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16/03/2010
Murat Uyurkulak, romancier turc/ L'crivain met le doigt l o a fait mal

(MFI) C'est une nouvelle voix dans la littrature turque contemporaine. N en 1972 Aydin (Turquie) de parents enseignants et communistes, il s'est fait connatre en publiant en 2002 son premier roman : Tol. Un roman trs littraire et potique qui raconte travers le parcours initiatique du jeune Yusuf, les drives des annes 1950-1980 sur fond de chaos social et de violences tatiques. Rimprim six fois en Turquie, il a t traduit en allemand et vient de paratre en franais. Murat Uyurkulak tait Paris pour la promotion de son opus. Entretien.

RFI : Est-ce le mlange de la grande et de la petite histoire qui a fait le succs de votre premier roman ?

Murat Uyurkulak : Ce qui m'a fait particulirement plaisir, c'est le succs que mon roman a eu parmi les jeunes. C'est un objet de satisfaction pour moi que la jeunesse turque se reconnaisse dans cette Odysse que j'ai essay de raconter ma faon et qui est en ralit celle de la gnration de leurs parents. A travers la qute identitaire de mon personnage principal, qui plonge dans le pass de sa famille et de la nation, j'ai tent de capter les rves et les ambitions briss d'une gnration perdue. J'ai essay de parler librement de la socit turque, de ses strates de violence. Une violence qui vise les minorits mais aussi tous ceux qui osent contester la toute-puissance du rcit national trs monolithique dans lequel l'Etat nous a enferms.

RFI : Votre protagoniste, Yusuf, qui est une sorte d'crivain rat qui part avec le clochard Sair dans une prgrination travers l'espace et le temps la recherche de ses racines, c'est un peu vous ?

M.U. : Il y a effectivement une composante autobiographique dans ce roman. Tout comme la famille de Yusuf, ma famille a t profondment engage dans le mouvement de la gauche rvolutionnaire des annes 1970. Mes parents taient instituteurs. Ils taient membres du parti communiste interdit. A cause de leur radicalisme gauchiste, ils taient punis : on les envoyait enseigner dans des patelins pourris, priphriques et sous-dvelopps. Mon oncle, un activiste, se terrait, de peur d'tre arrt et tortur comme l'ont t beaucoup d'amis de mes parents. Le coup d'Etat militaire de 1980 a eu un effet dsastreux sur ma famille. Il a conduit mes parents divorcer. C'est alors que j'ai compris combien la politique tait troitement lie la vie. Et j'en ai eu la confirmation lorsque j'tais l'universit. C'tait la priode o la guerre entre l'arme turque et la gurilla kurde s'tait intensifie. L'un aprs l'autre, j'ai vu mes amis disparatre. Ils sont partis dans le maquis. Quelques jours plus tard, on dcouvrait leur tte aplatie dans les journaux. C'est pour honorer leur mmoire que j'ai choisi d'appeler mon livre, Tol, qui signifie vengeance en langue kurde. Mon roman est un hommage au peuple kurde. En tant que minorit, cette communaut a eu subir une trs grande oppression aux mains de l'Etat qui les empche de vivre selon leurs traditions ou de parler leur langue.

RFI : La mission de la littrature est-elle de demander pardon pour les crimes de l'Histoire ?

M.U. : La littrature n'est ni repentance ni propagande politique. La fiction, la posie n'ont pas s'occuper du politique en tant que tel. Leur matire brute, c'est l'homme. A travers mes romans* - j'en suis mon troisime - je tente de dire ce que la politique fait de nous. Je veux raconter nos luttes de chaque instant, petites et grandes, pour garder la tte hors de l'eau. L'crivain met le doigt l o a fait mal, sur notre humanit endolorie.

RFI : Votre criture, trs potique, qui mle le parler cru et le lyrisme, rappelle Cline. Est-ce un crivain qui compte pour vous ?

M.U. : J'ai lu Voyage au bout de la nuit aprs avoir fini d'crire Tol. C'est une lecture qui m'a profondment boulevers. Je ne dirai jamais assez merci Bukovski qui me l'a fait dcouvrir. Ce dernier a crit quelque chose du genre : une phrase de Cline vaut mille phrases manant de tous les grands crivains. J'ai longtemps pens que Bukowski avait trop bu quand il a crit cela, jusqu'au moment o j'ai eu en main la version turque du roman de Cline. Ce fut une exprience littraire comme j'en ai rarement connue. Je me souviens de m'tre fait la rflexion que cet homme crivait dj il y a soixante-dix ans comme je voudrais crire aujourd'hui. J'ai d'ailleurs lu Voyage au moins quatre ou cinq fois. J'ai mme crit des articles sur ce livre, car je me sens investi de la mission de le faire connatre aux lecteurs turcs.

RFI : Il y a en Europe un grand dbat depuis quelques temps sur l'europanit de la Turquie. Est-ce que la littrature turque est une littrature europenne ?

M.U. : Je rpondrai oui sans la moindre hsitation. Il suffit de lire les jeunes crivains turcs qui produisent aujourd'hui pour en prendre conscience. Je pense plus particulirement des auteurs comme Ayfer Tung, Murat Mentes, Alper Caniful, Murat Gulsoy ou Yekta Kopar. Ils sont mille lieux de la tradition orientaliste qui malheureusement sert encore aux critiques occidentaux de grille de lecture de notre production. La jeune littrature turque est une littrature urbaine, subjective, plus proche de Kafka et de Dostoevski que des Schhrazade et des Sindbad !

Tol, par Murat Uyurkulak. Traduit du turc par Jean Descat. Galaade ditions. 384 pages. 21,90 euros.

* Har (2006) est le deuxime roman de Murat Uyurkulak. Il est en train d'crire Merhum (La Dfunte) son troisime roman consacr sa grand-mre dfunte.

Propos recueillis par Tirthankar Chanda

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