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28/04/2006
Hadja Saran Daraka Kaba :
Les femmes ont intrt plus que quiconque la paix


(MFI) La Guinenne Hadja Kaba se dfinit comme praticienne du droit la vie . Elle a fond en 2000 avec des Libriennes et des Sierra lonaises le Rseau des femmes du fleuve Mano pour la paix (REFMAP), qui a reu le Prix des Nations unies pour les droits de lhomme en 2003, en rcompense de son rle dans la prvention et la gestion des conflits en Afrique de lOuest. Entretien.

MFI : Que signifie pour vous la responsabilit de protger ?
Hadja Kaba :
Pour une organisation intergouvernementale comme la Francophonie, la responsabilit de protger relve des Etats qui ont ratifi les instruments juridiques internationaux et qui doivent assumer leurs responsabilits envers toutes les populations qui vivent sur leur territoire. Mais quand il y a dfaillance de lEtat, cest aux acteurs de la socit civile de prendre le relais, en tout cas dans notre espace o il y a un fort taux danalphabtisme et o prs de la moiti de la population vit au dessous du seuil de pauvret absolu. Si les citoyens ont intgr ces instruments, sils connaissent leurs droits et devoirs, eux aussi doivent se battre pour les dfendre. La communaut internationale doit aussi veiller ce que les Etats, dont les frontires hrites de la colonisation et entrines par lUnion africaine sont encore fragiles, puissent assurer la protection de leurs citoyens. Mais si ce sont les Etats qui violent le droit la scurit et se mettent hors la loi, alors elle a le devoir de les protger.

Quand estimez-vous quil y a menace contre la scurit humaine ?
La menace nest pas perue de la mme manire Oulan Bator, Montral ou Bogota. Chacun est tributaire des valeurs culturelles qui prvalent dans son espace gographique. La Francophonie, qui unit des peuples rpartis sur plusieurs continents, ne doit pas perdre trop de temps sharmoniser sur ce concept. Lun de ses acquis, sa richesse, cest justement sa diversit culturelle. Le plus important, cest que les valeurs de base solidarit, respect de la dignit humaine et de la vie , soient protges sous tous les cieux. LOIF a reconnu que les Etats ne sont pas les seuls acteurs. Il lui reste mieux admettre lindispensable complmentarit entre acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux.

Comment intervenir en cas durgence ?
Dans les pays du Bassin du Fleuve Mano, qui mergent de guerres ou de crises majeures, les populations sont soumises une inscurit quasi permanente. Que faire dans ces pays dtruits comme le Liberia ou la Sierra Leone, une rgion comme la Casamance, en Guine-Bissau, en Cte dIvoire ? Sur tout le continent, il y a des conflits internes violents : Burundi, Rwanda, RDC, Ouganda, Kenya, Zimbabwe Nous attirons lattention des grosses ONG internationales francophones du nord, CICR, Mdecins sans frontires, ou Avocats sans frontires, sur la ncessit pour elles de transfrer leur savoir faire humanitaire pour que leurs ressources servent aussi renforcer les capacits des pays du Sud.

Les intrts gostratgiques ne priment-ils pas sur ceux de la Scurit humaine ?
A lvidence, oui... Selon la puissance de lEtat dont vous tes le citoyen, la couleur de votre peau, votre niveau de vie, dinstruction Je me demande parfois qui sert le Conseil de scurit. Le droit tre libr de la faim et de la peur implique aussi que les pays dits dvelopps assument toutes leurs responsabilits. Quand on rduit laide publique au dveloppement des pays quon sait pauvres, alors quelle permettrait de couvrir leurs besoins fondamentaux, on les met de facto en inscurit. De mme, quand on soutient certains rgimes parce quils protgent vos intrts. Les besoins de base identifis par les Nations unies sont concrets : se nourrir, se soigner, sduquer, sabriter.

Avez-vous une dfinition de la Scurit humaine ?
Je ne my autoriserais pas. Je suis une praticienne du droit la vie. Un jour, jai demand un paysan de mon village : Pour toi, quest-ce qutre pauvre . Il ma rpondu : Je me considrerai pauvre le jour o je ne serai plus utile personne. Quand je ne serai plus capable ne serait-ce que de me nourrir, nourrir dautres personnes ou contribuer leur bien-tre . Avec sa dfinition, je comprends mieux le communautarisme des Africains. La pauvret recouvre une ralit si complexe quune seule personne ne peut trouver la solution toutes ses dimensions.

Cest vrai en temps de paix
En temps de guerre aussi. Quand tout scroule, cest vous qui prenez la responsabilit de rester ou de fuir. Et vous ne fuyez pas seul. La femme ne part pas sans son bb, sans les enfants, les personnes ges, les blesss de guerre quelle va vouloir soigner. Et quand elle aura un peu daccalmie pour poser ses basques, elle cherchera les nourrir, en pleine brousse parfois, au risque de sa vie. Cest pourquoi les femmes ont intrt plus que quiconque la paix. Elles se soucient des survivants et veulent perptuer la mmoire des morts.

Quelle situation a prvalu la cration du REFMAP ?
La Sierra Leone et le Liberia taient en guerre et la Guine en crise, avec prs dun million de rfugis sur son territoire - un huitime de sa population. Le RUF venait de prendre en otage 200 soldats des Nations unies en Sierra Leone. La responsabilit du prsident Taylor tait probable et il se prparait attaquer la Guine. Le 8 mai 2000, nous sommes alles au sommet de la CEDEAO, Conakry. Nous avons dit au prsident en exercice, Alpha Oumar Konar : Quelles que soient les raisons pour lesquelles cette guerre existe, il faut larrter parce quon ne peut plus continuer en payer le prix. Nous lui avons dit combien nous souffrions depuis onze ans violes, mutiles, tues, ainsi que nos frres, eux aussi tus et mutils et que les rebelles qui nous tuaient taient aussi nos frres, nos fils. Nous voulions avoir notre mot dire dans le processus de retour la paix. Il ny avait aucune femme la CEDEAO, ni au niveau des chefs dEtat ni du Conseil des ministres.

Pensez-vous que votre action a contribu la paix ?
Les femmes taient dj trs actives en Sierra Leone et au Liberia, notamment la Liberian Womens Initiative, le Womens Forum, les associations de femmes juristes... Les Libriennes avaient t reues au sommet dAbuja avant les lections de 1997. Le REFMAP a permis dtablir un lien entre les femmes leaders, parlementaires, journalistes, femmes daffaires ou rurales, qui ont suivi une srie de formations sur les techniques de rsolution de conflits. En juin 2001, nous avons t dire ce que nous pensions au prsident Charles Taylor Monrovia. Et en fvrier 2002, Rabat, nos trois chefs dEtat ont adopt une feuille de route... Entre temps, on avait pu faire librer les otages en Sierra Leone o la guerre avait pris fin le 18 janvier. Le pays entrait en phase de post-conflit, avec la prsence massive de lONU. Ct librien, la guerre continuait de plus belle et la Guine tait toujours en crise. Nous travaillions donc la fois sur la prvention, la rsolution et la consolidation de la paix Jusqu llection de Mme Sirleaf Johnson la tte de lEtat librien : une grande victoire qui a rcompens nos efforts.

Vous tes-vous rjouie de larrestation de Charles Taylor ?
Etant donn la fragilit de lEtat librien et les risques que cela pouvait faire courir la Sierra Leone, javais des inquitudes. Si la communaut internationale sengage ne plus laisser le Liberia replonger dans linstabilit, son procs pourra servir dexemple. Pour que lex-prsident Taylor comprenne quil y avait une solution plus honorable que celle quil a applique ses opposants. Quil reconnaisse ses actes devant la justice. Quon lui donne loccasion dexpliquer pourquoi il a agi ainsi. Quil comprenne que bien que criminel [prsum] puisque jug comme tel il a des droits inalinables et dabord, droit la vie, puisque le Tribunal pnal international ne peut pas le condamner mort. Quil rende compte. Pour que les gens comprennent que lre de limpunit absolue est passe.


Propos recueillis par Antoinette Delafin

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