textes de qualit. Ces textes, qui donnent lire la diversit et la vitalit contemporaine de l'imaginaire de l'Afrique et de ses diasporas, ont russi imposer la collection des ditions Gallimard comme un accoucheur talentueux de continents rares et trop longtemps cachs.

Cinq questions Jean-Nol Schifano, fondateur et directeur de Continents noirs :

MFI : Qu'est-ce qui fait l'unit de cette collection qui rassemble des crivains d'origines diffrentes (Afrique, Antilles, ocan Indien) et d'inspiration trs diversifie, mme s'ils ont tous un lien ancestral ou imaginatif avec le continent noir ?

J-N. S : Ce n'est ni leur origine, ni les thmes qu'ils brassent dans leurs ouvres, qui fait l'unit de la collection. C'est plutt leur dsir d'criture. Un dsir ancr dans la ncessit fondamentale des auteurs de raconter leurs traumatismes collectifs ou individuels, leur dracinement et leurs difficults s'insrer dans le monde contemporain. Ils crivent par ncessit et jamais par besoin de joliesse ou de fantaisies. Je me suis rendu compte de cet aspect de l'criture noire lorsque j'ai lu Mongo Bti dont j'ai publi plus de mille pages de textes, de rflexions, de commentaires dans Continents noirs. Chacune de ces pages est imprgne de cette urgence douloureuse qui pousse l'crivain africain crire, aller l'essentiel, refusant la lgret ou le jeu inutile des apparences que nous aimons tant en Europe. Les crivains africains ont le dos au mur. Ecrire ou disparatre : le choix est vite fait !

MFI : Votre collection a fait couler beaucoup d'encre. On vous a reproch de vouloir ghettoser la littrature africaine. Comment ragissez-vous ces reproches ?

J-N. S : Vous savez, ce genre d'attaques fait rigoler mes auteurs qui sont d'ailleurs les premiers viss. Ils ne comprennent pas car ils n'ont pas l'impression d'tre dans un ghetto o ils vont tre fusills. Ils crivent avec la plus grande libert au sein d'un ensemble mondialis qui a pour ambition de runir les critures d'Afrique, des Carabes et de la diaspora. L'objectif de Continents noirs a t ds le dpart de donner une plus grande visibilit aux littratures noires longtemps disperses au sein des grandes maisons d'dition. Celles-ci mettent en avant tel ou tel titre qui marche bien, laissant les autres au bord de la route. Mon approche a t diffrente dans la mesure o j'ai tent de faire affleurer une sensibilit, une cohrence civilisationnelle . Cela m'a sembl tre le moyen le plus efficace de lutter contre une rception encore trop mprisante des littratures d'Afrique et de la diaspora. Rcemment encore, l'une de mes attachs de presse s'est entendu dire par son interlocuteur dans un grand journal parisien: Nous avons dj publi cette anne un article sur un romancier africain. Vous ne voudriez quand mme pas qu'on en publie d'autres !

MFI : Quels ont t les titres phares de la collection ?

J-N. S : Il y en a eu plusieurs en dix ans d'existence. En vrac : Les Rochers de Poudre d'or de Natacha Appanah qui est disponible en Folio, Le gnocide voil de Tidiane Ndiaye qui s'est vendu 17 000 exemplaires, ce qui est assez rare pour un essai, Histoire d'Awu de Justine Mintsa qui est une des romancires les mieux vendues de la collection, surtout en Afrique. En tant que directeur d'dition, je ne peux pas uniquement tenir compte des chiffres de vente, je suis galement fier d'avoir publi Place des ftes de Sami Tchak, Babyface de Koffi Kwahul ou Lagon, Lagunes de Sylvie Kand. Ce sont des textes d'une trs grande exigence littraire qui ont marqu l'histoire de la collection. Les cinq textes que nous publions cette anne*, l'occasion des festivits du dixime anniversaire, sont aussi des textes trs forts sur le plan de l'expression et de la nervosit.

MFI : Vos projets pour les prochaines annes ?

J-N. S : Je voudrais surtout dvelopper les traductions. Les anglophones, les lusophones, les italophones font aujourd'hui preuve d'une trs grande vitalit. A cause des contraintes budgtaires, je ne les ai pas beaucoup publis. Sur les 70 titres parus, il n'y a eu que 3 titres en traduction : Les tnbres de la mmoire de Donato Ndongo (hispanophone), La Saison des fous d'Edouardo Agualusa (lusophone) et L'Ivrogne dans la brousse d'Amos Tutuola (anglophone).

MFI : Pour finir, pouvez-vous nous rappeler comment est ne l'ide de cette collection ?

J-N. S : L'ide de la collection Continents noirs est ne pendant un voyage au Gabon, en compagnie d'Antoine Gallimard. Dans l'avion qui nous emmenait Libreville, Antoine m'a parl de la traduction de Tutuola par Raymond Queneau. Et de fil en aiguille, le rve d'une collection africaine a pris forme. C'tait fin janvier 1999. Un an plus tard, nous sommes revenus Libreville pour prsenter les cinq premiers titres de la nouvelle collection des Editions Gallimard, consacre au monde noir. Dix ans aprs, on peut dire que la collection a pris son envol, avec trente-cinq auteurs publis. Ces auteurs sont devenus des amis avec lesquels j'ai l'impression de poursuivre le travail que faisait mon pre. Il tait sicilien, parlait trs mal le franais, mais faisait merveilleusement son mtier de tailleur-couturier. Alors nous avons fait de Continents noirs un immense atelier de couture o nous cousons, tissons et taillons dans le vif des imaginaires.

* Le diable dvot (roman), par Libar M. Fofana, L'Iguifou, nouvelles rwandaises, par Scholastique Mukasonga, Anticorps (roman) de Fabienne Kanor, Epitaphe (roman) par Antoine Matha et Monsieur Ki (roman), par Koffi Kwahul.

(Propos recueillis par Tirthankar Chanda)

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