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05/02/2008 | |||
Marketing ethnique : les mentalits franaises voluent | |||
(MFI) Incontournable dans les pays anglo-saxons, le marketing ethnique tarde simposer en France. Cette technique de segmentation du march ciblant les minorits rveille une inquitude trs ancre dans la socit franaise : celle du communautarisme. Pourtant, les agences publicitaires ont bon espoir de faire voluer les mentalits et douvrir ainsi grandes les portes dun march dont les limites ne sont pas encore mesurables. | |||
Thoris il y a plus dun sicle aux Etats-Unis, maintenant incontournable dans le reste du monde anglo-saxon, le marketing ethnique sduit de plus en plus de pays occidentaux. Pourtant, les industriels franais sont encore majoritairement rticents face cette mthode qui consiste en une segmentation du march en fonction des origines ethniques et communautaires. La vision de la socit franaise est compltement diffrente de la vision amricaine. On est trs attach au modle rpublicain, une rpublique une et indivisible. Le marketing ethnique va un peu lencontre de cette approche universelle et, finalement, cest presque considr comme du racisme , explique Anne Sengs, auteur de Ethnik ! Le marketing de la diffrence (1). Autre grande crainte en France, la peur norme du communautarisme , ajoute-t-elle. Dans linconscient de beaucoup de Franais, le marketing ethnique a une connotation ngative qui fait rfrence, notamment, aux meutes de 2005 dans les banlieues. Cest pourquoi les industriels sont encore frileux lide dy associer leur enseigne. Selon certains publicitaires, les accusations de favoriser le communautarisme sont un mauvais procs. Comment peut-on nier que la France est multiple, diverse ?, sinterroge Didier Mandin, directeur associ de lagence Ak-a, spcialise dans lethno-marketing. Il ne faut pas rester fig. Il faut accepter le fait que la socit franaise volue. Et Anne Sengs dajouter : La socit franaise nest plus la socit blanche dantan. Encore loin du modle amricain Si lon en croit Didier Mandin, les industriels se rendent compte peu peu quil y a de vritables opportunits de march. De grandes marques de cosmtique comme LOral ciblent dj particulirement les populations dorigine noire-africaine. Le soin des peaux noires et des cheveux crpus ncessite des produits spcifiques. Sur ce march, la marque SoftSheen-Carson prsente un chiffre daffaires mondial de 200 millions deuros au sein du grand groupe franais. Mais il y a aussi dautres secteurs que le cosmtique : la tlphonie mobile pour les appels longue distance, lagroalimentaire hallal ou casher, les services financiers comme les transferts dargent et les packages dinvestissement pour ceux qui souhaitent envoyer des devises dans leur pays dorigine , numre lethno-marketeur. Indniablement, ces marchs reprsentent pour les industriels de nouvelles perspectives trs lucratives. Lexemple amricain en est une preuve parmi dautres. Outre-Atlantique, les populations afro-amricaines ou encore originaires dAmrique latine font lobjet de toutes les convoitises de la part des publicitaires. Ils voient en elles une vritable poule aux ufs dor . Anne Sengs argumente : Aux Etats-Unis, le march latino reprsente une population plus nombreuse que celle du Canada tout entier. Mais ce gigantisme amricain na pas dquivalent dans lHexagone : En France, il ny a pas de marchs de cette taille. Il y a de petites communauts quand mme, mais plus diverses. Je pense que cest ce qui explique aussi le fait que le marketing ethnique ne soit pas encore dvelopp chez nous. Les statistiques ethniques toujours illgales Anne Sengs cible galement un autre handicap qui nuit au dveloppement de lethno-marketing tricolore : Le vrai problme qui explique la lenteur du dcollage du marketing ethnique en France, cest labsence doutils pour quantifier les marchs. En effet, les statistiques ethniques sont interdites sur le sol franais. En dcembre 2007, une loi visant les lgaliser a t retoque par le Conseil constitutionnel. Didier Mandin dnonce cette situation : Pour convaincre les industriels de sintresser aux diffrentes communauts, il faut leur prsenter des chiffres fiables. Or, pour le moment, on ne dispose pas de ces chiffres. Cela nous met des btons dans les roues lorsque lon veut former des chantillons reprsentatifs pour raliser des tudes de march. Le refus des statistiques ethniques est symptomatique du malaise que lethno-marketing provoque au sein de la socit franaise. Mais les murs commencent voluer. La France commence raliser les limites de son modle. Et puis, il y a dj eu un effet Coupe du monde en 1998 avec la France black-blanc-beur. Tout cela contribue faire changer les mentalits , fait remarquer Anne Sengs. Ces changements de mentalit ne se feront pas du jour au lendemain. Nanmoins, les ethno-marketeurs restent optimistes comme en tmoigne Didier Mandin : En 2006, quand on appelait les industriels, ils taient nombreux rpondre quils ntaient pas intresss. Maintenant, en 2008, ils sont de plus en plus demandeurs de nos services de marketing ethnique. (1) Ethnik ! Le marketing de la diffrence, par Anne Sengs, ditions Autrement, 2003. | |||
Jean-Philippe Chognot | |||
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