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26/01/2010
Monsieur Ki, rhapsodie parisienne sourire pour caresser le temps Le jazz-romance de Koffi Kwahul

(MFI) Homme de thtre, romancier, nouvelliste, Koffi Kwahul s'est impos en l'espace d'une vingtaine d'annes d'criture comme une figure incontournable des lettres africaines modernes. Avec sa sensibilit puise la fois dans les classiques africains (Kourouma, Sony Labou Tansi) et les lettres europennes (Shakespeare, Molire, Beckett), et surtout dans les rhapsodies du jazz ( je suis un jazzman ), il est en train de renouveler la narration africaine. Son nouveau roman Monsieur Ki se situe au carrefour des courants et des univers, entre le jazz et Djimi...

On ne prsente plus Koffi Kwahul. N en Cte d'Ivoire en 1956, mais vivant Paris, l'homme est connu dans le monde entier pour son ouvre thtrale, riche d'une vingtaine de pices (1). Celles-ci mettent en scne, travers les thmatiques de la violence et de la qute identitaire, la modernit du monde noir, ses mutations et ses passions. Ces pices, dont les plus connues ont pour titre Bintou, Cette vieille magie noire, Fama, Big Shoot ou Jazz, ont t joues sur les scnes franaises et internationales et ont valu leur auteur de nombreux prix. Le thtre que Kwahul a commenc crire dans les annes 1980 alors qu'il tait encore Abidjan, a t compar l'criture de Bernard-Marie Koltes, voire mme celle de Beckett.

Je pense en termes musicaux

On connat moins Kwahule prosateur. Il est pourtant auteur de plusieurs nouvelles et de deux romans. Son premier roman Babyface, paru en 2006, est une ouvre tonnante, originale et riche. C'tait une histoire d'amour polyphonique, sur fond de dsespoir, d'improvisations et de jazz. Je me considre comme un jazzman, a expliqu le romancier-dramaturge dans un trs bel entretien paru dans Jazz magazine. (...) J'aimerais que l'on prouve au contact de mon criture la mme chose qu'au contact du jazz. Je pense en termes musicaux : ce n'est pas le sens d'un mot qui m'intresse - le sens viendra tout seul si le son est juste, si le rythme est bon. On retrouve quelque chose de cette modernit musicale de la narration de Kwahul dans son deuxime roman qui parat ces jours-ci : Monsieur Ki, rhapsodie parisienne sourire pour caresser le temps. On dirait le titre d'un album musical, d'autant que le roman s'ouvre sur une citation mise en exergue de Charles Mingus, o il est question d'Art, de Bird, de solos, d'accompagnement, de mains qui brodent dans un geste crateur des mondes mystrieux et inattendus.

Les vnements mystrieux dont il va tre question dans ce nouveau roman-rhapsodie, ludique et feuillet, se droulent Paris, mais aussi dans un village africain o rgne une folie dsopilante. Tout se passe au pays, dans un village appel Djimi, un village non loin de mon propre village, rappelle le narrateur. A moins d'un kilomtre. Un village qui fait peur tout le monde, mme au gouvernement. Un village de dconnards, de timbrs, de dingues, de fous, d'irrcuprables. Village-fou, tel est l'autre nom de Djimi.

Un espace fictionnel

C'est la distance qui spare Djimi le village fou, et la rue Saint-Maur o le narrateur vient de s'installer, qui est l'espace fictionnel de Monsieur Ki. En emmnageant dans la chambre de bonne de la rue Saint-Maur, le narrateur y dcouvre une bande magntique, pose ostensiblement sur une table basse. On dirait qu'elle l'attendait. La voix qui parle sur la bande est celle de l'ancien locataire du studio, venu Paris de son lointain village de Djimi. L'homme raconte des histoires comiques de son village, proches de fables et peuples d'hommes et de femmes aux noms souvent extravagants : Ttanos, Anaconda-douze, Dynamo, Pythagore. Ces rcits, empreints d'une profonde joie de vivre, se mlent avec l'histoire tragique de ce locataire nigmatique que le narrateur dcouvre chemin faisant, donnent le ton de ce roman digressif, trs joycien. Tout l'art de Kwahul rside dans sa construction en mises en abme qui, si elles brouillent la linarit, font progresser le rcit par correspondances, par chos, par improvisations comme dans un morceau de jazz. Sa forme dialogue rappelle aussi le thtre kwaluhen o la parole est rvlatrice de flures et de tensions intriorises.

Monsieur Ki, rhapsodie parisienne sourire pour caresser le temps, par Koffi Kwahul. Collection Continents noirs , Gallimard, 160 pages, 16 euros.

(1) Pour aller plus loin, lire le dossier consacr au thtre de Koffi Kwahul ( Fratrie Kwahul: Scne contemporaine choeur corps ) dans la revue Africultures (n 77-78), coordonn par Sylvie Chalaye et Virginie Soubrier.

Tirthancar Chanda

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