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30/03/2007
Questions internationales (1)
Le renouveau politique du chiisme


(MFI) Ambition rgionale de lIran, popularit croissante du Hezbollah libanais, victoire lectorale en Irak : les chiites retrouvent le got du pouvoir. Au point de sduire la majorit sunnite qui voient en eux les vrais rsistants aux Etats-Unis et Isral. Cette situation inquite les monarchies du Golfe et les capitales occidentales. Mais imaginer un nouvel axe de pouvoir chiite serait excessif. En effet, les mouvements chiites ne sont pas homognes et les heurts avec les sunnites, en Irak et au Liban, restent vifs.

Que reprsente la communaut chiite ?

Deuxime religion au monde, lislam compte 1,4 milliard de fidles dont 15% environ sont chiites, soit 210 millions. Un chiffre lgrement sous-estim puisque certains taisent leur obdience religieuse lorsquils vivent au sein de fortes majorits sunnites. Les diffrences entre les deux traditions sont pourtant minimes. Les deux prient un mme dieu, Allah, se rfrent un mme Coran et un mme prophte, Mahomet. Mais si les sunnites considrent Abou Bakar, le premier calife, comme le successeur de Mahomet, les chiites, eux, accordent leur confiance Ali, son gendre. Des diffrences doctrinales se sont greffes sur ce conflit successoral. Les chiites dont le clerg est hirarchis, contrairement aux sunnites regardent les imams comme des prophtes vnrs tels des saints, alors que les sunnites estiment que Mahomet est le seul prophte. Mais les diffrences entre les deux coles sont plus politiques que thologiques.
Les chiites sont majoritaires dans quatre pays seulement : lIran dont 90% des habitants suivent ce qui est religion dEtat depuis le XVI sicle ; lAzerbadjan (75% des musulmans), Barhen (70%), lIrak (65%) et le Liban (60% des musulmans, soit 30% des habitants). On compte une importante communaut chiite au Ymen (42%) et dans une moindre mesure en Turquie, en Syrie, en Afghanistan et au Pakistan.
Minoritaires au sein de lOumma (la communaut des croyants), les chiites reprsentent cependant les deux-tiers des riverains du Golfe persique, berceau de 75% des rserves ptrolires mondiales. Cest vrai en Irak, en Iran et Bahren. Mais mme en Arabie saoudite o ils sont peine 10% de la population, ils reprsentent 70% des habitants de la province du Hasa, le cur de lor noir saoudien qui renferme 40% des stocks mondiaux de ptrole. Une situation qui inquite les capitales occidentales comme les monarchies du Golfe.

Assiste-t-on un renouveau de linfluence des chiites ?

Longtemps humilis, victimes de discriminations politiques, conomiques et religieuses du fait de la majorit sunnite, les chiites relvent la tte et revendiquent leurs droits depuis quelques annes. Un rveil amorc par la rvolution islamique en Iran, en 1979. Larrive au pouvoir de lAyatollah Khomeiny a rendu leur fiert aux chiites. Aprs des annes dun rgime lac, Thran est redevenu une rfrence pour le monde musulman ; le pays o lislam est le guide de toute la vie des citoyens , analyse Mohammed Reza-Djalili, professeur lInstitut des hautes tudes internationales de Genve. Plus rcemment, la victoire lectorale des partis chiites en Irak aprs la chute de Saddam Hussein, et la rsistance acharne du Hezbollah libanais contre loffensive isralienne lt 2006 ont parachev cette influence nouvelle du chiisme. Une situation qui fait tche dhuile. A Bahren, lasss dtre des citoyens de seconde zone, les chiites rclament une galit de traitement avec les sunnites, ce qui aboutirait lviction de la famille rgnante. Dbarrass grce aux Etats-Unis de la menace de ses voisins irakien et taliban (en Afghanistan) et riche en ptrole, lIran du trs conservateur Mahmoud Ahmadinejad affiche ses ambitions rgionales, brandissant son programme nuclaire et intervenant dans le conflit isralo-palestinien, via le Hezbollah quil arme et finance. De mme, jamais lIran na t aussi influent en Irak. Tous ceux aujourdhui au pouvoir Bagdad lui sont redevables puisquils vivaient en exil Thran lpoque de Saddam Hussein. Mme Moqtada al-Sadr, qui na gure damiti pour les dirigeants iraniens, a fait le voyage de Thran en juin dernier. LIran dispose dun rel pouvoir sur plusieurs milices chiites qui mnent la gurilla en Irak , explique Denis Bauchard, ancien diplomate, aujourdhui chercheur linstitut franais des relations internationales.

Comment ragit la majorit sunnite ce renouveau chiite ?

Fascination et rejet : la raction est double. Cette nouvelle influence chiite est aussi rendue possible par ladmiration que suscite Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah, dans la rue arabe, que celle-ci soit chiite ou sunnite. Toujours vtu de noir et le visage mang par de grosses lunettes, celui que certains comparent dj Nasser est considr comme un hros par de nombreux musulmans pour avoir su rsister larme isralienne. De mme, les discours enflamms de Mahmoud Ahmadinejad sils drangent parfois le font apparatre comme le seul vrai adversaire dIsral et des Etats-Unis. Comme le souligne le chercheur Olivier Roy : La stratgie iranienne consiste fusionner deux logiques : celle du front du refus qui, chiite ou sunnite, rejette Isral, lAmrique et plus gnralement lOccident ; et celle de laxe chiite, qui consiste, partout o cest faisable, favoriser les revendications galitaires des minorits chiites opprimes. Et cela marche . . Mme si le phnomne est encore marginal, ne touchant que quelques milliers de familles, on assiste un mouvement indit dans le monde musulman : celui de tashayyu, de conversion au chiisme de certains sunnites, sduits par larrive au pouvoir et le courage politique de leaders chiites. Ces conversions se remarquent notamment en Syrie (principal alli de lIran), dans le Maghreb et en Afrique subsaharienne.
A loppos de cette fascination, le rejet du renouveau chiite. Celui-ci est patent en Irak o une guerre civile qui ne dit pas son nom oppose des milices des deux coles, en particulier depuis lattentat contre le mausole chiite de Samarra en fvrier 2006. Une guerre qui fait plus de 2000 morts par mois. Les tueries succdent aux tueries et des dizaines de milliers dIrakiens ont d dmnager sur des bases communautaires. La minorit sunnite, autrefois protge par Saddam Hussein, nadmet pas la perte de son pouvoir depuis la chute du Ras.
Au Liban aussi, sunnites et chiites sopposent frontalement pour le contrle du pouvoir, via des partis politiques certes mais qui sont construits sur des bases communautaires. Au pays du Cdre, le communautarisme est institutionnalis puisque le chef de lEtat est toujours un chiite, le Premier ministre toujours un chrtien et le prsident du Parlement toujours un sunnite. En Irak comme au Liban, le conflit entre les deux communauts est avant tout politique, et non pas thologique. Reste que le proslytisme chiite fait souffler un vent de fitna, de discorde, considr comme le pire malheur qui puisse frapper lOumma. Au point que, dbut mars, des hauts responsables iraniens et saoudiens se sont rencontrs Riyad pour essayer dapaiser les tensions au nom de la stabilit du Proche-Orient.

Peut-on parler dun nouvel axe de pouvoir chiite ?

Cest linquitude exprime tant par les capitales occidentales que par les monarchies du Golfe. Le roi Abdallah de Jordanie y voit un nouveau facteur de dstabilisation de la rgion tandis quen Egypte (o on compte 2% de chiites), le prsident Hosni Moubarrak accuse lIran de mener une politique de proslitysme transnational . Anim par Thran, cet axe de pouvoir chiite irait de lIran au Liban en passant par lIrak. Il inquite cause de la rputation dintgrisme des chiites, des liens supposs entre lIran et le terrorisme et des ambitions affiches de la Rpublique islamique, seul Etat perse au cur de nations arabes. En outre, lIran et lIrak sont les deux poids-lourds dmographiques de la rgion. Il est vrai quentre les plrinages, les exils et les mariages entre les grandes familles, le chiisme prsente un caractre transnational plus marqu que le sunnisme.
Pourtant, lide dun nouveau pouvoir panchiite ne rsiste pas lanalyse. Dabord parce que le monde chiite nest pas homogne. Layatollah Khomeiny tait partisan de la subordination du politique au religieux, mais aujourdhui le trs respect ayatollah Sistani refuse toute participation du clerg au pouvoir politique. La multiplicit des courants tant doctrinaux que politiques au sein du chiisme explique que tous ne soient pas infods Thran. En Irak, certaines milices sont profondment hostiles au rgime des Mollahs, et Thran y a plus une capacit de nuisance quun potentiel pacificateur. Il en va de mme au Liban ou les chiites se battent parfois entre eux. La carte du chiisme et celle des ambitions iraniennes ne se recoupent pas , avertit Laurence Lour, chercheuse au Centre dtudes des relations internationales (voir interview ci-aprs).
Non seulement les rivalits internes au chiisme sont vives, mais en outre, comme le souligne Olivier Roy : LIran agit toujours avec un pragmatisme qui lui fait passer ses intrts dEtat avant ses intrts religieux. Ses ambitions sont plus panislamiques que panchiistes . Ainsi, dans le diffrent qui oppose lAzerbadjan chiite lArmnie chrtienne, Thran soutient la seconde pour des questions stratgiques. De mme na-t-il jamais aid matriellement la minorit chiite Hazara en Afghanistan pour ne pas se mettre davantage dos un voisin qui se mfie de lui. A contrario, en Palestine, vide de chiites, lIran dfend activement le Hamas, pourtant proche des intgristes sunnites. Mais dfendre la cause palestinienne est impratif pour se rallier le monde musulman.
Lhistoire montre dailleurs que pendant les huit annes de guerre Iran-Irak, les soldats irakiens majoritairement chiites ont vaillamment dfendu leur pays (et un rgime qui les opprimait) mme sils partageaient la mme religion que leurs adversaires. Lintrt national a prim lintrt religieux. Conclusion de Laurence Lour : Si on peut comprendre les inquitudes des uns et des autres face la monte en puissance de lIran, nanmoins il nexiste pas de gopolitique chiite.

Jean Piel

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