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MFI HEBDO: Economie Dveloppement Liste des articles

28/04/2006
Questions internationales (1)
Energie : linsatiable apptit de la Chine


(MFI) Pour satisfaire sa forte croissance conomique, la Chine rachte tout va dans le monde entier des gisements ptroliers et gaziers. Une politique qui nest pas sans consquences diplomatiques, ces investissements se ralisant souvent dans des pays jugs risque par les Etats-Unis.

Quels sont les besoins nergtiques de la Chine ?

Toujours plus. Cest limpression que donne la consommation nergtique de la Chine. Quon en juge : en 2005, lEmpire du milieu a absorb 8 % de la consommation mondiale de ptrole, 27 % de lacier, 31 % du charbon et 40 % du ciment. Ses besoins en mtaux sont le double de ceux des Etats-Unis alors que son Pib est dix fois infrieur. Mais cest lvolution qui impressionne le plus : la consommation chinoise dlectricit a tripl depuis 1990 ; celle de ptrole augment de 41 % ces quatre dernires annes alors quau niveau mondial, la hausse ntait que de 6 %. Deuxime consommateur mondial dor noir aprs les Etats-Unis, Pkin engloutit dsormais 7 millions de barils par jour. Un chiffre qui devrait passer 12 millions en 2010 et 21 millions en 2020.
Un tel apptit la Chine reprsente le tiers de la demande mondiale supplmentaire de ptrole favorise videmment lenvole des cours des matires premires. Aujourdhui, les ambitions nuclaires de lIran, et les menaces militaires amricaines contre Thran, expliquent la flambe du prix du baril qui flirte avec les 75 dollars. Mais le boom conomique chinois a aussi sa part de responsabilit, tout comme il avait t justement point du doigt lors de la crise ptrolire de 2004. A Pkin, les autorits ne nient pas leurs besoins, mais rappellent que leur consommation de ptrole ne reprsente que le quart de celle des Etats-Unis, et mme 40 fois moins par tte dhabitant.


Le pays dispose-t-il de matires premires ?

Stendant sur une superficie de 9,5 millions de km, la Chine dispose dimportantes rserves de gaz et de charbon (115 milliards de tonnes). Un charbon qui assure 69 % de ses besoins en nergie. Mais le combustible est trs polluant. Le gant asiatique est le deuxime metteur mondial de gaz effet de serre et, selon lOrganisation mondiale de la sant, seize de ses villes font partie des trente plus pollues de la plante. Sans compter les nombreux coups de grisous et effondrements de galeries. Le pays est le premier producteur mondial de charbon, mais cest aussi dans ses mines que se produisent le plus grand nombre daccidents. Officiellement, 3 639 catastrophes ont fait 6 027 morts en 2005. Mais des ONG estiment ce chiffre largement sous-estim.
Exportateur de ptrole jusquen 1993, Pkin importe aujourdhui 40 % de sa consommation. Une rvolution non pas culturelle mais nergtique pour un pays au nationalisme sourcilleux. Les gisements, comme celui de Daqing dans le nord-est du pays, arrivent puisement. Celui rcemment dcouvert Xifueng est modeste. La Chine produit moins de 4 millions de barils par jour. Sans la dcouverte de nouveaux filons, ses rserves seront puises dici quinze ans. Rsultat : alors que ses besoins augmentent et que le ptrole remplace de plus en plus le charbon, sa production diminue, do une hausse de ses importations.


Pourquoi une telle voracit nergtique ?

Avec une matrise du temps caractristique des pays de tradition confucenne, la Chine sest fixe un objectif : avoir dpass au milieu du XXIe sicle les Etats-Unis en matire commerciale. En 1820, avant dessuyer les humiliations infliges par les pays occidentaux, puis par le Japon, la Chine de la dynastie mandchoue des Qing reprsentait 30 % de lconomie mondiale. Pkin veut retrouver la place qui lui semble devoir tre la sienne. Pour cela, le pays sans officiellement rien cder son idologie communiste fait le choix, en 1979, du libralisme conomique. Sous la conduite de Deng Xiaoping, il facilite les investissements trangers, baisse les droits de douane, cre des zones conomiques spciales, favorise la libre entreprise, encourage les exportations Au risque dune corruption gnralise et dune ingalit croissante entre les riches zones ctires du sud et de lest, et le reste du pays toujours aussi pauvre. Mais en terme macroconomique, cette conomie socialiste de march , pour reprendre la terminologie officielle, porte ses fruits : un taux de croissance de 9,7 % par an en moyenne depuis 1990, 60 milliards dinvestissements trangers en 2005, 12 % du commerce mondial, 300 milliards de dollars dexportations pour un excdent commercial de plus de 30 milliards La Chine est en train de devenir lusine du monde. Mais cette croissance est gloutonne en nergie, cela dautant que, du fait de leur obsolescence, les industries locales consomment trois fois plus dnergie que leurs homologues occidentales production gale. De mme, alors que le parc automobile explose 32 millions de vhicules aujourdhui, probablement 56 millions en 2010 les voitures chinoises brlent entre 20 % et 30 % dessence de plus que les modles trangers. Rsultat : les besoins nergtiques de la Chine dpassent ses ressources au point que les coupures de courant sont frquentes, et que la majorit des usines doivent cesser leur activit plusieurs heures par jour. Une menace pour la poursuite du dveloppement conomique que les autorits veulent tout prix corriger.

Comment la Chine rpond-elle ses besoins ?

Amliorer lefficacit nergtique des usines en acqurant de nouvelles technologies, miser sur les alternatives aux hydrocarbures (solaire, olien), dvelopper le parc nuclaire Ce sont quelques-unes des pistes suivies par Pkin. Deux nouvelles centrales nuclaires seront inaugures en 2006 ; une quarantaine dautres devraient ltre dans les quinze prochaines annes. Objectif : faire passer latome dans la production dlectricit de 1,5 % aujourdhui 4 % dici 2020. Un projet de 48 milliards de dollars qui rencontre cependant des rsistances. Le groupe franais Areva a rcemment refus dy participer car la Chine exigeait trop de transferts de technologies. Reste que lors de sa rcente visite Canberra, le Premier ministre Wen Jiabio a sign un important accord sur la fourniture duranium par lAustralie. Des ngociations sont galement en cours avec le Canada, le Kazakhstan et la Namibie.
Dans un pays qui dispose de fleuves puissants, lhydrolectricit est aussi considre avec intrt comme le prouve le pharaonique barrage des Trois gorges. Mais le cot cologique et humain (dplacement de populations) est lev, sans compter les frictions diplomatiques avec les pays voisins (Vietnam et Birmanie) qui se plaignent du dtournement des cours deau. Enfin la filire gaz devrait tre dveloppe, la matire premire prsentant lavantage dtre largement disponible en Asie et donc dchapper la gopolitique tourmente du Proche-Orient. Lors de sa venue Pkin fin mars, Vladimir Poutine a approuv la livraison par la Russie de 80 milliards de mtre cube de gaz par an partir de 2011. Cela faisait dix ans que la Chine esprait un tel contrat.
Mais pour faire face ses besoins nergtiques, la Chine sest surtout lance dans une politique agressive de rachat dactifs ptroliers (gisements, droits dexploitations, compagnies trangres) partout dans le monde. Elle paie rubis sur longle des acquisitions qui, chacune, se chiffrent en milliards de dollars, au point de bouleverser la gopolitique du ptrole. Les socits ptrolires chinoises sont dsormais prsentes au Brsil comme au Nigeria, au Kazakhstan comme en Syrie, au Venezuela comme au Soudan On pourrait encore citer lAngola, lEgypte, lAlgrie, le Gabon, lIran, la Thalande, lOuzbkistan, la Colombie, le Canada Le montant des investissements chinois ltranger en matire nergtique est un secret mieux gard que le code nuclaire des Etats-Unis. Mais si on voque une fourchette entre 50 et 90 milliards de dollars, on doit tre proche de la vrit. Cest colossal , explique-t-on lInstitut franais du ptrole. China National Offshore Oil Corporation (Cnooc) a mme tent, en juillet 2005, dacqurir lAmricain Unocal. La Chambre des Reprsentants sy est oppose au nom de la dfense de la scurit des Etats-Unis , lui prfrant la socit Chevron dont loffre tait pourtant moins intressante. Les partisans du libre-change ont protest. Mais la symbolique dune firme chinoise rachetant sa concurrente amricaine, dans un domaine aussi sensible que le ptrole, tait trop forte pour les hommes politiques et pour la Maison Blanche. Cnook Down , avait, pour sa part, titr la presse amricaine.
Le but de Pkin est videmment de conqurir une part croissante des ressources mondiales dor noir, mais aussi de diversifier ses sources dapprovisionnement, compte tenu de linstabilit du Proche-Orient qui reprsente actuellement la moiti de ses achats. Particulirement cible, lAfrique lui assure dj le quart de ses livraisons de ptrole. Pkin affiche ainsi une ptro diplomatie sans fard au point que les voyages de ses dirigeants pousent de manire transparente la carte des hydrocarbures. Fin avril, le prsident Hu Jintao sest rendu en Arabie saoudite, au Maroc, au Nigeria et au Kenya. Ctait sa deuxime visite dans la rgion en moins de deux ans. A chaque tape, le but tait le mme : signer des accords de coopration dans le domaine de lnergie, quitte largement contribuer laide au dveloppement des pays concerns. Malgr leur gigantisme, ces investissements nassurent la Chine que 5 % de ses importations dor noir, lobligeant se fournir pour le reste sur le march libre. Il est difficile de raliser en dix ans ce que les majors occidentales [Total, Exxon Mobile, Shell] essaient de matriser depuis un sicle , souligne-t-on lInstitut franais du ptrole.


Quelles sont les consquences diplomatiques de cette politique nergtique ?

La Chine pourrait se trouver rapidement en conflit avec les Etats-Unis si elle poursuit sa politique de contrat sur les matires premires avec des pays que nous jugeons problmatique, comme lIran, le Soudan ou le Venezuela . Cet avertissement, lanc par le dpartement dEtat amricain en septembre 2005, tmoigne de linquitude de Washington lgard des ambitions chinoises sur le gaz et le ptrole. En rponse, la Chine affirme sassurer pacifiquement des moyens de son dveloppement et avoir le droit de le faire.
La Rpublique populaire arrive en effet sur ce march bien aprs les grandes compagnies europennes et amricaines. Elle na donc pas dautres choix que de poser ses pions sur les cases disponibles de lchiquier : gisements coteux exploiter, rgions instables, pays risque voire, selon la terminologie amricaine, rogue states, Etats voyous. Elle le fait dautant plus facilement que son unique objectif est conomique ; elle ne se soucie gure de considrations politiques ou humanitaires. Mais pour Washington, la ptro diplomatie chinoise mine les relations internationales pour au moins deux raisons : elle favorise la prolifration darmes, promue au rang de moyens de paiements avec certains pays, notamment le Kowet, lEgypte et lIran ; elle modifie les quilibres diplomatiques pour de mauvaises raisons, lorsque par exemple Pkin membre permanent du Conseil de scurit de lONU, disposant ce titre dun droit de veto soutient systmatiquement ses fournisseurs, comme on a pu le voir lgard du Soudan, lors de la crise du Darfour. Certes, la Chine a approuv, en fvrier dernier, le transfert du dossier nuclaire iranien au Conseil de scurit. Mais jusqu prsent elle soppose toute sanction contre Thran dont les exportations vers Pkin tous produits confondus ont augment de 239 % depuis 2000. La rcente visite du prsident Hu Jintao aux Etats-Unis na permis aucune avance sur ce dossier.
Les Etats-Unis oublient de dire que, pour eux, chaque baril achet par Pkin se fait au dtriment de lapprovisionnement amricain. Quant la Chine, son poids croissant en matire nergtique lui donne une forte monnaie dchange dans ses discussions avec la premire puissance mondiale , analyse Philip Gordon, du Brookins Institute, Washington. Profitant des tensions politiques du moment, les autorits chinoises se glissent mme dans larrire-cour des Etats-Unis. Cest le cas lorsquelles signent un contrat dexploitation de gisements gaziers avec le prsident vnzulien Hugo Chavez. De mme, la crise entre les Etats-Unis et lArabie saoudite, aprs le 11 septembre 2001, les ont incit se rapprocher du premier producteur mondial dhydrocarbures qui, lui-mme, souhaitait allger sa dpendance lgard du march amricain. Des firmes chinoises exploitent dsormais des champs gaziers prs de Ryad, et une firme saoudienne est entre hauteur de 25 % dans le capital de la principale raffinerie chinoise. Mais Pkin nira jamais trop loin ce jeu l. Elle veut conserver des relations correctes, dfaut dtre chaleureuses, avec les Etats-Unis. Ces derniers ont aussi besoin de la Chine, dans le dossier nuclaire nord-coren par exemple , ajoute Philip Gordon.
Si lOncle Sam sinquite de lapptit chinois, la Rpublique populaire sinquite de la puissance amricaine. En effet, les 12 000 kilomtres qui sparent le dtroit dOrmutz de Shangha sont contrls par lUS Navy. En cas de conflit majeur, avec Taiwan par exemple, ses btiments pourraient barrer les routes maritimes acheminant le ptrole du Proche-Orient. Une hypothse qui obsde les stratges chinois. Cest pourquoi Pkin courtise tant les rpubliques dAsie centrale dont le sous-sol est riche et encore peu exploit. Le but est de scuriser des corridors reliant la mer Caspienne louest de la Chine, voie continentale sur laquelle les Etats-Unis nont aucune prise. Une nouvelle Route de la soie au fort got dhydrocarbures.
Outre les souvenirs douloureux du pass, loccupation de la Chine par le Japon, les frictions entre les deux voisins asiatiques sexpliquent aussi par la comptition pour le contrle dun gisement de gaz, situ dans un espace maritime contest entre les deux pays, en mer de Chine. Dans cette guerre des matires premires , Tokyo a dj remport une manche puisque la Russie a dcid, en 2004, de faire dboucher un oloduc acheminant du ptrole depuis le site sibrien dAngarsk, non pas Danqing comme lespraient les Chinois, mais dans le port du Pacifique de Nakhodka, quelques encablures des ctes nippones. La Russie, il est vrai, se mfie de lexpansionnisme conomique chinois. Au demeurant, lexception notable du rcent contrat gazier conclu lors de la visite de Vladimir Poutine Pkin, tous les projets bilatraux dans ce domaine ont chou : La course de la Chine aux matires premires laquelle lInde participe galement va avoir des consquences gopolitiques dont on ne devine que les prmices , souligne Narendra Taneja, un consultant spcialis bas Bombay.
Les dirigeants chinois parient sur le quadruplement du volume de leur conomie dici 2020, ce qui ncessitera au moins le doublement de leurs approvisionnements nergtiques, outre une meilleure exploitation de ces importations et de leurs propres ressources. LEmpire du milieu se trouve donc aujourdhui un carrefour nergtique dterminant pour sa croissance, son influence et sa prosprit futures.


Jean Piel

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