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04/04/2007 | |||
Questions internationales (1) Le Timor-Leste au bord du chaos | |||
(MFI) Cinq ans aprs son indpendance, la jeune rpublique du Timor-Leste va pour la premire fois lire son prsident, ce 9 avril. Ancienne colonie portugaise, le Timor a ensuite t violemment envahi par lIndonsie ; le pays est aujourdhui confront de graves difficults politiques et conomiques. Une guerre civile menace. Au point que certains se demandent si le pays tait vraiment prt pour lindpendance. | |||
Cinq ans aprs son indpendance, quelle est la situation politique au Timor-Leste ? Oublie la grande fte de proclamation de lindpendance, le 20 mai 2002, lorsque la soprano Barbara Hendricks chantait sous un magnifique feu dartifice et que le premier prsident timorais, Xanana Gusmao, hros de la lutte contre loccupant indonsien, senthousiasmait : Vous tes tmoins de laspiration dun peuple tout entier la paix. Nous allons construire un Etat neuf dans le respect dun dveloppement quilibr, de lenvironnement, de la sensibilit de chacun. Aujourdhui, le 192 Etat de la plante est au bord de la guerre civile, et seuls les plus optimistes pensent que la prochaine lection prsidentielle permettra de sortir le pays de la crise. Une crise illustre par les violences qui ont secou lle en mai 2006, faisant 45 morts et des milliers de dplacs. A lorigine des troubles, le limogeage de 600 soldats le tiers de la jeune arme timoraise qui se plaignaient dtre victimes de discriminations dans leur rgiment. Sen sont suivis de violents combats entre arme rgulire et rebelles auxquels se sont joints des jeunes chmeurs ciblant les symboles du pouvoir : police, ministres, bureaux de lOnu, quartiers rsidentiels. Il a fallu lenvoi dun contingent international de 1400 hommes, dirig par lAustralie, pour ramener le calme. Si la situation est dsormais pacifie, des chauffoures entre bandes rivales ou entre jeunes et soldats australiens clatent rgulirement Dili, la capitale. Cela dautant plus que le chef des rebelles de mai 2006, Alfredo Reinado, sest chapp de prison lors dune mutinerie. Depuis, il menace le gouvernement dune attaque massive, sans jamais cependant formuler de revendications claires. Au-del des faits darmes, les meutes du printemps 2006 ont mis en vidence lhostilit croissante entre le chef de lEtat, le populaire Xanana Gusmao, et son Premier ministre, Mari Alkatiri. Le premier souhaite voir le Timor-Leste dirig par une coalition dunion nationale, alors que le second musulman modr dans un pays 90% catholique incarne le Fretilin, le parti de la rsistance anti-indonsienne, majoritaire au Parlement. Xanana Gusmao a une image de pragmatique alors que le Fretilin saffirme marxiste. Mari Alkatiri a t contraint la dmission, mais ne sest pas priv daccuser Xanana Gusmao de coup dEtat quand celui-ci a pris le commandement des forces de scurit. Quels sont les partis en prsence pour cette lection prsidentielle ? Huit candidats sont en lice. Le favori des sondages est Jos Ramos-Horta, lactuel Premier ministre et prix Nobel de la paix 1996. Je me prsente uniquement parce que le pays est en crise, pas par ambition personnelle , affirme celui qui, comme plusieurs de ses adversaires, se prtend indpendant et au-dessus des partis. Ag de 58 ans, Jos Ramos-Horta a le soutien de linfluente Eglise catholique et est regard avec bienveillance par lAustralie, puissance tutlaire de la rgion. Son principal adversaire sera le prsident du Parlement, Francisco Gutterres Lu-Ollo , soutenu par le Fretilin. Un parti que certains observateurs accusent de vouloir faire du Timor-Leste un Cuba asiatique . Pour sa part, Xanana Gusmao na pas souhait se prsenter. Comme il le confiait au magazine Time Asia : Il est plus difficile de diriger le Timor en temps de paix que davoir men la gurilla indpendantiste contre lIndonsie. Il nexclut pas cependant de se prsenter aux prochaines lections lgislatives, voire de devenir le Premier ministre de son ami Jos Ramos-Horta. Comment expliquer linstabilit politique au Timor ? Trouble de croissance de la dmocratie, hritage de lhistoire, frustration aprs une indpendance qui na en rien rsolu les difficults du pays Ce sont quelques-unes des explications donnes par les spcialistes de la rgion. Les nouveaux dirigeants sont affols par lampleur de la tche. Ce pays doit tre construit partir de zro. Or il na que cinq ans ; ce nest rien dans lhistoire dune nation , souligne John Luttel, chercheur lInternational Institute of Strategic Studies (Londres). Les institutions mises en place police, justice, administration souffrent dun manque dexprience et sont dj gangrnes par la corruption. Lorsque lOnu a quitt le pays en mai 2005 aprs cinq ans dadministration provisoire, nous navions aucun homologue timorais qui transfrer nos dossiers. Nous avons mme d couper les lignes tlphoniques car personne navait prvu la reprise des abonnements , se souvient un cadre onusien alors en poste Dili. Les plaintes pour discriminations des 600 soldats seraient lies aux diffrences ethniques et communautaires. Sur ce territoire de 15 000 km (la superficie de la Belgique), les 930 000 habitants se partagent entre une quinzaine dethnies, des minorits papoue et indonsienne et une majorit timoraise. Le clivage est surtout net entre les Timorais de lEst les Loro Sae et les Timorais de lOuest, les Loro Monu. Les premiers qui comptaient un plus grand nombre de rsistants souponnent toujours les seconds davoir t des collaborateurs favorables loccupation indonsienne. Mais au-del dventuels antagonismes identitaires, cinq ans de paix ne suffisent pas effacer la culture de violence et dinjustice dploye pendant un quart de sicle doccupation indonsienne , rappelle John Luttel. Les Timorais, en particulier les jeunes, nont pas encore acquis le sens du dialogue, plus habitus rgler leurs diffrents coup de machettes. De 1975 1999, plus de 200 000 Timorais ont t massacrs ou sont morts de faim et de maladie. Leurs droits les plus lmentaires ont t bafous par les forces indonsiennes. Comme lcrit le quotidien The Australian : Il ntait pas raisonnable de sattendre ce que larme, la police et mme la population timoraises adoptent les habitudes dmocratiques du jour au lendemain. Les frustrations sont nombreuses aussi parmi ceux qui ont lutt pour lindpendance et dont les conditions de vie ne se sont pas amliores depuis, alors quune petite lite, pas toujours prsente au Timor au temps de la colonisation, monopolise les meilleurs postes et vit confortablement. Si le chef rebelle Alfredo Reinado arrive mobiliser ces mcontents et les habitants des villages misreux de lintrieur du pays, une guerre civile nest pas exclue. Le prsident Xanana Gusmao a lui-mme rappel llite de Dili sa part de responsabilit dans les tensions : Certains patrons ne rinvestissent pas leur bnfice ; des dputs ne vont jamais au Parlement ; la corruption de personnes dj riches aggrave la situation des plus pauvres. Les Nations unies sont-elles aussi pour partie responsables de la crise politique ? Certains reprochent lOnu qui a administr le pays de 1999, anne du rfrendum dautodtermination, mai 2005 davoir pli bagage trop tt. Son mandat avait pourtant t considr comme un modle : retour la paix, scurisation du pays, construction dinfrastructures (eau, lectricit, routes), mise en place dune administration. Kofi Annan, alors secrtaire gnral de lOnu, souhaitait prolonger la mission. Mais emmene par les Etats-Unis, lAssemble gnrale de lOnu sy est oppose. Avant de devoir y envoyer une force multinationale lors des meutes du printemps 2006. Le prsident timorais qui avait couvert dloges lOnu pour son travail en mai 2005 navait pas de mots assez durs un an plus tard contre ces fonctionnaires internationaux qui ont occup les meilleurs postes sans former leurs homologues timorais et sont partis du jour au lendemain en emportant mme les talkies-walkies et les ordinateurs pourtant offerts par les pays donateurs . Lune des causes essentielles des troubles politiques est aussi le marasme conomique dans lequel vit le Timor, pays le plus pauvre dAsie (voir article ci-joint) : 42 % de la population vit sous le seuil de pauvret, avec moins dun euro par jour, et les indicateurs sociaux (mortalit infantile, esprance de vie) sont dramatiques. Dficit de lgitimit des dirigeants, faible habitude dmocratique, lite arrogante, conomie en faillite, tensions ethniques, corruption gnralise Tous les ingrdients dune crise politique sont runis, au point que certains se demandent haute voix aujourdhui si le pays tait vraiment prt pour lindpendance. | |||
Jean Piel | |||
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