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23/02/2007
Questions internationales (2)
Daniel Pcaut : Les FARC ont perdu toute crdibilit politique


(MFI) Spcialiste de la Colombie, Daniel Pcaut est directeur de recherche lEcole des hautes tudes en sciences sociales (Ehess) Paris.

MFI : Diriez-vous que la Colombie est dchire par une guerre civile ?

Daniel Pcaut : Certainement pas. Cest un pays en proie de graves violences politiques, mais pas une guerre civile. Cela supposerait que la socit soit divise entre pro-gurilla et pro-gouvernement. Ce nest pas le cas. La cote de popularit du prsident Alvaro Uribe oscille entre 70 et 80 %, alors que les FARC ne bnficient daucun soutien populaire. En outre, les violences naffectent que les zones rurales, mais les villes sont globalement tranquilles. Elles connaissent un dveloppement certain ces dernires annes en terme demplois, dinfrastructures La Colombie enregistre un taux de croissance lev, et la majorit des habitants ne veulent rien savoir des problmes politiques. Il est vrai cependant que les FARC ne sauraient tre rsumes une bande de criminels. Elles sont issues de lhistoire sociale du pays, dfendent un programme politique, aspirent au pouvoir, obissent une hirarchie. Mais elles ont aujourdhui perdu toute crdibilit. Elles ne prennent pas position et ne savent pas comment ragir face aux vnements politiques et conomiques du pays, sa diplomatie. Les FARC ne cherchent plus convaincre la population ; leur message politique est inaudible. La gurilla a pourtant t populaire auprs des paysans les plus pauvres. Mais leurs exactions rptition, leur violence aveugle, leur ont alin le peuple. Celui-ci aspire la paix. Les Colombiens ont compris que les FARC ne reprsentaient pas une alternative crdible.

MFI : Peut-on imaginer une reprise des ngociations entre le gouvernement et les FARC ?

D. P. : La conjoncture ne sy prte gure. Il ny a pas de volont de part et dautre. Le gouvernement dAlvaro Uribe a construit son image sur la fermet, la force, la confiance en larme. Et cela marche : les forces de lordre reconquirent du terrain, les enlvements sont moins nombreux, les investisseurs trangers considrent Bogota avec intrt. Dans ces conditions, pourquoi sengager dans des ngociations qui prendront du temps, seront mal comprises par lopinion et par larme, sont contraires aux promesses du chef de lEtat et dont lissue est incertaine ?
De leur ct, les FARC ne montrent aucun signe de bonne volont. Dans le pass, elles ont toujours trahi leurs engagements. Aujourdhui, elles nont gure de propositions faire. Leur discours se limite exiger des zones dmilitarises, plus grandes que certains pays europens. Quel gouvernement au monde accepterait de concder des territoires un mouvement coupable denlvements, dattentats et de trafic de drogue ? Cest impossible. Reste lchange des prisonniers. Ce nest pas un agenda politique, mais cest important au plan humanitaire. Le problme est que la confiance nest pas suffisante pour amorcer des discussions. Le statu quo arrange tout le monde, sauf les otages. On se retrouve dans une guerre de basse intensit. Les FARC sont isoles au plan national et international. Elles sont dpourvues de relais dans le pays et ltranger. Elles nont rien proposer, donc elles sont dangereusement imprvisibles.

MFI : Les fortes ingalits sociales en Colombie ne confrent-elles pas une certaine lgitimit aux FARC ?

D. P. : Absolument pas. Si tous les pays sud-amricains o svit linjustice sociale connaissaient une telle gurilla, le sous-continent serait feu et sang. En outre, les FARC ne proposent rien pour rduire ces ingalits, ou plus exactement leur programme politique est si radical quon limagine mal appliqu dans un pays qui reste lun des derniers droite en Amrique latine. Encore une fois, la gurilla a perdu sa crdibilit mme auprs des plus pauvres qui lont un temps soutenu. En outre, la Colombie volue positivement sur le plan dmocratique et conomique ; des rformes sociales sont en cours, mme si beaucoup reste faire. Le pays senrichit. Les observateurs internationaux ont jug le dernier scrutin prsidentiel honnte et transparent ; le principal parti de gauche y a enregistr un score honorable. Cest beaucoup plus l que se situe lalternative que dans les FARC aujourdhui affaiblies.
Par contre, lerreur dAlvaro Uribe est davoir soutenu les groupes paramilitaires de lAUC. Ceux-ci ont commis les pires atteintes aux droits de lhomme et les conditions de leur amnistie suscitent bien des interrogations. Cela autorise douter des prtentions dmocratiques dAlvaro Uribe, mais ne lgitime en rien les FARC.

Propos recueillis par Jean Piel

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