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04/04/2007
Questions internationales (3)
Franois Raillon : Le Timor-Leste est trs mal parti


(MFI) Directeur du centre Asie du Sud-Est au CNRS et lEhess, Franois Raillon affiche son pessimiste pour lavenir du Timor-Leste.

MFI : La prochaine lection prsidentielle permettra-t-elle au Timor-Leste de sortir de la crise politique ?

Franois Raillon : Je serais plutt pessimiste sur ce point. Cinq ans aprs son indpendance, le Timor na enregistr aucun progrs en matire conomique et sociale ; il aurait mme plutt rgress. La pauvret est abyssale, les frustrations sociales trs vives, le chmage des jeunes toujours plus lev. Or ce sont ces jeunes qui, en leur fournissant des troupes, alimentent le conflit entre les lites politiques.
Si la situation est aujourdhui plus calme, nanmoins aucun des problmes dclencheurs des meutes du printemps 2006 na t rsolu. Les relations entre la quinzaine dethnies qui compose le pays restent difficile ; la confiance nexiste toujours pas entre les Timorais de lEst et ceux de lOuest, alors que le pays est petit et ne compte que 930 000 habitants ; le ressentiment des militaires limogs en 2006 est trs fort et pourrait tre exploit par le chef rebelle, Alfredo Reinado, pour mener un coup dEtat. Aujourdhui, seule la prsence dune force multinationale garantit la paix et la scurit au Timor. Sans ces soldats, le pays aurait dj sombr dans le chaos. Cest extrmement vexant, lorsque lindpendance a t source de tant despoirs, de devoir tre protg par des troupes trangres quelques annes aprs seulement.
Enfin, le fait que lactuel Premier ministre, Jos Ramos-Horta, se prsente llection prsidentielle tandis que lactuel prsident, Xanana Gusmao, affiche demi-mot son ambition de devenir Premier ministre provoque un certain malaise. Les deux principaux dirigeants changent leur poste ? Cela cr une impression de confiscation du pouvoir par llite, mal vcue par la population. Comme si la politique tait un jeu guichet ferm dont elle tait exclue. Au demeurant, Jos Ramos-Hortas et Xanana Gusmao sont tous deux de culture portugaise et ont impos le portugais comme langue officielle. On assiste donc un divorce entre les lites politiques et conomiques de culture lusophone et la population qui ne parle quindonsien ou ttum. Le Timor-Leste est vraiment mal parti.

MFI : Les candidats llection prsidentielle proposent-ils des scnarios de sortie de crise ?

F. R. : Absolument pas, ou du moins rien de crdible. Llection ne se jouera pas sur des programmes, mais sur la personnalit des candidats. Cest pourquoi Jos Ramos-Hortas, avec son sourire rassurant et son aura de prix Nobel de la paix, devrait lemporter. Au demeurant, quel programme dfendre lorsque la ralit du pouvoir est entre les mains des Nations unis, des bailleurs de fonds internationaux et des ONG ? Aussi indpendant soit-il, le Timor nest pas gr par les Timorais, mais par ce quon appelle confusment la communaut internationale. Une situation difficile vivre pour les Timorais, mme sils sont conscients de son caractre inluctable. En outre, cela cr un phnomne dconomie enclave. Les experts internationaux, les diplomates, les membres dONG vivent de faon confortable dans les quartiers rsidentiels de Dili, ont leurs boutiques, leurs restaurants o tout se paye en dollars. Do la jalousie des Timorais dont le niveau de vie reste trs bas.
Xanana Gusmao est conscient du problme. Il utilise sa popularit pour dnoncer la dsinvolture des politiciens locaux, les abus des hommes daffaires, la corruption des fonctionnaires Mais ses discours ne se transforment pas en actes. Cest un prsident pote qui manie bien le verbe. Mais ce nest pas un homme daction. Cela est peut tre d aux limites de la fonction prsidentielle. Il dit dailleurs vouloir devenir Premier ministre pour avoir davantage de pouvoir. Mais a-t-il vraiment le ralisme, le savoir-faire, pour sortir le pays de lornire ? Je nen suis pas sr. Pour diriger le Timor, il faut un homme daction prt mettre les mains dans le cambouis . Je crains que ce ne soit le cas ni de Jos Ramos-Hortas ni de Xanana Gusmao.

MFI : La manne ptrolire permettrait-elle au Timor-Leste de sortir de sa crise conomique et sociale ?

F. R. : Cela aiderait sans conteste un pays dont le PNB reste trs faible. Les revenus du ptrole pourraient se chiffrer en milliards de dollars. Nanmoins ce nest pas la panace. Le Nigeria est riche en ptrole, mais na pas bti dindustries solides et reste ancr dans le sous-dveloppement. Ce nest pas le seul exemple au monde. La manne ptrolire est un atout si elle est bien gre et bien redistribue. Mais elle ne suffit pas en tant que telle pour sortir le pays des difficults. En outre, lAustralie ne semble gure dispose rtrocder la proprit des gisements. Canberra entend dfendre ses intrts et imposer son pouvoir ses micro-voisins, en Asie comme en Mlansie, qui nont pas les moyens de lui rsister.
La possession de gisements dhydrocarbures peut tre un norme avantage si elle est bien gre, mais cela peut aussi se rvler un terrible danger si elle favorise la corruption, les luttes de pouvoir pour leur contrle. Le risque est que cet argent tomb du ciel ne cre une conomie dimportation au lieu dtre investi dans le dveloppement industriel et commercial. Quand on voit la crise politique actuelle, linefficacit et la corruption de ladministration, les luttes inter-ethniques, la confiscation du pouvoir par les lites, on peut sinterroger sur la capacit du Timor grer cette ressource.

Propos recueillis par Jean Piel

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