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23/02/2007
Questions internationales (1)
Peu despoir de libration pour les otages en Colombie


(MFI) Le 23 fvrier, cela fera cinq ans quIngrid Betancourt est prisonnire des Forces armes rvolutionnaires de Colombie (FARC). Aux cts de la snatrice cologiste, 3000 autres otages sont dtenus par diffrentes gurillas. Le prsident Alvaro Uribe veut rsoudre par la force les violences politiques qui dchirent son pays. Mais des observateurs estiment que plus de dmocratie et moins dingalits sociales seraient davantage efficaces. Mme si les FARC nont aucun respect pour les droits de lhomme.

Quelle est la situation des otages en Colombie ?

Cest en voulant renouer le contact avec les FARC les Forces armes rvolutionnaires de Colombie quIngrid Betancourt, alors snatrice cologiste et candidate llection prsidentielle, a t enleve par la gurilla marxiste, le 23 fvrier 2002. Depuis, cette pasionaria de la lutte contre la corruption est devenue le symbole des violences politiques qui minent ce pays andin de 44 millions dhabitants. Un statut quelle doit sa double nationalit franco-colombienne et ses relations dans les cercles politique et intellectuel parisiens. Cela nerve Bogota, o la presse rappelle quIngrid Betancourt ntait pas la seule lutter contre la corruption et que la Colombie ne se rsume pas un cocktail de misre et de violence. Mais celle que 1 500 communes franaises ont faite citoyenne dhonneur a russi mobiliser lattention internationale sur un drame largement ignor et qui intresse dailleurs peu les Colombiens eux-mmes.
Car Ingrid Betancourt est un otage parmi 3 000 autres, dont certains dtenus depuis plus de dix ans dans des conditions misrables : enferms dans des caves ou enchans des arbres en fort, peu nourris, jamais soigns, contraints deffectuer de longues marches en montagnes La snatrice cologiste appartient un groupe de 58 prisonniers politiques ministres, lus, officiers suprieurs contre lesquels les FARC rclament la libration de 500 gurilleros emprisonns. Aucune preuve de la vie dIngrid Betancourt na t apporte depuis aot 2003. Tous les autres otages des hommes, des femmes, des enfants sont dtenus pour obtenir des ranons. En gnral, les familles ont un an pour payer. Pass ce dlai, les otages sont excuts ou pas ; cest la loterie , explique Gustavo Munoz, prsident de Nouvelles esprances, une association de familles dotages.
Ces otages ne sont pas tous dtenus par les FARC. La gurilla marxiste en retient environ 1 700 ; 500 autres sont aux mains de lArme de libration nationale (ELN), un mouvement dinspiration guvariste ; 500 autres encore sont prisonniers des Autodfenses unies de Colombie (AUC), des milices dextrme-droite, proches de nombreux lus de la majorit. Le reste a t kidnapp par des bandits sans obdience politique. Quelle que soit lidentit des ravisseurs, langoisse des familles est la mme : Nous ne recevons jamais de nouvelles ; nous leur faisons passer des messages via la radio sans savoir sils les entendent ou non. Le gouvernement agit peu et ne nous consulte pas ; la population se dsintresse de ce drame. Seule une mobilisation internationale peut nous aider , clame Gustavo Munoz.

La situation politique en Colombie explique-t-elle ces enlvements en srie ?

Dans une Amrique latine qui bascule gauche, la Colombie fait exception. En mai 2006, elle a rlu pour quatre ans sa tte Alvaro Uribe, un avocat de 53 ans, rsolument ancr droite et partisan de la manire forte contre les gurillas. Un homme qui dit lutter contre le terrorisme, alors que certains observateurs voquent plus une guerre civile pour dcrire la situation du pays.
Comptant 16 000 membres, les FARC se dfinissent comme un groupe politico-militaire marxiste dinspiration bolivarienne. Elles dclarent dfendre les pauvres des campagnes contre la bourgeoisie conservatrice des villes. Elles sont opposes linfluence amricaine, aux privatisations des ressources naturelles et aux investissements trangers. Cres en 1966, les FARC manent de la rpression du mouvement paysan li au Parti communiste et de linfluence cubaine. Au dbut des annes quatre-vingt, elles ont voulu sintgrer au jeu politique en crant lUnion patriotique, une formation de gauche radicale. Ses 3 000 militants ont tous t assassins. Comme le sont souvent en Colombie les syndicalistes et les militants des droits de lhomme Cest la misre et linjustice qui favorisent les FARC et lELN. La moiti des Colombiens vivent sous le seuil de pauvret et 75 % des richesses du pays sont dtenues par 20 % des habitants. La corruption de llite reprsente le double des dpenses publiques dans la sant et lducation , dfend lancien prsident Alfonso Lopez Michelsen. Les FARC contrlent aujourdhui le tiers du territoire colombien. Si leur cause a une certaine lgitimit, ce nest pas le cas de leurs mthodes : attentats, assassinats, enrlement de force, endoctrinement des paysans, expropriations Estim 77 millions de dollars, leur budget provient des ranons aprs enlvement, du vol de btail et du trafic de drogue.
Face aux FARC, les Autodfenses Unies de Colombie (AUC) ont t cres par les propritaires terriens avec le soutien de larme et des partis conservateurs. Ces milices dextrme-droite luttent contre les gurillas, font le coup de poing contre les syndicats, et nhsitent pas dcimer un village qui a abrit des gurilleros. Leur politique de terreur oblige les petits paysans vendre leurs terres aux grands propritaires. Les AUC sont accuses des plus graves atteintes aux droits de lhomme et, comme les FARC, elles se financent grce la drogue et aux enlvements. En 2005, les paramilitaires ont bnfici dune amnistie dans le cadre de la loi Justice et paix ; amnistie que le prsident colombien refuse dtendre aux FARC ; 30 000 membres des AUC ont ainsi dpos les armes. En ralit, ils contrlent toujours des rgions entires et poursuivent leurs missions descadrons de la mort .
Depuis 1980, les violences politiques en Colombie ont fait 200 000 morts et 7 000 disparus. Elles ont contraint trois millions de personnes fuir leurs terres pour sentasser dans des bidonvilles, ce qui fait des Colombiens la plus forte population dplace lintrieur de son pays, aprs les Soudanais et les Angolais. On estime 5 millions dhectares les surfaces perdues par des familles contraintes de fuir alors quelles ne soutiennent ni les FARC ni les AUC. Ce drame est peu visible dans les villes, o se forge lopinion publique, car il ne touche que les campagnes et les hauts-plateaux, donc les pauvres et les sans-voix.

Existe-t-il des espoirs de libration des otages ?

Lavenir parat sombre sur ce chapitre. Alors que les chefs dEtat de pays en crise sont gnralement lus en promettant la paix, Alvaro Uribe, lui, a t lu puis largement rlu en promettant une guerre totale contre les FARC. Lhomme est un adepte de la manire forte, et sa mthode semble donner des rsultats. Larme a repris le contrle des routes ; le nombre denlvements a diminu (339 en 2005 contre 698 en 2004) ; plusieurs leaders des FARC ont t arrts et le mouvement peu soutenu par la population a perdu le contrle dimportants territoires. La police rouvre des commissariats dans un nombre croissant de localits.
Cette politique muscle a cependant ses limites. Elle na pas empch les FARC de sinfiltrer au cur des villes pour y perptrer des attentats, ou de dplacer une colonne de 500 hommes pour attaquer un village sans jamais tre repre. Surtout, elle napporte aucune perspective. Personne nimagine une victoire militaire contre la gurilla, vue la gographie du pays. Les espoirs de paix et de stabilit politique sont donc minces. En outre, cette politique embarrasse la communaut internationale, exception faite des Etats-Unis, alli fidle de Bogota. Ses voisins sud-amricains, tout comme lUnion europenne, le Vatican et lOnu, pressent Alvaro Uribe de ngocier. La Suisse, la France et lEspagne ont mme propos de jouer les intermdiaires. Paris est en pointe sur ce dossier enlvement dIngrid Betancourt oblige au point dirriter la diplomatie colombienne. Puisquun cessez-le-feu a t conclu avec les paramilitaires de lAUC et quun autre est sur le point de ltre avec lELN, pourquoi ne pas ngocier avec les FARC ? Alvaro Uribe rpond quil na pas t lu pour cela, et que les FARC ne sont pas fiables. En effet, le prcdent chef de lEtat, Andrs Pastrana (1998-2002), avait conclu une trve avec la gurilla, leur concdant mme un territoire de 42 000 km (lquivalent de la Suisse). Mais les FARC nont tenu aucune de leurs promesses et en ont profit pour rarmer. Depuis, aucune rencontre ne sest tenue entre la gurilla et les autorits. En 2005, quelques timides changes ont eu lieu. Mais les deux parties nont mme pas russi se mettre daccord sur le lieu dune ventuelle rencontre.
En octobre 2006, nouvel espoir : Alvaro Uribe se dit prt, comme le rclame les FARC, discuter de la libration de 500 gurilleros contre les 58 otages politiques. Le prsident colombien accepte mme de dmilitariser deux villes pour organiser les ngociations. Une concession majeure pour un partisan du tout militaire qui bnficie de 70 % dopinions favorables dans son pays. De son ct, la gurilla autorise plusieurs dputs quelle dtient crire leur famille, et commence concentrer ses otages dans un mme lieu. Mais deux semaines plus tard, Alvaro Uribe prend prtexte dun attentat non revendiqu contre une cole militaire pour rompre le dialogue. Il revient son credo : Je vais poursuivre ma politique scuritaire et dmocratique contre le terrorisme. Seuls les moyens militaires sont efficaces. Rponse des FARC : Le gouvernement ne veut pas ngocier. Il ny aura jamais dchange de prisonniers tant que Uribe sera au pouvoir. A nouveau, les familles dotages sont dsespres, qui se rappellent quen 2003, dix otages avaient t excuts lors dune tentative de libration par larme. La confiance minimum ncessaire la tenue de ngociations nexiste pas encore entre les FARC et le gouvernement colombien.

Jean Piel

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