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31/03/2006 | |||
Comment grer laide alimentaire internationale ? | |||
(MFI) La multiplication des crises alimentaires travers le monde rvle les antagonismes conomiques existants entre les deux blocs occidentaux : Etats-Unis et Europe. Aprs le Niger, lAfrique de lEst en fait les frais aujourdhui. | |||
Affameurs ! , lancent les uns. Profiteurs ! , rtorquent les autres. Les reprsentants des Etats-Unis et de lUnion europenne ne sembarrassent pas de termes diplomatiques quand il sagit daide alimentaire une question dsormais lie aux ngociations de lOrganisation mondiale du commerce (OMC). Les deux blocs occidentaux on laura devin par leurs propos ! dveloppent des stratgies diffrentes quand un Etat appelle laide suite une catastrophe naturelle, un conflit ou une crise conomique. Les Etats-Unis, qui fournissent 60 % de laide alimentaire mondiale, privilgient laide en nature et reprochent aux Europens de lui prfrer les transferts financiers destins lachat des denres sur le march du pays rcepteur ou celui du voisin. Un choix qui, selon eux, contribue la pnurie de nourriture et ne la rend pas plus accessible aux populations ncessiteuses qui nont, de toute faon, plus les moyens financiers de sen procurer en tant de crise. Do leur accusation de privilgier lidologie conomique llan du cur. Quant aux Europens, ils dfendent leur point de vue en rappelant que laide alimentaire fournie par les Etats-Unis enrichit surtout les intermdiaires, savoir les industriels de lagroalimentaire et les socits de logistique et de transport, qui absorbent prs de 38 % des cots. Les accusations des uns et des autres comportent une part de vrit, estiment les auteurs dun rapport, Cinquante ans daide alimentaire. Repenser son rle (Food aid after 50 years. Recasting its role), publi en juillet 2005 et dans lequel deux universitaires amricains remontent aux sources de laide alimentaire. Ecouler les surplus agricoles et soutenir le commerce A ses dbuts, dans les annes 1950, laide alimentaire ne seffectue que de faon bilatrale, cest--dire de gouvernement gouvernement. En dpit des discours officiels sur le droit de tout tre humain tre nourri, celle-ci est loin dtre dnue dintrts conomiques et politiques. Les pays producteurs utilisent les dons pour couler leurs surplus agricoles et garantir leurs fermiers le maintien des prix du march. Ils pensent galement que cette aide va servir la promotion de leurs produits ltranger. Le troisime volet concerne lacheminement, qui assure des subventions publiques confortables lindustrie maritime. Quant aux pays rcepteurs, ils revendent cette aide en nature bas prix et sont supposs utiliser ces revenus pour financer dautres initiatives du domaine public. Distribuer et revendre laide alimentaire internationale Dans les annes 1970, le canal de laide est revu. Celle-ci est confie au Programme alimentaire mondial (PAM) et aux organisations non gouvernementales qui la distribuent directement aux populations dans le besoin. On assiste alors un phnomne de montisation : les rcipiendaires revendent leurs rations alimentaires sur le march local. Ce mouvement prend de lampleur avec laccord tacite des donateurs, qui y voient un largissement de laccessibilit la nourriture et une forme de maintien dune activit commerciale. En 1991, la montisation concernait 10 % de laide. Dix ans plus tard, elle atteint 70 %. Imaginez que 60 % de votre march agricole soit capt par les importateurs et vous aurez une ide de ce que laide alimentaire reprsente pour les fermiers des pays rcepteurs ! , crivent les auteurs, fustigeant la concurrence ainsi cre. Mme si les industries alimentaires nont pas conquis les marchs quelles espraient (les consommateurs se sont enfoncs dans la misre), il nen demeure pas moins quelles restent lafft pour couler leurs produits (avec les Organismes gntiquement modifis, par exemple). Autre constat : les situations durgence se sont multiplies, rendant obsolte le transport maritime dont les dlais peuvent couvrir jusqu cinq mois. Le point de vue des organisations humanitaires Le dbat sur les formes que doit prendre laide alimentaire agite depuis longtemps les tats-majors des organisations humanitaires, gouvernementales ou non. Il est admis que des populations sont plus exposes linscurit alimentaire que dautres du fait de leur mode de vie (les leveurs nomades, par exemple). De la mme faon, on a identifi leur mode de survie en cas de pnurie. Les ressources naturelles sauvages ont t dment rpertories et leur consommation saisonnire, leurs apports nutritifs analyss par le PAM. Des systmes dalerte ont t mis en place sur le terrain, en liaison avec lobservation satellitaire. Toutes ces donnes demandent tre gres au plus prs. Ainsi a-t-on a calcul quentre le moment o les experts prviennent les Etats dun risque alimentaire et la ralit de la crise, il se droulait en moyenne huit mois. Huit mois durant lesquels des mcanismes pourraient tre mis en place pour rguler la situation - soit en intervenant sur les prix des marchs (btail et agriculture) soit en injectant des aides financires sous la forme de travail pour la collectivit. Les ONG prnent ainsi labandon des programmes travail contre nourriture au profit dun travail normalement rmunr qui offre les moyens dacheter manger. Largent peut constituer, dans des situations conflictuelles, un facteur dinscurit : il pourrait tre remplac par des chques semences , en accord avec des commerants locaux, laide en nature ntant utilise que pour les imprvus . Cette rorganisation de laide nest cependant possible que si lEtat concern joue son rle de rgulateur conomique. Et que la communaut internationale ragit avant de voir les images de famine sur ses crans de tlvision. Marion Urban Une famine en marche (MFI) Les images des enfants et des femmes dcharns, susceptibles de mobiliser les consciences et les financements internationaux, nont pas encore t diffuses par les medias. Pourtant, la Corne de lAfrique prsente en ce dbut danne 2006 tous les signes avant-coureurs de la famine. Trois millions et demi de Kenyans (environ 10 % de la population totale), et autant de Somaliens, Djiboutiens, Tanzaniens, Ethiopiens et Erythrens seraient affects. Un tiers du btail somalien aurait dj disparu et 70 % des bovins du nord-est du Kenya. Et les taux de malnutrition des enfants des leveurs nomades sont au rouge. Suite deux saisons des pluies dfectueuses, la production de mas et de mil sest effondre, entranant une augmentation du prix des crales et la chute du prix du btail - du fait de sa vente massive par les leveurs pour se procurer de la nourriture. Un tel cart est aux yeux des experts le signe dune famine en marche. Hormis la Somalie, qui vit une situation particulire depuis quinze ans, ces pays notamment le Kenya exportent leurs produits agricoles et en importent de plus en plus chaque anne, un facteur aggravant de dsquilibre alimentaire. LEthiopie et lErythre, en dficit alimentaire chronique, possderaient encore quelques stocks de laide internationale de lan dernier. Un cri dalerte a t lanc en octobre 2005 par le Kenya, suivi de peu par celui de la Somalie et aujourdhui par Djibouti et la Tanzanie. Le gouvernement kenyan a fait appel laide internationale hauteur de 245 millions de dollars. Son plan initial consistait acheter le mas disponible dans la rgion (Tanzanie et Ouganda) et le revendre bas prix. Ds lannonce de celui-ci, les intermdiaires se sont mobiliss et ont dmarch les agriculteurs qui avaient constitu des rserves. Certains paysans tanzaniens, appts par les offres, ont cd leur stock, compromettant lquilibre des ressources alimentaires de leur propre pays. A lheure actuelle, seulement 18,7 millions de dollars ont t rcolts par les Kenyans : laide durgence absorbe tout et na pas permis dappliquer la stratgie prvue. Par ailleurs, la perspective denvoi et de distribution daide alimentaire en Somalie, pays en proie lanarchie depuis 1991, a galement aiguis lapptit des miliciens privs. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a not une augmentation de 20 30 % des barrages sur les routes du Sud somalien. Labsence de structures tatiques complique srieusement les oprations alors que lorganisation internationale a besoin de plus de financements (325 millions de dollars) pour couvrir les besoins de la population en danger , estime 2,1 millions de personnes. M. U. | |||
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