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09/02/2007
Questions internationales (3)
Olivier Roy, chercheur au CNRS : Difficile dtre optimiste pour lAsie centrale


MFI : La Russie est-elle en train de russir son retour en Asie centrale au dtriment des Etats-Unis ?

Olivier Roy : On assiste incontestablement un retour de linfluence russe en Asie centrale. Pour Moscou, il sagit dun pr-carr politique ne pas perdre, et un moyen dexploiter les hydrocarbures des rgions bordant la mer Caspienne, commencer par le gaz turkmne. Mais beaucoup plus que lconomie, lessentiel pour la Russie en Asie centrale est son poids diplomatique et militaire.
Cependant, si les Etats-Unis sont dsormais en retrait dans la rgion, ce nest pas parce que la Russie les en chasse, mais plutt parce que lAsie centrale les intresse moins quavant. Cest un choix politique. Certes la richesse du sous-sol reste une motivation, mais uniquement sur les rives de la Caspienne. Ailleurs, lexploitation et le transport sont trop hasardeux. Washington ne considre plus lAsie centrale comme une priorit dans la lutte contre le terrorisme, a fortiori depuis son double engagement en Afghanistan et en Irak. LUS Air Force conserve nanmoins une base au Kirghizstan. Si les Etats-Unis taient intresss par la rgion, ils nauraient pas critiqu si fermement le massacre dAndijan par les troupes ouzbkes. Et personne ne peut les forcer quitter une rgion quils jugent stratgique.
La question long terme est de savoir comme la Russie va sentendre avec la Chine en Asie centrale. Pour linstant, Pkin avance discrtement, ne faisant aucun commentaire sur la situation politique, nincitant pas ses ressortissants sinstaller dans les rpubliques. Mais elle exporte de plus en plus de biens, vient de relancer la construction dun pipeline depuis le Kazakhstan et ne fait pas mystre de son apptit pour les hydrocarbures afin de satisfaire ses considrables besoins nergtiques. Pour linstant, les intrts de Pkin et de Moscou ne se heurtent pas. Quen sera-t-il long terme ? La question reste ouverte.

MFI : Lislam radical constitue-t-il une menace en Asie centrale ?

O. R. : Lislam reprsente la seule voix dopposition. Tous les partis politiques sont sinon interdits, sauf au Kirghizstan. De l parler de menace islamique, il y a un pas que je ne franchirai pas. Certes la pauvret croissante et les atteintes aux droits de lHomme favorisent lislamisation de la socit. Mais les mouvements religieux les plus radicaux ont t soit intgrs au jeu politique comme au Tadjikistan, soit limins comme au Kazakhstan et au Turkmnistan. Lexistence de groupuscules fondamentalistes est difficile apprcier. Mais aucun nest aujourdhui assez structur ni assez puissant matriellement et humainement pour reprsenter une menace contre les rgimes en place. Au demeurant, les gouvernements dAsie centrale, mme sils sont lacs, approuvent un islam conservateur. Ce nest pas en Asie centrale quon parle de droits des femmes ou de libration des murs. En fait, seul lOuzbkistan pourrait faire les frais dune menace islamique. Ailleurs, islamisation de la socit, oui, risque darrive au pouvoir dun islam politique, non.

MFI : Portez-vous un regard optimiste ou pessimiste sur lavenir des rpubliques dAsie centrale ?

O. R. : Il est difficile dtre optimiste. Lconomie va vau-leau. La dmocratie est une illusion. Le trafic de drogue fait des ravages. La corruption bloque tout dveloppement. Personne ne peut crer dentreprises en Asie centrale, moins dtre immdiatement ranonn. Les mafias vont jusqu dtenir les pleins pouvoirs dans deux pays. En outre, quinze ans aprs les indpendances, les dirigeants ne prparent pas leur succession, comme souvent dans les dictatures. On assiste par contre une tendance dynastique, notamment au Kazakhstan o le prsident Nursultan Nazarbaev prpare sa fille aux plus hautes fonctions, tout comme Islam Karimov en Ouzbkistan. La prochaine lection prsidentielle au Turkmnistan est verrouille ; lopposition na pas eu les moyens dy participer. En ralit, personne na intrt ce que la situation politique volue en Asie centrale : ni les gouvernants, ni les mafias, ni les oligarques, ni les pays voisins. Les seuls qui aspirent au changement, ce sont les habitants. Mais ils nont pas voix au chapitre et il est impossible dimaginer un soulvement populaire dans aucune des cinq rpubliques.

Propos recueillis par Jean Piel

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