| |||
07/07/2006 | |||
Rpublique dmocratique du Congo Lconomie entre informalisation et globalisation | |||
(MFI) Le business ne meurt jamais en Afrique, il est seulement interrompu , crit V.S. Naipaul dans son clbre roman la courbe du fleuve. Aprs deux guerres et leffondrement de toute autorit tatique, la RDC confirme plus que jamais cet adage. La guerre de 1996-97 qui a conduit la chute de Mobutu et lavnement de Laurent-Dsir Kabila, puis la guerre dclenche contre celui-ci par ses allis jusquen 2002, ont mis bas lEtat congolais mais nont pas russi tarir le commerce. | |||
La dliquescence tatique tait inscrite dans la logique du mobutisme. A force de piller des fins personnelles les ressources de lEtat, le rgime mobutiste des annes quatre-vingt-dix sest retrouv avec un fantme dadministration. Les forces armes se sont autonomises, lmission montaire a t confie des partenaires privs libanais, les infrastructures sont tombes en ruines et le pays tait un Etat sans budget connu. Les grandes entreprises publiques minires qui alimentaient le Trsor public et structuraient lconomie nationale (la Gcamines pour le cuivre, la Miba pour le diamant, Kilomoto pour lor, etc.) ont priclit, faute de ressources pour leur fonctionnement quotidien. En mme temps que largent public, lapplication de la loi disparaissait et lconomie senfonait dans une spirale bien connue des experts du FMI : hyperinflation (+ 554 % dinflation en 2000, 357 % en 2001), dollarisation (remplacement des francs congolais par le $ US) et dsintermdiation financire (disparition des banques). Lactivit minire a rgress du stade industriel au stade artisanal, mais a continu Pourtant lconomie congolaise na jamais cess de fonctionner depuis 1996. Dans un pays en proie une violence massive, les affaires continuent. Tourne vers lexportation de minerais et de biens agricoles et donc dj trs intgre dans le commerce mondial, lconomie congolaise sest informalise massivement pour survivre. Son principal moteur, lactivit minire, a rgress du stade industriel au stade artisanal mais a continu. Mme si au total la production minire a chut dramatiquement (la production de cuivre est passe de 350 000 tonnes en 1990 20 000 tonnes en 2002), certains minerais ont vu leurs volumes dexportation augmenter (la fivre mondiale du coltan en 2000 a abouti louverture de nouveaux gisements en RDC, principalement aux Kivus). De mme, la fin de lexploitation industrielle a plutt accru que rduit le nombre dindividus impliqus dans le secteur minier : les creuseurs clandestins, auparavant intimids par la police des mines, ont pu investir sans autorisation les gisements et se dmultiplier : on estime quil y a aujourdhui environ 35 000 employs formels dans lindustrie minire et 900 000 travailleurs informels. Comme le dplore le groupe dexperts sur lexploitation illgale des ressources naturelles en RDC, grce linformalisation mafieuse du secteur minier (1), les flux dor, de diamants, de coltan, etc., ne se sont jamais taris, et pendant la guerre lensemble de la production aurifre de lIturi tait assur par des creuseurs illgaux, profitait en partie aux milices et tait coul par lOuganda. Les routes disparues ont t remplaces par une myriade de petites pistes daviation Elment cl de toute conomie, le systme de transport sest adapt la disparition des routes. Elles ont t remplaces par une myriade de petites pistes daviation, voire par le transport en vlomoteur ou vlo quand il sagit de petites quantits de minerais (diamants, or, coltan). Et depuis la dissolution de lancienne compagnie nationale Air Zare, les Antonov et autres petits et gros porteurs sovitiques ont fleuri dans le ciel congolais, que se partagent une vingtaine doprateurs ariens (dont le plus grand est Hewa Bora). Confronts la balkanisation du territoire congolais, les rseaux commerciaux se sont aussi adapts en se rorientant pour trouver de nouveaux marchs quand les anciens sont devenus inaccessibles. Les produits qui, avant la chute de Mobutu allaient dest en ouest vers Kinshasa (minerais, bois duvre, nourriture, etc.), se sont mis emprunter les voies de circulation vers lAfrique de lEst (notamment laxe Kampala-Kisumu-Mombasa). Le Masisi, une rgion du nord-Kivu qui alimentait le march de Kinshasa en produits laitiers, coule maintenant sa production dans les villes de lEst. Les voies du coltan vont des Kivus Kampala, Kigali et Bujumbura par petits porteurs ou en vhicules 4X4. Les axes commerciaux vers lAfrique de lEst se sont donc renforcs tandis que la coupure naturelle entre Lubumbashi et le reste du pays sest accentue (la seule voie de communication entre cette capitale minire et la capitale politique est la voie arienne). Les routes de Bni Kampala, de Goma Kigali, de Watsa Arua ont vu leur frquentation augmenter comme en tmoigne lintrt renouvel pour des postes de douane autrefois secondaires (Kasindi au nord Kivu, Aru en Ituri). Laxe commercial entre lEst congolais et lAfrique orientale se prolonge par le port de Mombasa vers le golfe persique et lExtrme-Orient. Quant Lubumbashi, elle reste le point darrive des biens de consommation et le point de dpart des cargaisons de minerais par la route et par le chemin de fer vers le port de Durban et, au-del, la Chine. L aussi la globalisation est au rendez-vous. Une mondialisation insouponne Nouveaux modes dexploitation conomique, nouveaux systme de transports, nouveaux rseaux commerciaux signifient aussi nouveaux acteurs conomiques ! Lconomie congolaise dstatise repose sur linitiative et linventivit dacteurs conomiques habitus aux astuces de lactivit informelle : les Mamas manuvres du port de Kinshasa, qui contrlent les arrives de produits par le fleuve, les cambistes quon retrouve dans toutes les villes du pays et ont remplac les banques, les Nands du nord-Kivu qui ont investi pour crer leurs propres infrastructures Butembo (piste datterrissage suffisamment grande pour les gros porteurs, cration de la Socit pour lElectrification du Nord-Kivu, qui projette de construire une centrale sur la rivire Ivugha), les 40 50 000 salaris sans emploi de la Gcamines qui ont fond leur socit, lEntreprise des Mineurs Artisanaux du Katanga, pour exploiter les affleurements superficiels de minerais, etc. Les acteurs trangers ne sont pas en reste : apparition de socits russes, bilorusses et ukrainiennes dans le secteur arien, des Sud-Africains dans la scurit, des Israliens dans le diamant qui ont mis fin au monopole des Libanais, retour de grandes socits trangres dans le secteur minier (Phelps Dodge, AngloGold Ashanti, etc.). Malgr presque une dcennie de guerre, lconomie congolaise nest pas seulement synonyme de prdation : elle est aussi capable de gnrer de la richesse et la prolifration des bureaux de Western Union dans tout le pays est la preuve de son dynamisme et de sa mondialisation insouponns. Thierry Vircoulon (1) Voir par exemple les rapports de Global Witness : Rush and Ruin, the devastating mineral trade in Southern Katanga (2004), Under-Mining Peace, the explosive trade in cassierite in Eastern DRC (2005). | |||
|