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24/11/2006 | |||
Questions internationales (1) L’avenir assombri des chrétiens d’Orient | |||
(MFI) Alors que le pape Benoît XVI doit se rendre en Turquie fin novembre, les chrétiens d’Orient font face à des difficultés croissantes : discriminations de la part des régimes en place, multiplication des violences, peur devant la montée de l’islamisme. Ils sont de plus en plus nombreux à fuir une région qui a pourtant vu naître le christianisme. Certains pays sont cependant plus accueillants. | |||
Quelle est la situation des chrétiens d’Orient ? « Des communautés en survie » : c’est ainsi que les spécialistes qualifient la situation des dix à onze millions de chrétiens installés de l’Egypte à l’Irak, du Liban à l’Iran, de la Palestine à la Syrie, et qui suivent des rites divers, assyro-chaldéen, syriaque, copte ou maronite. Installés dans la région qui a vu naître le christianisme et fidèles à des confessions deux fois millénaires, les chrétiens d’Orient n’en sont pas moins victimes aujourd’hui de violences et de discriminations croissantes. « Nous célébrons les offices en araméen, la langue du Christ, et notre communauté était implantée ici avant les musulmans. Mais nous sommes considérés comme des citoyens de seconde zone », déplore le patriarche grec-orthodoxe de Damas. La charia étant la principale source du droit dans la plupart des pays du Proche-Orient, les chrétiens disposent de moins de droits. C’est vrai en matière d’héritage, en matière matrimoniale ; leur témoignage a moins de valeur devant un tribunal. Les conversions au christianisme sont interdites voire punies de mort comme en Iran. Les chrétiens sont également en butte à des tracas administratifs pour l’obtention d’un emploi, d’un logement, d’une salle de prière. La haute fonction publique leur est interdite. Aux brimades « légales » et aux abus de fonctionnaires s’ajoutent, avec la montée de l’islamisme, des attaques de plus en plus fréquentes : églises incendiées, femmes frappées dans la rue car non voilées, prêtres ou familles assassinés pour créer un climat de terreur… Résultat : les chrétiens d’Orient sont nombreux à prendre le chemin de l’exil, soit vers des pays musulmans plus accueillants (Jordanie, Tunisie, Maroc), soit vers l’Europe ou les Etats-Unis. Mais comme le précise Christian Lochon, universitaire spécialiste des Eglises d’Orient : « Si les violences et les discriminations expliquent principalement cet exode, ce ne sont pas les seules causes. Les atteintes aux droits de l’homme sont générales en Iran, en Syrie, en Egypte, quelle que soit la religion des victimes. Et la situation économique est catastrophique. Les chrétiens sont un peu plus riches que les autres et ils ont souvent de la famille en Occident ; il leur est donc plus facile de s’exiler. On compte 16 millions de Syriens en dehors des frontières ; tous ne sont pas catholiques, d’autant que ce n’est pas en Syrie que le sort des chrétiens est le pire. » Dans quel pays leur condition est-elle particulièrement difficile ? La situation la pire se trouve en Irak. Sous Saddam Hussein, les chrétiens pouvaient exercer librement leur culte tant qu’ils ne faisaient pas de politique. Tarek Aziz, l’influent ministre des Affaires étrangères, était d’ailleurs chrétien. Depuis l’invasion américano-anglaise de mars 2003 et le climat de guerre civile qui en a suivi, le sort de tous les Irakiens est dramatique ; les chrétiens n’échappent pas à la règle. « Des attentats ont été commis contre des églises, des villages chrétiens ont été décimés. Récemment, quatre enfants ont été crucifiés. Les musulmans confondent facilement chrétiens et Occidentaux. Des tracts ont appelés à chasser les croisés alors que nous sommes des autochtones ; nous représentons même la plus ancienne communauté chrétienne du Moyen-Orient. Il est certain qu’en priant avant chaque conseil des ministres et en employant le terme de croisade, Bush ne nous aide guère », témoigne l’évêque chaldéen de Bagdad, Shlimon Wardouni. Rien qu’en 2005, 60 000 chrétiens irakiens ont fui le pays, soit 10 % de la communauté. La situation des chrétiens d’Orient s’aggrave aussi en Egypte où réside la plus importante minorité chrétienne du Proche-Orient. Ces dernières années, les attaques – voire des pogroms dans des villages de Haute-Egypte – se sont multipliées contre les coptes. L’élection au Parlement, en novembre 2005, de 88 membres des Frères musulmans – dont le slogan de campagne était l’islam est la solution – n’a pas rassuré les coptes. De même, en Palestine, la victoire du Hamas aux élections législatives de janvier 2006 a accéléré la fuite des catholiques. Le Hamas affirme pourtant n’avoir aucune animosité contre la minorité religieuse. Mais comme l’explique Bernard Sabella, professeur de sociologie à l’université de Bethléem : « Plus que des faits précis, c’est un climat général d’hostilité, l’incertitude face à l’avenir, les déclarations contradictoires de responsables du Hamas qui incitent les chrétiens à partir. (…) La construction du mur de sécurité par les Israéliens aggrave la situation des catholiques. Autrefois, Bethléem accueillait de nombreux pèlerins. Noël était une grande fête. Depuis le mur, c’est une ville morte. Les Israéliens nous empêchent de célébrer Noël dans le berceau du Christ. » A contrario, existe-t-il des pays de la région qui représentent un espoir pour les chrétiens d’Orient ? Malgré leurs graves difficultés, les chrétiens d’Orient sont profondément attachés à leur pays. L’importance de leurs actions caritatives, leur implication dans la vie politique, leur solidarité panarabe l’attestent (voir article ci-joint). Certes, les gages qu’ils donnent ne suffisent pas toujours, mais ils se sentent autant arabes que chrétiens. C’est au Liban, en Turquie et en Jordanie que leur situation est la plus satisfaisante. Au Pays du cèdre, les chrétiens – essentiellement maronites – représentent près de 40 % de la population. Historiquement, ils ont toujours occupé des rôles-clés tant en politique que dans les affaires ; aujourd’hui encore leur influence est déterminante. Ainsi le président de la République est toujours un chrétien. Certes son rôle est moindre que celui du Premier ministre qui, lui, est toujours sunnite alors que le président du Parlement est systématiquement chiite. Si la charia n’est pas en vigueur au Liban, les mariages interconfessionnels restent soumis à des conditions très strictes et sont en pratique rarissimes. Mais comme dans les pays voisins, les chrétiens n’y sont généralement pas plus favorables que les musulmans. Les quinze années de guerre civile de même que les luttes fratricides entre eux ont profondément affaiblis les chrétiens libanais. Ils ont en outre été persécutés sous l’occupation syrienne, car jugés trop souverainistes. Depuis le retrait des troupes de Damas en avril 2005, les maronites cherchent à renforcer leur influence. Certains les voient même jouer un rôle d’arbitre entre sunnites et chiites. Comme le soulignait l’ancien président Amine Gemayel dans une interview à La Libre Belgique : « Au Liban, il existe de nombreux villages où cohabitent chrétiens et druzes, chrétiens et chiites, chrétiens et sunnites. En revanche, il est plus difficile de trouver des villages où voisinent sunnites et chiites. » Pour certains observateurs, le maintien de l’influence des maronites au Liban constitue un excellent frein au « choc des civilisations » dans la région. En Turquie, l’amélioration de la condition des chrétiens – récente – coïncide avec la volonté d’Ankara de rejoindre l’Union européenne. Le pays se vante de sa laïcité inscrite dans la constitution, mais dans les faits l’Etat intervient beaucoup dans les affaires religieuses. Ici pas d’attaques meurtrières contre des chrétiens ni d’incendies d’églises, mais la multiplication de vexations administratives qui compliquent la pratique sereine d’un culte. La victoire aux élections législatives de 2003 du Parti de la justice et du développement – qualifié d’islamiste modéré – n’a ni empiré ni amélioré leur sort. Par contre, depuis qu’Ankara a Bruxelles en ligne de mire, la loi foncière garantissant le droit de propriété des églises chrétiennes a été promulguée, le séminaire d’Halki – fermé arbitrairement par les militaires en 1971 – devrait être rouvert et l’enseignement du christianisme est facilité. Il ne reste cependant que 80 000 chrétiens, essentiellement de rite arménien, sur 72 millions d’habitants. En Jordanie enfin, les chrétiens jouissent de droits civiques égaux à ceux des musulmans, et les églises sont libres de développer leurs activités pastorales, éducatives et humanitaires. On compte ainsi de nombreuses écoles catholiques dans le pays, ainsi que des orphelinats et des hôpitaux qui accueillent aussi bien des musulmans que des chrétiens. Cet « oasis de paix », pour reprendre le terme d’un missionnaire français installé depuis trente ans à Amman, pourrait à terme être menacé par les chrétiens eux-mêmes. Fuyant l’Irak, la Syrie ou la Palestine, ils sont en effet de plus en plus nombreux à se réfugier dans le royaume hachémite. | |||
Jean Piel | |||
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