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16/03/2007
Gouvernance et dmocratie : la population a son mot dire

(MFI) Contrairement aux ides reues, voire aux certitudes, profres depuis des lustres par certaines lites du Nord comme du Sud, les populations africaines, et tout particulirement les plus pauvres, sont extrmement proccupes par la reprsentativit de ceux qui les gouvernent. Cest en tout cas ce que montrent les analyses des rsultats denqutes dopinion menes ces dernires annes en Afrique.

Lisez les rsultats bruts, a dcoiffe ! , lanait Franois Roubaud, conomiste de lAgence franaise de dveloppement (AFD), lors du sminaire organis loccasion de la sortie du n 220 dAfrique contemporaine : Gouvernance, dmocratie et opinion publique en Afrique. On ne cesse de rpter que gouvernance et dmocratie sont des dterminants fondamentaux de la russite des politiques conomiques. Do peut-tre cet chec patent des programmes mis en uvre par les institutions internationales et les dveloppeurs de tous poils. Qui du coup veulent apporter le bien-tre aux populations et cherchent de plus en plus mesurer leurs aspirations. Or les grandes bases de donnes internationales nont pas rponse tout , explique Franois Roubaud. Notamment, elles nclairent pas les liens entre gouvernance et dmocratie dun ct, et croissance conomique de lautre. Pour les uns, la mdiocre qualit de la gouvernance est la rsultante [dun] faible niveau de dveloppement (Sachs, 2004), tandis que les autres (Kaufman, et al.) affirment linverse que la bonne gouvernance dont la dmocratie est considre comme un lment constitutif accrot le niveau de richesse des pays.

Rendre compte dune ralit devenue plus exigeante

En fait, la multiplication rcente dindicateurs globaux ou de bases de donnes internationales sur la gouvernance et sur les institutions ont surtout permis de noter et classer les pays selon leurs performances. Mais elle ne suffit plus rendre compte dune ralit devenue plus exigeante. Quils soient fournis par la Banque mondiale, Transparency International et Freedom House, les indicateurs sont souvent bass sur les seuls dires des experts , eux-mmes plus ou moins qualifis. Des indicateurs pas toujours fiables, surtout dans les pays pauvres o les donnes sont rares. Surtout, ces donnes concernent des pays et non pas des logiques individuelles. Do lide de recueillir lopinion de la population pour clairer le dbat , indique Franois Roubaud. Une ide dj en pratique chez les Anglo-Saxons. Selon une tude ralise par linstitut Freedom House, lAfrique aurait dailleurs rejoint le niveau moyen (dmocratique) lchelle mondiale. En tout cas un niveau suprieur celui que son niveau de dveloppement pourrait laisser supposer. On se trouve ainsi lantithse du progrs conomique comme ancrage de la dmocratie .

De quelle manire la pauvret influe-t-elle sur les comportements politiques ?

Le premier groupe darticles de ce numro dAfrique contemporaine porte sur le degr dadhsion des populations aux valeurs dmocratiques et sur la faon dont elles jugent le fonctionnement rel de la dmocratie dans leurs pays , explique encore F. Roubaud. De quelle manire la pauvret influe-t-elle sur les comportements politiques ? Dans Populations pauvres et citoyennet dmocratique en Afrique, Michal Bratton sinterroge : Une situation socio-conomique favorable est-elle une pr-condition la dmocratie ? A laune des transitions dmocratiques luvre sur la plante, lauteur sautorise en douter. Les gens pauvres sont-ils plus ou moins attachs la dmocratie que les gens riches ? . Ou encore sont-ils plus ou moins susceptibles dagir en tant que citoyens dmocratiques ? Autant des questions qui peuvent paratre incongrues et qui pourtant dchanent les passions.
Si la stabilit dmocratique () dpend du bien-tre conomique des citoyens, affirme Michal Bratton, alors on pourrait sattendre ce que les dmocraties soient particulirement fragiles dans les rgions du monde o beaucoup de gens vivent dans la pauvret. Or, il nen est rien. Des tudes menes en Asie du Sud notamment en Inde dans les annes 1990 - tendent montrer que les pauvres sont tout aussi, voire ventuellement plus susceptibles que les autres dtre attachs aux valeurs dmocratiques, dappuyer des rgimes dmocratiques et de voter dans des lections dmocratiques - ce qui se traduit par une participation plus forte lors des scrutins par exemple. Des constats tests ensuite dans des contextes africains.

Une trs forte adhsion aux principes dmocratiques

Alors que ces questions continuent danimer les instigateurs des politiques de dveloppement, un nouveau corpus de donnes a vu le jour. Des projets rgionaux Afrobaromtre* - un rseau de sociologues scientifiques africains coordonn par lInstitute for Democracy in South Africa (Idasa), le Centre pour le dveloppement dmocratique (CDD- Ghana) et la Michigan State University (MSU) - ont t engags : une srie denqutes nationales comparatives qui mesurent conditions de vie et orientations politiques de citoyens africains ordinaires. Grce des instruments normaliss, des donnes comparables dans le temps et dans lespace (entre plusieurs pays) sont ainsi la disposition des chercheurs. Lenqute dite de la 2 vague (2002-2003) a couvert 15 pays et se fonde sur un chantillon alatoire dadultes de 18 ans et plus. Au total, 21 000 personnes interroges en face face dans la langue de leur choix. Celle de 2005 qui porte sur 50 000 personnes rparties dans 18 pays dont 4 francophones, Mali, Bnin, Sngal et Madagascar - montre une trs forte adhsion aux principes dmocratiques (66 %).
Lindice de pauvret dAfrobaromtre sattache aussi montrer qui sont les Africains pauvres (ruraux, gs), puis passe en revue les valeurs politiques, les attitudes et les comportements des Africains ordinaires, concluant que les tendances la dmocratie sont tonnamment rpandues. Les Africains ne sont ni plus ni moins susceptibles que les mieux lotis davoir des valeurs dmocratiques ou de prfrer la dmocratie tout autre rgime politique. Ils votent plus frquemment que les riches et participent plus rgulirement des runions communautaires entre les scrutins. Un constat bien sr nuancer car les conclusions de Michal Bratton sont aussi paradoxales. Dun ct les populations pauvres ne sont manifestement pas satisfaites de la qualit de la gouvernance dont font preuve les dirigeants quelles ont lus. Dun autre ct, elles prfrent court-circuiter les canaux officiels () et restent enfermes dans une relation informelle de clientlisme .
De mme, certains auteurs posent la question de la diversit ethnique : a-t-elle des incidences sur lapprciation du fonctionnement de la dmocratie ? Leonard Wantchekon et Gwendolyn Taylor explorent les interactions entre les attentes lgard de la dmocratie, le contexte sociopolitique (le degr de fragmentation ethnique et de reprsentation politique au parlement) et les jugements sur les institutions dmocratiques . Deux rflexions parallles sont encore livres aux lecteurs : celle dOlivier Valle qui se penche sur les diffrents modes dapprhension de la corruption tandis quEmmanuelle Lavalle dmontre que cette dernire a des effets ngatifs sur la confiance institutionnelle.

Antoinette Delafin


* www.afroarometer.org



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