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23/03/2007 | |||
Questions internationales (2) LEurope face ses dfis | |||
(MFI) LUE est confronte la mfiance de ses concitoyens. Ce qui semblait un formidable projet il y a cinquante ans apparat aujourdhui comme une institution technocratique, sans contrle dmocratique, responsable des difficults conomiques des pays membres. En cause, la dmagogie anti-europenne de certains hommes politiques et les largissements successifs qui ont dilu lidentit de lUnion. | |||
LEurope en panne ; Comment relancer lEurope ? ; Les citoyens europens se mfient de Bruxelles Ces quelques titres tmoignent de leuroscepticisme croissant au sein des 27. Si la construction europenne a enregistr des progrs fondamentaux ces cinquante dernires annes, les Europens soit nen sont pas conscients, soit se mfient dune institution devenue leurs yeux technocratique, peu contrlable et lidentit incertaine au gr des largissements. Le Non au rfrendum sur la Constitution, exprim en 2005 par les Franais et les Nerlandais, en est lillustration. Le divorce citoyens-UE Le premier dfi de lUE est donc de se rconcilier avec ses citoyens. Comme le souligne Bertrand Badie, professeur lInstitut dtudes politiques de Paris : Sauf peut-tre chez les nouveaux entrants, lUE est plus considre comme une menace que comme un atout. La dmagogie des lus qui en font la cause de tout problme y est pour beaucoup. Les gens ignorent que la construction dune route prs de chez eux est pour partie finance par lUE. Mais ils voient en Bruxelles lune des raisons du chmage et de la vie chre. Dans une chronique publie par Le Monde, lancien porte-parole de la Commission, Bino Olivi, estimait que lUE na jamais su communiquer intelligemment. Que voit le citoyen ordinaire de lEurope ? Des hommes en costume qui ngocient ; des normes ; un langage hermtique. Cela apparat complexe et rserv ceux qui ont des diplmes ; les mmes pour qui la mondialisation est une chance, pas une contrainte. On assiste donc un divorce entre les institutions europennes et les citoyens. La construction de lEurope sest faite grce aux convergences entre les Etats, pas entre les socits. Il est essentiel aujourdhui de simplifier limage de lEurope , ajoute Bertrand Badie. LUE en panne de projets Autre dfi : dfendre des projets mobilisateurs comme leuro en fut un. Compter 27 membres complique normment le processus de dcision. En outre, le rejet de la Constitution par la France et les Pays-Bas a cr un traumatisme. Rsultat : la Commission nose plus formuler de propositions, ou quand elle en formule celles-ci sont rduites au plus petit dnominateur commun. Le souffle des grands projets a disparu , note un observateur Bruxelles. Quelques exemples : lUE souhaite adopter une politique nergtique qui assure ses approvisionnements tout en jouant un rle pionnier dans la lutte contre le rchauffement climatique. Mais ce principe admis par tous se heurte la volont de chaque Etat de dfendre ses industries, mme les plus polluantes. Du coup, les ambitions sont revues la baisse. De mme, la coopration judiciaire et les changes dinformations entre les polices nont pas donn les rsultats escompts alors que la construction dun espace europen de justice, de libert et de scurit tait prsente comme une rforme dcisive ses dbuts en 1997. On pourrait galement citer le cas de la recherche, qui bnficie peu de crdits communautaires alors que lobjectif est de crer des ples dexcellence europens face aux Etats-Unis. En matire conomique, les rflexes protectionnistes nont pas disparu. La crise actuelle chez Airbus le prouve. Pendant des annes, Paris, Berlin et Londres se sont disputs pour accueillir plus de sites industriels afin de favoriser lemploi, sans souci de logique conomique. Aujourdhui, chacun espre que lautre sacrifiera plus de chmeurs afin de sauver lavionneur. Terriblement logique certes au regard des enjeux intrieurs, mais contraire lesprit europen tant glorifi lorsque les comptes taient bons. Limpossible diplomatie commune Troisime dfi : renforcer linfluence de lUnion europenne en matire diplomatique. Une influence loin dtre ngligeable. Nanmoins lEurope a du mal parler dune seule voix. La division entre pro et anti-guerre en Irak lillustre. Comme lexplique Bertrand Badie : Les 27 Etats membres ont une histoire, des socits et un regard sur le monde trs divers. Do des visions diplomatiques radicalement opposes tant sur les Balkans que sur les relations avec les Etats-Unis ou avec le monde arabe qui rendent difficiles llaboration dune diplomatie, sinon unique du moins convergente. Rsultat : la France et lAllemagne prenaient la direction des anti-guerre , tandis que le Royaume-Uni, la Pologne et lEspagne envoyaient des troupes Bagdad. Un coup dur pour lunit et la crdibilit europennes. Depuis llargissement aux pays de lEst, lUE tend devenir la partie europenne de lOtan. Du coup, il lui est difficile de se distinguer en matire diplomatique et de dfendre un regard sur le monde autre que celui des Etats-Unis, comme elle le faisait dans les annes 90. LUE na encore jamais rsolu seule une grave crise internationale , regrette Bino Olivi. A cette faiblesse diplomatique est li le dfi de la construction dune Europe de la dfense. Un projet ardemment soutenu par Paris. Certes, beaucoup a dj t accompli en la matire. Il existe des patrouilles europenne de gendarmerie, un bataillon franco-allemand, des rgiments europens dans les Balkans et en Afrique. Mais passer la vitesse suprieure semble de plus en plus difficile. Parce quil sagit l dune question qui touche la souverainet des Etats ; parce que seuls la France, le Royaume-Uni (et dans une moindre mesure lAllemagne) ont des armes performantes ; parce que sans politique trangre commune il est difficile davoir une dfense commune. Une Europe trop gourmande Le dernier dfi auquel sont lis tous les autres est celui de lintgration des nouveaux pays membres. Depuis 2004, lUE est passe de 15 27 membres, les nouveaux entrants venant presque tous de lancien bloc de lEst, posant des questions quant lidentit mme de lEurope. Cette intgration doit se faire au niveau des citoyens. Les Franais nont jamais eu peur de llectricien britannique ; ils semblent avoir peur du plombier polonais. Les Nerlandais se sentent-ils une communaut de destin avec les Hongrois ? Combien dEspagnols savent quils appartiennent au mme bloc que lEstonie ? On a cru que lintgration tait seulement une affaire de ngociations entre gouvernements, sans tre assez attentif aux socits , dplore Bertrand Badie. Certains vieux Europens regardent les nouveaux entrants comme des gens qui veulent profiter du systme au dtriment de leur emploi et de leur scurit sociale ; le mme reproche quils font aux immigrs africains , commentait un ditorial du quotidien belge Le Soir. Cette difficult dintgration se rencontre aussi dans les sphres dirigeantes. Comme lexplique un haut-fonctionnaire europen en parlant de ses nouveaux collgues : Cest toujours eux et nous. Beaucoup interviennent sur des dossiers quils ne matrisent pas juste pour montrer quils existent, mais du coup disent des normits. Les Polonais parlent sans cesse du pass avec des airs de martyrs alors que notre rle est de construire lEurope. Seuls les Hongrois et les Tchques sont professionnels. Un autre ajoute : La machine devient impossible grer. Les discussions informelles et les changes spontans ont disparu. Chaque runion est une succession de monologues. Il faut parfois sept mois avant que toutes les traductions soient effectues. Du coup, tout se prpare en amont au tlphone, au dtriment des nouveaux membres. Pas facile non plus de dfinir des politiques communes avec des pays dont le revenu national natteint pas la moiti de celui des prcdents membres, ou qui ne partagent gure de proccupations en matire de diplomatie, de coopration avec le Tiers-monde, denvironnement Cest une priode de transition difficile grer. Mais long terme, il est prfrable davoir dans lUE des pays dont lconomie et la socit voluent rapidement plutt que de les laisser la porte , estime le mme fonctionnaire europen. Les largissements de 2004 et 2007 ont t mal grs, rendant les ngociations impossibles au sein de lUE, essoufflant la voix de lEurope, asphyxiant tout projet diplomatique commun. En devenant un monstre polymorphe, avec des institutions trop nombreuses, des rglementations trop compliques, lEurope sest coupe des citoyens , lui rpond Bertrand Badie. Pour lancien porte-parole de la Commission, lItalien Bino Olivi : Le danger est celui dun retour en arrire. De communaut conomique, lEurope tait devenue une Union politique. Avec les derniers largissements, son axe sest dplac lEst. Pour fonctionner, elle doit donc se cantonner au plus petit point commun entre ses membres, celui dun espace de libre-change. Lancien ministre franais des Affaires trangres, Hubert Vdrine, rsume la situation sa faon : LEurope est aime des lites globalises et rejete par les classes moyennes et populaires du fait de la dmagogie anti-europenne des hommes politiques. Quatre dsaccords fondamentaux persistent aujourdhui : jusquo pousser lintgration politique ; lidentit de lEurope et donc ses frontires ; le choix entre vraie puissance ou puissance molle ; le point dquilibre entre la flexibilit conomique sans laquelle les entreprises meurent et la scurit sociale laquelle ont droit les individus. Les 27 nont pas encore rpondu ces interrogations. Face ces dfis, un travail pdagogique lgard des citoyens, mais surtout une pause dans llargissement afin dapprofondir lintgration europenne semblent ncessaires. Certains suggrent de crer une Europe plusieurs vitesses : un premier cercle de pays partisans daller toujours plus loin dans lintgration politique et conomique, un deuxime cercle de pays spaulant sur lEurope pour mener bien leur transformation, et un troisime qui, aux portes de lUE, profitent de son voisinage sans en tre membres. | |||
Jean Piel | |||
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