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27/10/2006
Rpublique dmocratique du Congo
Mdias : la voie troite


(MFI) Les mdias congolais ont t un acteur important, et souvent pris partie, des lections en RDC. Mais dans lensemble, ils nont pas russi dans cette priode sans doute trop sensible saffranchir des rflexes partisans. Cest le sentiment dune spcialiste de la question, luniversitaire belge Marie-Soleil Frre (1).

MFI : Les mdias ont visiblement t sous forte pression pendant toute la priode lectorale en RDC. Est-ce que cela veut dire que, dans le contexte politique de ce pays, et malgr la forte implication de la communaut internationale, les acquis en matire de libert et de scurit dexercice de la presse sont loin dtre assurs ?

Marie-Soleil Frre : Les problmes de la scurisation des journalistes et des atteintes la libert de la presse ne datent pas de ces chances lectorales en RDC. Les atteintes la libert de la presse se droulent depuis des annes en RDC dans une (presque) complte impunit. Lassassinat des journalistes Franck Ngyke ou Mwamba Bapuwa a donn lieu effectivement des procdures judiciaires, mais sans que lon puisse se satisfaire du droulement de lenqute. Dans le cas de Franck Ngyke par exemple, il est clair que les commanditaires nont pas t identifis et que le procs a concern de simples excutants.
Toutefois, il est vident que les derniers mois de la campagne lectorale ont t extrmement tendus pour les mdias, principalement Kinshasa : cest invitable dans un pays o des liens puissants existent entre les mdias (privs et publics) et les partis ou personnalits politiques. Mais le contexte de la comptition lectorale (mettant en prsence pour la premire fois depuis plus de quarante ans dans ce pays une pluralit de candidats) a renforc laffichage de lobdience politique de la plupart des mdias dinformation, dont certains se sont vritablement lancs en campagne . Ds lors les atteintes la libert de la presse ont aussi vis des mdias clairement dvolus la propagande dun seul camp, comme les chanes de tlvision de Jean-Pierre Bemba

Que vous inspire le comportement des mdias aujourdhui en RDC, alors que les bailleurs de fonds ont men des actions multiples pour la structuration et la professionnalisation du secteur ?

Peu de mdias congolais ont pour vocation premire dinformer le public de manire quilibre et non partisane. La plupart des journaux sont des titres dopinion qui se proclament eux-mmes ouvertement pro-pouvoir ou pro-opposition , et cela depuis la libralisation du champ des mdias sous Mobutu, au dbut des annes 1990. Ce sont des journaux combattants qui cherchent convaincre et les personnes qui y travaillent ont des motivations qui oscillent entre engagement politique et ncessit de gagner son pain. Quant aux mdias audiovisuels, si on exclut les radios et tlvisions confessionnelles qui ne sont pas censes simpliquer dans le dbat politique mme sil y a beaucoup dire ce sujet pour certaines dentre elles , ils ont bien du mal remplir leurs grilles avec des magazines dinformation ou avec des productions propres. La diffusion des messages politiques payants des candidats a constitu une aubaine non ngligeable. Peut-on reprocher des mdias et des journalistes qui voluent dans la plus grande prcarit de manire gnrale, de vouloir bnficier dun maximum de dividendes de ce processus lectoral fortement soutenu par la communaut internationale ? Et ce nest pas un hasard si les mdias considrs comme les plus impartiaux et les plus crdibles aujourdhui (tels Radio Okapi et, dans une moindre mesure, le Journal du Citoyen) sont des projets soutenus par des cooprations trangres, sur base de budgets sans commune mesure avec les moyens dont disposent les rdactions locales, permettant de rmunrer dcemment les journalistes qui y travaillent. Ces interventions ponctuelles durgence , qui disparatront (en tout cas sous leur forme actuelle) quand le pays sera stabilis, auront en tout cas servi proposer des modles de journalisme responsable et de travail ditorial rigoureux dans une priode extrmement trouble. Ces modles survivront, ne fut-ce que sous la plume ou au bout du micro des journalistes ayant pris part ces projets mdiatiques. Selon moi, les vritables rsultats de lintervention des bailleurs de fonds et des partenaires des mdias congolais se feront sentir au lendemain des lections, lorsque le paysage mdiatique congolais va se reconfigurer aprs la priode tout fait exceptionnelle quil est en train de vivre. Le vritable dfi pour les mdias congolais, ce nest en dfinitive pas aujourdhui cest demain.

Concernant les mdias dEtat et le rle des instances de rgulation, y a-t-il eu des avances notables ?

La Radio tlvision nationale du Congo (RTNC) a t rappele lordre plusieurs reprises par linstance de rgulation de la transition, la Haute Autorit des Mdias (HAM), parce quelle privilgiait de manire outrancire le camp du prsident Joseph Kabila. Lvolution des anciens mdias dEtat vers des organes de services publics, qui refltent les tendances de lensemble de la socit, constitue un dfi important dans tous les pays dAfrique francophone. Il est comprhensible que ce dfi soit encore plus difficile relever dans un pays o la radio et la tlvision nationales ont t, pendant des dcennies, des organes de propagande au service exclusif du rgime en place et o une guerre de cinq annes a en outre plac laudiovisuel dEtat dans le rle de dfenseur des intrts suprieurs de la nation, de chantre du nationalisme, de garant de lintgrit territoriale. Une volution des mdias publics nest possible que sil existe une volont politique relle au plus haut niveau de lEtat et cette volont ne pourra se manifester, ventuellement, quau lendemain des lections. A condition que les dirigeants lus soient suffisamment assurs de leur lgitimit pour laisser souvrir des espaces de contestation de leur action y compris au sein de ce quils considrent comme leurs propres mdias.
Pour ce qui est de la rgulation des mdias, la HAM a bnfici dun appui trs important de la part de nombreux partenaires financiers : la coopration belge, le Pnud, la coopration britannique ( travers lInstitut Panos Paris), lUnion Europenne ( travers le GRET) ont apport cette institution citoyenne de transition un soutien qui doit se monter plus dun million deuros, depuis sa mise en place il y a trois ans. Si les vnements rcents (la HAM a t compltement saccage par des partisans du MLC de Jean-Pierre Bemba 48 heures avant le premier tour des lections le 30 juillet 2006) montrent encore une fois la fragilit de toute tentative de consolidation institutionnelle, lexprience de la HAM prouve aussi quavec de largent, de lnergie et de laudace, il est possible driger en ncessit dmocratique une ide aussi peu sympathique aux oprateurs mdiatiques que ne lest la rgulation. Si la HAM est encore ce jour trs critique pour ses prises de dcisions et des positions souvent considres comme trop proches du pouvoir encore en place, le principe mme de la rgulation est de mieux en mieux accept et compris par les acteurs du secteur mdiatique. Et a, cest fondamental dans un pays o le premier dfi est la remise sur pied dun Etat de droit

Propos recueillis par Thierry Perret


(1) Chercheur lUniversit libre de Bruxelles, Marie-Soleil Frre est expert associ lInstitut Panos Paris (IPP) et consultante pour plusieurs organismes appuyant le secteur des mdias en Afrique francophone. Elle est lauteur de Presse et dmocratie en Afrique francophone (Paris, Karthala, 2000), Mdias et Communications sociales au Burkina Faso (Paris, LHarmattan, 2003) et Afrique Centrale. Mdias et Conflits. Vecteurs de guerre ou acteurs de paix (Bruxelles, Complexe, 2005).



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