Rechercher

/ languages

Choisir langue
 
Liste des rubriques
MFI HEBDO: Politique Diplomatie Liste des articles

02/03/2007
Questions internationales (2)
Catherine Durandin : Accorder lindpendance du Kosovo, cest ouvrir la bote de Pandore en Europe centrale


(MFI) Professeur lInalco et spcialiste des Balkans, Catherine Durandin souligne le fait que les enjeux autour de lindpendance du Kosovo dpassent le seul statut de la province.

MFI : Lindpendance du Kosovo vous semble-t-elle dsormais inluctable ?

Catherine Durandin : Oui, sans aucun doute. Les Etats-Unis y sont favorables, les principaux pays de lUnion europenne aussi, et bien videmment lcrasante majorit des Kosovars. La Russie est contre, mais Washington ne soucie gure de lopinion de Moscou aujourdhui.
Cependant, en droit international, cette indpendance est discutable. Car lgalement le Kosovo appartient la Serbie. La Constitution, approuve par rfrendum en octobre dernier, affirme le droit inalinable de la Serbie sur sa province mridionale. En octroyant son indpendance au Kosovo, la communaut internationale viole le droit. Elle retire une de ses provinces un pays souverain.
Certes, on peut opposer une autre logique au droit international : celle du TPIY. Lpuration ethnique laquelle se sont livres les troupes de Slobodan Milosevic contre les Kosovars prive Belgrade dune partie de sa souverainet. Dune certaine manire, la Serbie est punie comme lAllemagne nazie lavait t aprs la Seconde guerre mondiale. Cest reconnatre quil nexiste plus de communaut de destin entre Serbes et Kosovars dethnie albanaise. Pourtant pendant la guerre, les sparatistes albanais de lUCK ntaient pas des anges non plus ; ils se sont livrs des atrocits contre les Serbes.
Un argument en faveur de lindpendance est la scession de fait dans laquelle vit le Kosovo depuis juin 1999. Belgrade nexerce plus aucune autorit sur cette province depuis huit ans. Par contre, les institutions politiques kosovares sont de plus en plus structures. Dans ce contexte, la mission de Martti Athisaari tait impossible ds le dpart. Il a men une ngociation sur un sujet non-ngociable pour les intresss. Les Albanais ne voulaient que lindpendance, et les Serbes nont prsent aucune alternative crdible.

MFI : Le Kosovo risque-t-il de sombrer dans la violence si lindpendance est dclare ?

C. D. : Cest un risque rel. Dj des troubles ont clat ces derniers jours Pristina et Mitrovica. De telles quantits darmes circulent dans cette rgion que la moindre tincelle peut se transformer en affrontements. Entre clivage ethnique, murs peu pacifis aprs des annes de guerre, faible espoir en lavenir, armes en libre-service et tension identitaire, une reprise des combats est toujours possible. LOtan dploie 16 000 soldats pour un territoire de deux millions dhabitants. Cest norme. Que ces soldats se retirent, et le Kosovo sera feu et sang. Cela aussi questionne sur lindpendance future de la province. Quels que soient leurs discours et leurs intrts, aucun des deux gouvernements ni serbe ni kosovar ne contrlent les mouvements ultra-nationalistes.
La Serbie na mme pas lespoir dune adhsion lUnion europenne en change de labandon du Kosovo. Si encore les ngociations avec Bruxelles taient bien avances, les jeunes Serbes seraient motivs pour tourner la page. Mais cette perspective nexiste pas. Les ngociations sont peine entames et aucun calendrier nest tabli. Sans perspective davenir, dans des pays o la situation conomique est catastrophique et les partis nationalistes puissants, le risque de violence est vident. Le seul lment qui incite loptimisme est la lassitude des habitants aprs des annes de guerre. Le faible nombre de Serbes installs au Kosovo et leur ge avanc me font dire que, dans leur tte, les Serbes ont dj renonc la province.

MFI : Quel rle la Russie peut-elle jouer dans ce dossier ?

C. D. : Le sort du Kosovo va tre tranch au Conseil de scurit de lOnu. La Russie opposera-t-elle son veto au plan de Martti Ahtisaari au nom de lamiti qui la lie la Serbie ? Ce nest pas certain. Quelles que soient ses dclarations enflammes, je ne suis pas sr que Vladimir Poutine soit prt sengager trop loin dans cette affaire. Lamour de Moscou pour Belgrade nest pas immodr ; les Russes ont mme toujours eu un certain mpris pour les Serbes. En fait, la dcision de Moscou dopposer ou non son veto dpendra de ce qui va se ngocier dans les couloirs de lOnu sur dautres dossiers que les Balkans ; par exemple, sur la Syrie, ou lIran, ou la Mer Caspienne. Le sort du Kosovo ne va probablement pas se dcider sur la seule problmatique des Balkans. La rgion fera les frais ou tirera les bnfices dautres enjeux diplomatiques.
Si les dirigeants russes peuvent paratre excessifs dans leur dfense inconditionnelle de la Serbie, ils ont nanmoins raison lorsquils voquent la bote de Pandore que va ouvrir ce nouveau statut du Kosovo. En suivant strictement la logique qui justifie lindpendance du Kosovo, les Serbes de Bosnie vont exiger de quitter la Bosnie pour rejoindre Belgrade, les habitants de Transnistrie de ne plus tre infods la Moldavie ni la Roumanie mais dtre indpendants, lOsstie et lAbkhazie de ne plus tre des provinces de la Gorgie, mais daccder la souverainet, sans mme voquer le cas de la Tchtchnie Le risque de dstabilisation rgionale est rel. Moscou apprhende beaucoup mieux que les Etats-Unis ou lUnion europenne les problmes de lEurope centrale.

Propos recueillis par Jean Piel

retour