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23/02/2010 | |||
Tho Ananissoh raconte les tnbres de l'Afrique | |||
(MFI) Rcit d'un retour au pays natal, ce roman est aussi une rflexion sur le destin de l'Afrique o l'homme n'a jamais t l'abri de la nature et des prdateurs humains. Un roman sombre et sans concession. | |||
Tho Ananissoh est l'un des auteurs majeurs de la clbre collection Continents noirs , chez Gallimard. Cette collection, qui vient de fter ses dix ans d'existence, a permis de dcouvrir une nouvelle gnration d'crivains africains, tous aussi ambitieux que talentueux. Ananissoh est de ceux-l. N en 1962, celui-ci a publi l'ge de 42 ans Lisaho, un premier roman nostalgique et trs littraire, mi-chemin entre polar et rcit d'apprentissage. Ce roman, plac sous le signe d'Andr Gide, matre penser de l'auteur, avait d'emble rvl la matrise narrative du romancier, la fluidit de son style et ses obsessions de l'Histoire, avec un grand H . Des obsessions qu'on retrouve dans Tnbres midi, son nouveau roman, le troisime, qui parat ces jours-ci. L'Histoire ponctue et marque de son sceau inquitant ce rcit bref d'une centaine de pages. Celle du Togo o se droule l'intrigue ( L'assassinat d'Olympio a t un acte extrmement primitif... Cela a enterr net la possibilit d'une vie conue et pense pour ce pays. ), celle de l'esclavage aussi qui est sollicite pour tayer la thse d'une Afrique frappe de malheurs depuis des temps immmoriaux. Y a-t-il dans notre pass des poques o l'homme a t... - Libre ? - Oui, ou digne ? - Aucune, fait-il, catgorique. Nous n'avons aucun souvenir d'un temps o l'homme a t l'abri. Ainsi devisent les principaux personnages qui peuplent le nouveau roman d'Ananissoh. Ils sont en qute d'un pays qui tarde merger, qui n'mergera peut-tre jamais. Faute de travail, d'imagination, de compassion. On est plus proche ici de la constatation cynique la Naipaul que de la rvolte de Gide. Inachvement et rsignation morale L'histoire ? Le narrateur revient dans son pays aprs plusieurs annes d'exil en Europe. Il s'agit du Togo, mais cela aurait pu tre une autre contre de la sous-rgion, car le pays ici est avant tout une mtaphore. Celle de l'inachvement, de la rsignation morale face au destin et la nature. Les gens ici ne savent pas qu'ils ont crer le monde eux aussi , crit le romancier, faisant cho Naipaul qui crivait dans A la courbe du fleuve, son grand roman africain : Le monde est ce qu'il est : ceux qui ne sont rien ou ne cherchent pas devenir quelqu'un n'y ont pas leur place. Une pense que le personnage principal du roman d'Ananissoh a fait sienne. Cette logique implacable va le conduire son effacement et son annihilation, non sans avoir d'abord donn au narrateur un aperu de ce vritable inferno qu'est devenue l'Afrique des indpendances. L'homme s'appelle Eric Bamezon, conseiller la prsidence de la Rpublique. A la demande d'une de ses anciennes matresses, celui-ci a accept de rencontrer le narrateur. Ce dernier veut crire un livre sur son pays, pour mieux le comprendre. Aprs un premier lapin, les deux hommes finissent par se rencontrer. Etrange personnage, ce Bamezon. A la fois prdateur et victime. Puissant et effac. C'est un homme d'extraction modeste. Son pre tait jardinier dans un grand htel de la capitale. L'homme prend le narrateur en amiti, sans doute parce qu'ils sont tous les deux crivains de cour. L'criture, c'est l'chappatoire, mais c'est aussi le seul moyen qu'ils ont pour dire le mal : Ce pays doit tre dcrit sans aucune crainte. Il va le conduire au bidonville o il a grandi au bord de la mer, ras depuis pour faire place aux villas des notables du rgime. Il le conduit aussi devant la maison dlabre de Sylvanus Olympio, premier prsident du pays, mort assassin. Bamezon raconte sa vie en Europe o il a fait de brillantes tudes, avant de revenir au pays dans l'espoir de contribuer son dveloppement. Mais le retour se rvlera catastrophique. Mon retour a t brutal. Il s'explique. Il est rentr au pays et s'est retrouv aussitt un poste et dans un environnement qui ne lui ont laiss aucune possibilit d'illusion. Il dit: Aucune chappatoire. Ce retour est le grand drame de la vie du personnage. Si sur le plan professionnel, cela reprsente une monte en grade puisqu'il trouvera une place au cour mme du dispositif du pouvoir, sur un plan intellectuel, c'est un vritable dclassement, puisque c'est la fin de tous ses rves. Il doit se rsigner devenir le complice d'un vaste projet de l'exploitation de l'homme par l'homme. De l'homme noir par l'homme noir. C'est cette alination de l'lite, rendue plus poignante par les infidlits de l'pouse de Bamezon (elle est la matresse du neveu du prsident), qui est le sujet principal de ce roman quasi-conradien de descente au cour des tnbres africaines. Ce qui fait la force de ce roman, c'est sa matire riche et foisonnante puise dans les drames de l'Afrique contemporaine. On regrettera que sa construction soit trop linaire et chronologique, ce qui surprend d'un romancier du Togo, pays dont sont issus quelques-uns des crivains les plus inventifs et les plus novateurs de l'Afrique d'aujourd'hui. Tnbres midi, par Tho Ananissoh. Collection Continents noirs , dition Gallimard. 138 pages, 13,21 euros. | |||
Tirthankar Chanda | |||
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