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16/04/2007
Questions internationales (2)
Rfugis irakiens : des frontires de plus en plus hermtiques


(MFI) La Syrie et la Jordanie ont dabord bien accueilli des rfugis souvent riches et qualifis. Mais leur nombre croissant et leur concurrence sur le march de lemploi provoquent de plus en plus de mcontentements. Au point que la Jordanie, invoquant des problmes de scurit, envisage dsormais de fermer ses frontires.

Abou Haydar a ouvert un petit restaurant dans le quartier de Jamarana, dans la banlieue de Damas. Ici, comme partout dans la capitale syrienne, les rues sont troites et encombres, les portraits martials du prsident Bachar Al-Assad omniprsents et les commerants forts en gueule. Rien ne distingue a priori ce quartier des autres, si ce nest quaujourdhui la majorit des habitants sont irakiens. A Bagdad, jtais officier suprieur dans larme, sunnite et membre du parti Baas. Bref un privilgi au niveau de vie confortable. Mon adhsion au Baas obissait au souci de dfendre ma carrire, pas une admiration pour Saddam Hussein que, comme tout le monde, je craignais , raconte Abou Haydar. Avant dajouter : Jai applaudi la chute du Ras, mais depuis ma vie sest effondre. Javais peur dtre victime dun rglement de compte, que mes enfants soient kidnapps. Je navais plus demploi et mes amis se dtournaient de moi. Mon frre a t enlev et jai d payer une ranon de 10 000 dollars. Puis mon neveu a t tu dans un attentat sur un march. Alors nous avons fui avec ma famille vers la Syrie. Pendant un an, Abou Haydar va vivre avec sa femme et ses quatre enfants dans un appartement de 35 m, sans travailler, en esprant repartir vite Bagdad. Puis jai d me faire une raison. La situation ne fait quempirer en Irak. Je ne pouvais pas vivre ternellement de mes rentes. Alors jai ouvert ce restaurant : six tables et un four kebab. Je suis bien loin de ma grande maison du quartier cossu de Saydia Bagdad , soupire-t-il.

Une bonne intgration apparente

Ce tmoignage, recueilli par le quotidien Al-Hayat, est reprsentatif du parcours du million dIrakiens rfugis en Syrie : des membres des classes moyennes voire suprieures disposant de rserves financires ; lespoir de repartir en Irak ou de sinstaller Duba ou aux Etats-Unis ; la vie de rente dabord, puis lobligation de travailler. Au final, un sentiment de dclassement et de prcarit. Mais je suis vivant et cela na pas de prix. Je commence oublier le bruit des bombes et des rafales de mitraillettes, la peur permanente de sortir dans la rue, langoisse monstrueuse lorsque mes enfants ont 5 minutes de retard en rentrant de lcole , raconte ainsi Yassine Ahmad qui, Bagdad, dirigeait une entreprise de BTP. A Damas, il est dessinateur dans un cabinet darchitecte, gagne 100 dollars par mois et sestime chanceux. La vie est heureuse ici. Nous avons reconstitu nos habitudes et les Syriens nous accueillent bien , ajoute-t-il. Ces rfugis qui ont fui les violences sectaires entre sunnites et chiites ont en effet form des quartiers homognes o lon ne croise que des Irakiens. Les restaurants proposent des plats du pays, les cinmas des films bagdadis, les agences de voyage organisent des priples en taxi vers Nadjaf ou Bagdad. Une universit irakienne a mme ouvert ses portes.
Les autorits syriennes ont adopt une politique de visa trs souple lgard des Irakiens. Ces derniers, en outre, trouvent facilement du travail ; leurs enfants sont inscrits gratuitement lcole et la moiti de leurs dpenses de sant prises en charge par lEtat. Damas refuse dailleurs de parler de rfugis, mais les dsigne plutt sous le vocable dinvits. Leur prsence reprsente videmment un cot financier et humain pour notre pays. Mais nous ne nous plaignons pas et ne demandons laide de personne , dclarait leur propos en janvier dernier le vice-prsident syrien Farouk al-Chareh.

Lhostilit croissante de la population

Mais ce discours est de moins en moins partag par la rue syrienne. Au dbut, les Irakiens ont effectivement t bien accueillis. Leur argent aiguisait les apptits ; leur tmoignage de la guerre tait une source de curiosit ; leurs restaurants et boutiques constituaient des lieux de sortie. Mais aujourdhui, les habitants de Damas sont de plus en plus critiques. Comment accepter que des quartiers entiers soient rservs aux Irakiens ? Nous devenons des trangers dans notre propre ville , se plaint ainsi un commerant cit par Le Monde. Les effectifs des coles atteignent aussi des seuils limites, jusqu 50 lves par classe. Les coles syriennes accueillent tous les enfants, mais nont pas les moyens, mme avec laide du HCR, douvrir de nouvelles classes. Souvent qualifis, les Irakiens trouvent aussi plus facilement du travail, do la colre de leurs collgues locaux. Enfin, leur prsence est source dinflation. Les prix de limmobilier ont augment de 300 % Damas. Ces griefs prcis font le lit dune sourde hostilit. Ils sont bruyants et leurs logements sentent mauvais cause de leur cuisine grasse. Ils sont moins sophistiqus que nous et ne pensent qu largent. Ce sont des rustres brutaux , critiquait ainsi ce mme commerant, tandis quun de ses voisins ajoutait : Les premiers rfugis avaient de largent et de lducation. Il sagissait danciens cadres du rgime qui craignaient des reprsailles. Puis on a vu arriver les classes moyennes, moins riches mais pas pauvres non plus. Maintenant ce sont les plus dmunis qui dboulent, sans argent et sans savoir-vivre. Pour eux, cest lexil ou la mort. La Syrie est gnreuse. Mais cest un pays en dveloppement. Nous ne pouvons tous les accueillir.
Aprs les classes moyennes, de plus en plus douvriers et demploys cherchent en effet sinstaller en Syrie. Fuyant les attentats et les meurtres inter-confessionnels, ils nont dautres choix que de sinstaller dans des campements de fortunes tentes, bches, cartons plants dans des terrains vagues la priphrie de Damas. Pour eux, ni eau ni lectricit ni coles pour les enfants. Impossible aussi de trouver un travail alors quils ont dj tout perdu. De vritables bidonvilles, source dinstabilit et de violence, sont ainsi en train de se construire aux portes de la capitale syrienne.
Loin dtre de passage, ces exils irakiens sont probablement l pour des annes, aucun signe ne permettant desprer une pacification prochaine de lancienne Msopotamie. Du coup, les autorits syriennes envisagent de durcir le rgime des visas ; une menace qui na pas t mise excution jusqu prsent. Mais cette annonce a aggrav le sentiment de prcarit des rfugis. Comme le souligne un diplomate onusien Damas : Cet accueil des rfugis tient un vieux rflexe de solidarit panarabe. Cest aussi un moyen daider une population prsente comme victime des Amricains. Mais Damas ne peut mme plus instrumentaliser leur prsence pour gagner des points sur la scne diplomatique. Les inconvnients de leur prsence lemportent dsormais largement sur les avantages. On ne peut exiger de la Syrie de tous les accueillir.

La Jordanie beaucoup plus svre

De son ct, la Jordanie a dj resserr les boulons . La stabilit du royaume hachmite avait t menace dans les annes soixante-dix par le nombre record de rfugis palestiniens. Il ne veut pas que cela se reproduise alors que les exils irakiens reprsentent dj 20 % des habitants. Leur prsence est un fardeau. Ils sont dsormais personae non gratae , a rcemment dclar le porte-parole du gouvernement jordanien. Aprs avoir laiss ses frontires grandes ouvertes, Amman nadmet dsormais que les personnes ges et ceux ayant besoin de traitements mdicaux. Les Irakiens dj installs dans le pays trouvent difficilement un emploi, ne bnficient pas de couverture mdicale et ont le plus grand mal inscrire leurs enfants lcole. En outre, en Jordanie comme en Syrie, les amis et la famille qui constituent le premier lieu daccueil ont de plus en plus de mal aider les nouveaux venus. La solidarit inter-irakienne connat des rats, faute de moyens. A plusieurs reprises, la police jordanienne a reconduit la frontire, par bus entiers, des Irakiens considrs comme des immigrs illgaux. Ce faisant, les autorits satisfont une population mcontente, mais elles disent aussi assurer leur scurit. Le 9 novembre 2005 en effet, trois attentats ont dvast des grands htels dAmman, ville calme habituellement, faisant 60 morts. Des attentats revendiqus par des Irakiens proches dAl-Qaeda. La Jordanie payait l sa proximit avec les Etats-Unis. Washington a dailleurs promis Amman de lui reverser 1,5 million de dollars des revenus ptroliers de lIrak pour laider subvenir aux besoins des rfugis prsents sur son territoire.

Jean Piel

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