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| 09/06/2006 | |||
| Limmigration en Italie (2) Les circulants de la Piazza Garibaldi | |||
| (MFI) Limmigration en Italie, dit-on volontiers, se concentre au Nord du pays. Une gographie sommaire aujourdhui remise en question par les nouveaux flux venus des rives de la Mditerrane. Et que contredit la situation particulire de Naples, la grande ville du Sud qui tend devenir une plaque tournante pour de nouvelles filires commerciales, cres par les immigrs. | |||
| Ici un march ciel ouvert, plus loin des tals surchargs de colifichets, partout des vendeurs noirs qui attendent avec placidit le client, quelques mots de salutation entendus en wolof : pour un peu, on se croirait Sandaga, en plein Dakar ! Mais la scne sobserve sur la Piazza Garibaldi, vaste esplanade sature par la circulation, dans le prolongement de la gare centrale de Naples. Et les choppes prcaires qui poussent est-ce un symbole lombre de la statue de Giuseppe Garibaldi, hros national et artisan de lunit italienne, tmoignent de la nouvelle vocation dun quartier aujourdhui vou au commerce et au mlange le plus cosmopolite : ici travaillent, et souvent vivent, Chinois, Maghrbins, Africains du Sud du Sahara ou Sri Lankais qui tmoignent du phnomne dimmigration dans le Sud de lItalie. Des immigrs Naples ? O a ? Cette remarque dune rsidente trangre dans la capitale de Campanie nest pas anecdotique. On peut vivre en effet dans les quartiers cossus de Naples sans presque jamais croiser un immigr. Le phnomne constat la Piazza Garibaldi est quant lui singulier et rcent, pour une ville o les vagues successives dimmigrs se sont surtout inscrites dans le paysage de quartiers dfavoriss et rputs dangereux, de Pianura Secondigliano ou Scampia, ou plus loin encore dans la zone du Vesuviano, o les Napolitains bien ns ne mettent bien sr jamais les pieds. Mais la situation change rapidement. Limmigration Naples a dabord t caractrise, dans les annes 70, par larrive de femmes clibataires : des Philippines, Capverdiennes, Somaliennes ou Erythrennes venues assurer en nombre encore rduit des travaux domestiques. Un cap est franchi dans les annes 80 : lagriculture embauche des travailleurs qui se fixent un peu partout dans la rgion de Campanie, notamment la commune de Caserto, ou vont travailler dans la petite industrie aux alentours de Naples. Les flux continuent augmenter, et les immigrs investissent de plus en plus le secteur tertiaire et le commerce ambulant, ouvrent boutiques de dtail ou de gros et choppes de restauration. Prs de 150 nationalits Naples Aujourdhui leur prsence, estime officiellement en 2004 125 000 personnes, dpasse de loin ce chiffre. Mais elle reste dissmine, fragmentaire : un vrai casse-tte pour les sociologues et autres statisticiens, qui relvent lexistence de prs de 150 nationalits diffrentes, rparties un peu partout par petites communauts. On sait du moins que dominent parmi eux les Marocains (plus de 7 000 recenss), puis les Albanais, les Sri Lankais, Tunisiens, Algriens, Polonais On sait aussi que les Chinois, si leur nombre est limit, prosprent rapidement et tendent, en Italie comme ailleurs, racheter commerces et habitations Que les Africains de louest, toujours plus nombreux ces dernires annes, sont Sngalais, Ghanens, Nigrians etc., et sadonnent volontiers au petit commerce de rue et que les uns ou les autres peuvent se retrouver dans toutes sortes de trafics, de la prostitution au trafic de drogue, en passant par la contrefaon ici florissante. O limmigration croise un autre phnomne typiquement napolitain : la Camorra, autrement dit la maffia locale, qui exerce un contrle strict sur toutes les activits illicites. Cest sr, la Camorra gre une partie de limmigration. Y compris dans lagriculture, o elle dsigne des sortes de sergents recruteurs , chargs de faire venir des travailleurs bas prix , signale Amadou Harouna Dieng, mdiateur culturel pour la rgion de Campanie. Sur la Piazza Garibaldi, Amadou engage la conversation avec un immigr : surprise, il est Malien et vit dans une zone (SantAntimo) o lon avait plutt relev jusque l une prsence burkinab. Les localisations comme les flux ne cessent en fait de varier, confirme Amadou Dieng, qui dplore la faible information dont disposent les autorits comme les associations oeuvrant auprs des immigrs. Le gouvernement rgional veut faire quelque chose pour limmigration, mais les dmarches restent trs timides. Sil existe quelques associations dimmigrs, ou associations dappui ceux-ci, elles restent sous-informes car elles ne vont pas sur le terrain et sattendent ce que les immigrs viennent leur rencontre si bien que limmigr nest pas du tout inform sur ses droits. Il ne sait pas quil a droit des soins de sant, mme lorsquil est clandestin, par exemple. Or les clandestins sont ici en terrain apparemment bni : tu peux vivre et mourir Naples sans papiers ! Il ny a pas de contrle. Cest le rgne du laisser-faire confirment avec un sourire les immigrs de rencontre. Leurs flux ne cessent de grossir, surtout ces toutes dernires annes : Naples est une tape importante sur la route des immigrs venus des rives de la Mditerrane, aprs la Sicile, dans leur progressive remonte vers le Nord et le reste de lEurope, et sa rgion attire les plus fortes concentrations immigres de lItalie mridionale. Limportance ici de lconomie souterraine est cruciale, souligne Fabio Amato, de luniversit LOrientale de Naples. Si celle-ci reprsente globalement selon des estimations, 30% du PIB italien , elle constitue en particulier dans les rgions du Sud, pour les migrants un puissant facteur attractif . Les nouveaux parcours des immigrs Naples, une tape seulement ? Traditionnellement, indique Amadou Dieng, lmigr qui vient Naples travaille quelque temps dans lagriculture, se procure un permis de sjour, avant de filer vers le Nord Mais les parcours dimmigrs tendent se complexifier et le schma dune Naples vue comme un lieu de transit et un lieu minoritaire dans les dynamiques migratoires nest plus trs pertinent, analyse Camille Schmoll, gographe lInstitut universitaire de Florence, en signalant que lacquisition des papiers nentrane pas automatiquement la mobilit : les installations permanentes ne sont pas rares, au moins pour certaines communauts. Mais surtout les chercheurs ont mis en relief le rle de Naples comme plaque tournante commerciale pour toute lItalie, spcialement dans la confection et la circulation darticles de contrefaon. Les immigrs engags dans de telles activits ne cessent ds lors de passer dun pays lautre, ce qui fut le cas pendant plusieurs annes des circulants maghrbins, aujourdhui moins nombreux, qui ont t relays par les Africains de louest, surtout sngalais. Face au phnomne immigr, les Napolitains ont une attitude au moins aussi complexe, faite dindiffrence et dopportunisme. La xnophobie, tout dabord : si elle existe, elle ne peut avoir ici la mme teneur quailleurs en Italie, et Naples est fire de son cosmopolitisme qui a fait lidentit historique de la grande ville du Mezzorgiono, dans une rgion dfavorise qui fut elle-mme longtemps rgion dmigration. Tant quon les laisse tranquille, les Napolitains nen ont rien foutre des immigrs , note sans tendresse excessive un interlocuteur, qui dit navoir ici aucun problme dinsertion. Leur rflexe naturel consisterait aussi tirer parti de la situation en recrutant par exemple de la main duvre sous-paye, maintenue dans un statut dillgalit avantageux, en sintressant aux nouvelles filires commerciales cres par la prsence immigre ; ou encore en logeant limmigr dans des habitats en dshrence, pour des prix gnralement exorbitants. Quand un crime raciste rveille lItalie La fameuse dsinvolture napolitaine, toujours de saison ? On rappellera toutefois que cest dans la rgion de Naples que fut assassin, un jour daot 1989, Jerry Masslo, ce jeune Sud-africain dont la mort, la suite dun crime sans doute plus crapuleux que raciste, a soulev lmotion dans toute lItalie. Au point de susciter ladoption de la clbre loi Martelli, premire initiative importante pour lItalie en matire de politique dimmigration. Un crime qui, plus tard, inspira aussi lcrivain marocain Tahar Ben Jelloun une des nouvelles de son recueil LAnge aveugle. Le protagoniste de cette fable intitule Nuit africaine, un retrait napolitain, croit avoir fait un mauvais rve la nuit o il a vu sabattre une nue de Noirs (des travailleurs agricoles) sur la paisible localit de Villa Literno ; il ne comprend pas davantage ce qui se passe lorsquon annonce lassassinat dun migrant sud-africain, avant de sengager avec passion dans laction caritative auprs des immigrs, dont la prsence le trouble tout la fois et lui permet de secouer sa torpeur | |||
| Thierry Perret/Emilia Martinelli | |||
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